Heure de réveil : 4h29 (croquettes)

TW : évocation de meurtre, tristesse, deuil

J’ai enfin réussi à me remettre à bosser sur ce foutu PDF qui rassemblera mes billets. Je bataille avec InDesign mais ça me rappelle de bons souvenirs. Je bataille mais j’ai appris la mise en page avec Quark Xpress donc si tu veux, à côté, InDesign c’est l’ergonomie et le confort des joies simples de la vie.

Mais ça m’oblige à me relire, et c’est chiaaaaaant ! J’arrête pas de lever les yeux au ciel, je me dis « Non, arrête ça, tu te fais chier pour rien, personne va lire ton truc est-ce bien nécessaire de t’infliger ça ? » et aussi « Faudrait vraiment que tu fermes cette page, tu es pitoyable ». Mais j’ai pas fermé la page et j’ai continué jusqu’à l’écœurement.

Parce que je TE fais confiance, c’est toi qui m’a encouragée, maintenant va falloir me soutenir. Allez. Steuplé 🥺

Je me rends compte aussi de l’importance du « like » comme signe d’engagement alors si tu me lis, aime-moi stp, ça regonfle un peu mon ego fluctuant. Ouais c’est de la mendicité. Au moins je suis honnête avec toi. Oui, je dépend de ton regard. Comme chaque personne qui crée du contenu, évidemment que j’écris pour être lue et partagée. Si personne ne me lit, je n’existe pas.

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Le 6 mars, une jeune fille de 14 ans a été retrouvée noyée suite à du harcèlement scolaire. Bon timing avec la campagne WTF du ministère de l’Intérieur qui culpabilise les victimes d’envoyer des nudes « Tu vois ce qui peut t’arriver, victime ? Alors je serais toi, je me tairai, parce que nous on va rien faire, bisou. »

Je ne connais pas les tréfonds de l’histoire et je sais que je ne vais pas trop aller titiller ce côté-là. Lorsqu’une adolescente se fait tuer, ça me rappelle 1995 et Sabrina. Le 6 mars 1995, précisément…

En 1995, j’étais dans un collège en Lorraine, en 5ème.
Sabrina était dans la même classe que moi en 6ème, on avait pas vraiment de relation, on ne s’appréciait pas particulièrement, mais on a vécu quelques moments sympa. Bref.

En 95, donc, on a retrouvé son corps sans vie dans les WC du troisième étage de mon collège. C’était un 6 mars, il y a 26 ans. Sa camarade de classe l’avait étranglée. Je n’avais pas cours cet après-midi là et j’avais invité des copaines de classe à…faire du spiritisme comme font les ados. La séance, enregistrée par mes soins à l’aide de mon formidable lecteur CD/K7/radio, a été particulièrement flippante, on est rentrées un peu soufflées. Et le soir, aux infos, on voit que notre copine se faisait tuer à peu près au même moment.

Autant te dire qu’après ça, on a plus JAMAIS retenté le coup. L’horaire collait, perso ça m’a pris plusieurs années avant de cesser d’avoir peur par les bruits de fantômes dans ma chambre (Cette coïncidence macabre est sans doute aussi une des racines de mon attrait pour le surnaturel et la mort).

Le collège Jacques-Callot à Vandoeuvre a retrouvé sa tranquillité. Vingt ans plus tôt, un drame s’est noué dans les toilettes de l’établissement. Photo Pierre MATHIS – l’Est Républicain

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Le choc a été indescriptible. On est restées hébétées, juste vides. Les infos passaient en boucle des images de notre collège. Tout le monde a mis quelques jours à retomber sur terre, tellement l’affaire était violente, inattendue, incompréhensible.

J’ai chanté à la chorale durant ses funérailles, on était dans la même chorale toutes les deux. Je n’ai plus JAMAIS chanté ou voulu chanter après ça. La vision de la maman de Sabrina, en fin de grossesse, hurlant, pleurant, sous nos voix de moins en moins sûres d’elles, m’a poursuivie et me poursuit encore. La mise en terre a été extrêmement éprouvante. Lorsque j’ai eu un enfant, j’ai pu apercevoir la douleur d’une mère, l’angoisse de perdre son enfant, le désespoir inconsolable devant le fait accompli. Inimaginable.

