Heures de réveil : ???
Je suis dans un monde un peu flou, entre rêve et lucidité maniaque. Ah oui, déréalisation. Pardon. Je suis au saut du lit, je me suis ruée ici, j’écris comme je pense et à 6h46, j’ai pas tous les mots dans le bon ordre, encore. Je mens. Je me suis fait un café, je ne suis pas un monstre.
J’ai passé ma nuit à rêver que j’étais mutique. Au départ, volontairement. La première série de rêves avait trait à la famille, à laquelle je ne parlais plus. J’ai rêvé de ceuxlles que j’ai perdu-es, qui me fixaient en silence, attendant un mot de ma part. Mais tout ce qui sortait c’était ce murmure interne inintelligible. La peur, la colère, la tristesse, plus rien, rien que le vide sans mot, l’incompréhension des vivant-es et des mort-es.
La seconde phase de ma nuit a tourné autour du boulot. On me parlait, j’étais incapable de répondre. Je savais quoi répondre mais je ne pouvais pas. Pas envie. Autre sentiment, celui du boycott, de la lutte et de la confrontation.
Et j’ai fini avec mon cercle le plus proche (mari, enfant, ami-es précieuxses). Et là, je voulais parler, mais je ne savais plus, j’avais oublié tous les mots du monde. Je ne pouvais plus entrer en contact avec les personnes que j’aimais, et je les ai vues partir ensemble sans dire au revoir. Je n’ai même pas été capable de pleurer.
Et c’est là que les chats m’ont réveillée. Braves bêtes.
⛅⛅⛅
Voilà. L’Enfant vient de se réveiller à son tour et je lui ai demandé s’il m’entendait, si j’étais toujours là. Oh, t’en fais pas, il est habitué.
Entre la petite paresthésie du matin et ce rêve encore vivace, j’ai l’impression d’être ailleurs. Mes nerfs endormis rendent mon rapport aux surfaces très compliqués. Les contours du monde sont un peu flous, la musique résonne différemment. Je suis ailleurs.
Hier, j’ai un peu craqué. C’est pas « sans doute » lié au rêve, c’est clairement lié. Ma phase délirante d’hier (pas de délire de persécution, déso) était liée à la parole. Je ne voulais plus parler. Plus jamais parler, pour qu’on m’oublie et que je puisse retourner dans le silence et l’obscurité des cauchemars familiers. Juste retourner dans le vide.
Y’en a qui ont deux loups en euxlles, moi j’ai deux facettes : celle qui veut rien, celle qui veut tout. J’ai d’autres aspects mais le silence est un des complexes que j’ai depuis le plus loin dont je puisse me souvenir. Trop bavarde en classe, trop maladroite pour me faire des potes dans la cour de récré. Je peux passer des jours sans parler, suspendue dans le vide, lorsque je suis seule. Je fonctionne, mais je ne peux pas parler.
🙊🙊🙊
Jusqu’ici, parler m’a apporté plus d’emmerdes qu’autre chose. Je suis la personne qui met les pieds dans le plat et qui casse tout ce mauvais assemblage de pâtes et de sauce tomate en disant les choses qu’on ne dit pas. Pour défendre les personnes réduites au silence dans une piètre tentative d’émulsion d’estime de moi. Pour me défendre, encore plus maladroitement, la légitimité en moins. Je dis des choses sans pouvoir me défendre car je fais demi-tour au dernier moment. Je ne le mérite pas.
Les mots, écrits, restent. Le dessin aussi. Plus jeune, je dessinais et j’écrivais, puis je jetais. Je ne jetais pas dans ma corbeille à papiers car le monstre sous mon toit fouillait mes poubelles. Je déchirais en mille morceaux et je semais dans les poubelles publiques. Mes secrets devaient le rester « sinon tu vas le regretter » comme il me disait. Pas la peine d’aller plus loin dans la menace, j’étais docile et terrorisée en permanence.
Puis, d’un coup, la logorrhée. Tous ces mots qui sortent dans le désordre jusqu’à épuisement des stocks. Écrire à n’en plus finir. Parler jusqu’à ce qu’on cesse de me répondre, pour me signaler qu’il fallait vite revenir dans le silence. J’avais beaucoup de choses à dire. Des choses graves que je ne savais pas énoncer. Des choses enfouies qui ne sont sorties que bien plus tard, dans le désordre là aussi.
Incompréhensible. Psychiquement perturbée. Bizarre. Instable. Trop et pas assez d’information à la fois.
🍄🍄🍄
Le cycle recommence. Je retourne dans ce combat sourd, sans indication. Je ne veux pas redescendre au fond de la piscine mais j’y retourne, je le sens.
Parce que tout est de ma faute. Je n’ai pas réussi à bien gérer les derniers mois, j’ai loupé le coche, j’ai reçu des coups mortels et vécu de petites trahisons. J’ai fait comme si tout allait bien, et sur le coup, ça allait. Mais hier, je me suis rendu compte que pas vraiment. Beaucoup de choses vont mieux, mais ma parole ne se libère pas sur l’important. Face à ça, j’ai implosé. Oh, t’en fais pas, j’ai l’habitude, j’ai cherché et trouvé de l’aide pour me remettre dans la réalité. Merci à vous, je sais que vous vous reconnaîtrez.
Mais là, tout est étrange, inconnu et familier à la fois. Je progresse comme ça. Par à-coups. Cahots. Crises. Effets pyrotechniques du feu de dieu durant un effondrement hollywoodesque.
Je sais que ça ira mieux et que j’en ressortirai avec quelque chose.
Juste…
Juste…que c’est épuisant, comme fonctionnement pathologique. Je sais que ça relève absolument de la maladie mentale en combo avec les traumas. Une synergie à la con, ça, encore. Je sais pas, je pourrais combiner ma créativité avec mes habilités sociales, mais non. Je combine ma créativité avec le silence et mes habilités sociales avec le trop parler, dans une espèce de cacophonie imbitable. Puis je ne comprends pas pourquoi on ne me comprend pas. Alors je retourne au coin, mais pas indéfiniment. Je préfèrerais, mais je ne peux pas. Je sais que si je me coupe du monde, c’est foutu, je vais finir comme mon père à ressasser toutes les crasses qu’on m’a faites et toutes celles que j’ai faites.
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Alors, j’ai mis du monoï partout. Cette odeur a le don, comme celle du lilas et des jacinthes, de me ramener dans un endroit sécurisé. Je mets le nez dans mon T-shirt et je repars dans un endroit moins agressif. Et puis je sais demander aux proches de me re-réaliser, de me faire revenir ici et maintenant. Merci encore à elles.
Le côté positif, c’est que je vais avoir la surprise du changement. Je le sais, ça, aussi. Un matin, je vais me réveiller différente, en ne sachant ni pourquoi ni comment.
Mon amoureux qui est aussi amoureux d’insectes, dirait qu’après une mue, l’insecte est le plus vulnérable. On est pas loin des métamorphoses kafkaïennes dans mon cas mais ça se tient.
On se dit à demain ? Si ça se trouve…je ne sais pas.