Sabrina n’aura jamais d’enfant, et 26 ans après cette idée me rend toujours aussi triste. On ne s’appréciait pas plus que ça, mais c’était ma camarade. Et qui meurt à 13 ans ? Qui TUE à 14 ?

🍀🍀🍀

En 2017, j’ai publié un article pour parler de Sabrina. Cet article m’a fait du bien.

En 2020, je reçois une notification de commentaire sur cet article. Leyla.

« J’ai gacher ma vie en faisant cette saloperie le lundi 6 mars 1995. j’etait condamne le mercredi 25 octobre 1995 ma peine purger en 2004. RIP A TOI SABRINA 😢😢😢QUE DIEU ME PARDONNE. »

Je suis tombée de ma chaise. Presque littéralement. Et encore là, maintenant, relire cette réponse me pétrifie.

J’ai jamais été fan de la prison (Surprenant, je sais). Quand j’ai su qu’elle avait pris 7 ans ferme, j’ai pas compris. Enfin si, j’ai compris, mais j’ai réalisé qu’on envoyait des filles de 14 ans en prison, ferme. Sans doute dans un établissement spécial pour les mineur-e-s.
En prison à 14 ans.

Procès de Leila, 11 et 12 octobre 1995. La mère de Sabrina

Assez rapidement, et ça allait devenir mon signature move, j’ai pris du recul et je me suis bien gardée de tirer des conclusions.
La presse a été…la presse.
Sabrina, blanche, mignonne, de « bonne famille », tuée par Leyla, une jeune de 14 ans issue d’une famille Kurde exilée, vivant dans une des pires cités de l’agglomération nancéienne à 500m du collège. Sœur de délinquants, fichée elle-même, renvoyée de son précédent collège pour avoir tenté d’étrangler une de ses profs. Je te passe le racisme à peine voilé (haha voilé haha).

On avait toustes peur de Leyla. Elle était plus âgée que nous, très agressive et lorsque Sabrina et elle ont commencé à devenir meilleures amies du monde, personne n’a compris. Leyla l’aimait beaucoup, un peu comme une petite mascotte. Elle la protégeait et Sabrina devait lui apporter le goût de normalité dont elle manquait. Une famille dans un joli pavillon, papa, maman, un chien, des frères et sœurs qui ne te tabassent pas.

Leyla apportait à Sabrina ce goût de la transgression et ces aventures dont on est toustes friandes à 13 ans.
Un jour de mars 1995, elles ont été prises la main dans le sac en train de voler à la supérette du coin. Habituée, Leyla a juste aspergé le vigile de lacrymo avant de s’enfuir, mais Sabrina a été prise, sa mère appelée.
On l’a obligée à avouer que Leyla était avec elle. On l’a menacée pour qu’elle avoue. Elle a avoué.

Mais tu sais ce qu’on fait des balances ?
Voilà.
Le lundi suivant, en sortant de cours pour aller déjeuner, Leyla l’a entraînée dans les toilettes pour régler ses comptes.

🌹🌹🌹

Au delà du choc de cette mort totalement inutile, s’est posé la question de la « Sécuritay de nos enfants ». La principale a été obligée de démissionner, il y a eu un scandale comme jamais.

L’autrice des faits avait déjà tenté de tuer une personne auparavant. On l’a juste déplacée, on a éloigné le problème, et c’était réglé, tout allait bien se passer. Le conflit entre les deux avait déjà éclaté, au moins un signalement a été fait auprès de la direction de l’établissement pour signaler l’inquiétude. Pour ce résultat.

On est en 2021, on vient de retrouver une ado dans un fleuve, un autre s’est fait grièvement blesser la semaine dernière il me semble, puis un autre, encore, attends…on aurait pas un souci structurel, là ? On est pas sensés mourir à 14 ans, surtout pas de la main d’une autre ado.

Rien n’a changé, arrête, les profs sont encore moins nombreuses, moins bien payées qu’avant et tout va bieeeeen…

Ce qu’il aurait fallu faire ?
Je suis pas medium mais j’ai deux trois pistes.

Les parents de Leyla sont exilé-e-s, visiblement iels avaient vécu suffisamment de choses graves pour être un peu aidé-e-s par l’Etat. Alors on leur a proposé la vie de rêve : un HLM en plein cœur de la zone. On les a balancé-e-s là et bon courage surtout ! Aucun de ses deux parents ne savaient lire ou écrire en Français. J’imagine que comme beaucoup d’enfants de parents immigrés, Leyla a dû aider ses parents à gérer les papiers, le quotidien. Ses frères ont vite trouvé leur place chez les petits caïds. Son agressivité lui a permis de survivre. Mais un bruit persistant à couru que ses frères la « vendaient » au plus offrant.

C’est ça qui aurait entraîné le passage à l’acte : se faire traiter de putain par Sabrina lors de leur entrevue discrète.
Je ne sais pas ce qui est arrivé à Leyla. Je pense que c’est une histoire tristement classique entre parents, enfants, école, précarité, combines et transgressions diverses. Sans doute victime, oui. J’en suis persuadée, convaincue, j’en suis sûre. On peut avoir toute l’agressivité du monde en soi, on étrangle pas comme ça. Il y a sans doute eu un moment de « switch » lorsque Sabrina lui a parlé, elle s’est peut-être retrouvée à perdre sa meilleure amie qui, en plus, la traitait de putain. Le rejet, la honte.
J’en sais rien. J’ai pas le dossier, et je suis pas psy.

Ça me choque que personne n’ait réalisé le danger que cette fille présentait pour elle et pour les autres après le premier incident avec sa prof. Je te jure, il s’est rien passé, on l’a juste mise dans un autre collège. C’est TOUT. Pas de plainte, affaire classée.

Pour mon article de blog qui en parle aussi, c’est par là.

🐰🐰🐰

On a quand même un gros gros souci avec l’école et particulièrement les écoles en zones dites « prioritaires ». Haha. Prioritaire ? Prioritaires de quoi ? On applique le même régime de dégraissage de mammouth depuis 30 ans, nos profs sont les moins bien payées de l’OCDE, il n’y a plus de thunes pour rien, et surtout pas en « zone prioritaire » de mes deux.

Je ne sais pas si on aurait pu éviter le drame avec une vraie politique sociale bienveillante. Et c’est pas mon travail de le dire en fait. Là je vois juste l’histoire se répéter. On a rien appris, rien compris. Au contraire, on retire des moyens avant de se lamenter de la violence de cette jeunesse sans repère.
Cette jeunesse sans repère se fera broyer par le système d’une manière ou d’une autre. Quel intérêt ?

C’est dans ces moments que je réalise qu’on est vraiment quantité négligeables alors qu’on forme la plus grande partie de la population. On a rien appris de 1789 visiblement.

La grandeur de la France, c’est des collégiennes qui se font tuer et d’autres collégiens qui vont en prison. Des personnes exilées traitées comme des déchets. Une « politique d’intégration » à la matraque. Une politique sociale cache-mal-misère. Chaque petite perspective est piétinée à coups de rangers. Ta vie, c’est ça, deal with it.

J’excuse rien. C’est horrible d’étrangler sa copine parce qu’elle t’a balancé et qu’elle t’insulte. J’y vois une grande insécurité émotionnelle, plus qu’une violence innée, tragique et prédestinée. Je suis persuadée qu’on aurait pu aider et faire en sorte que cela ne se produise pas.

Je ne sais pas à quoi ressemblera le collège quand mon fils y sera. Il apprend déjà pas mal de choses à la maternelle, niveau bullying et normativité… Il ne comprend pas que tout le monde ne l’aime pas et ça le rend triste. Il a pas les invitations aux anniversaires. Il est « différent » et rentre en ce moment avec le regard dans le vague.

J’ai peur.
J’ai peur pour lui, je ne sais pas comment seront ses années collège. J’ai peur que le système le broie aussi. Comment on peut en arriver là ?

Grâce à la casse de la fonction publique, grâce au néolibéralisme, grâce au racisme. Ouais c’était simple.