Heure de réveil : 4h quelque chose. Je sais plus. Je sais plus mais l’avantage de se lever hyper tôt c’est qu’il fait frais et que les oiseaux bavardent beaucoup.

CW : serpents, pas d’image EVIDEMMENT

Je suis tombée il y a quelques jours sur un truc inconnu de moi, sur une vidéo-iceberg concernant les complots et le complotisme. J’y ai découvert que dans la fin des années 70/début 80, une légende circulait : des hélicoptères relâchaient des vipères dans les forêts.

Alors, comme d’hab, j’ai voulu vérifier et creuser. Je suis née en 1982, mais j’ai un souvenir d’enfance qui m’a sans doute poussée à chercher un peu plus.

Je suis née en Lozère, où j’ai passé mes 4 premières années de vie. J’ai quelques souvenirs précoces, dont un assez marquant (à part quand je me suis coupé le pied avec une faux, évidemment, ça c’était la palme du souvenir en or massif) : tandis que je me baignais dans une rivière lambda, je vois un serpent nager. Je n’ai pas peur des serpents, donc je fais remarquer la présence de l’animal à ma mère, qui me dit « c’est une couleuvre ». J’ai appris bien plus tard que c’était PAS une couleuvre, c’était un python roy…non en fait c’était une vipère.

On m’a appris très jeune que les serpents et les insectes avaient plus peur de nous que l’inverse. Un père géologue passionné d’histoire naturelle, une maman à tendance écolo ravie d’avoir quitté la Lorraine pour une région vachement moins peuplée, et donc vachement plus sympa. Il n’y a pas de « nuisibles », me disait-on, je le pense toujours.

Le truc c’est que mon souvenir est pile dans la bonne région concernée par le mythe et pile dans la bonne temporalité. D’où mon étonnement en découvrant cette théorie.

Les gorges du Tarn

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En résumé, ces salopards d’écolos auraient relâché en douce des milliers de vipères pour jouer à dieu avec la Nature et c’est Mal. On a à peu près les mêmes réactions face aux réintroductions de loups, de lynx et d’ours. Ce sont des animaux parfois dangereux et qui bouffent 125% du bétail, à la louche.

J’ai aucun de mal à comprendre qu’on puisse avoir peur devant un ours en forêt. Surtout s’il a la dalle. Je comprends moins comment on peut ne pas vivre avec des ours. Dans beaucoup de zones, comme en Amérique du Nord, ours et grizzli sont fréquents, allant jusqu’à faire les poubelles des gens, comme les renards. Il existe tout un tas de consignes aux randonneurs-es concernant la faune sauvage, il y a des gens qui se font attaquer, oui, mais c’est plutôt rare et souvent par non respect des consignes.

Et si ces animaux se mettent en danger en approchant les humain-es pour choper le bétail, c’est qu’ils n’ont pas suffisamment de proies à l’état sauvage.

Surtout, je me demande comment les chasseurs peuvent décréter qu’ils « régulent les populations » par « amour de la nature » sans comprendre qu’une tête de bétail en moins, c’est pas juste pour le fun. Aucun ours ne va décimer 150 moutons d’un coup juste pour le plaisir. Lui aussi prélève des espèces pour se nourrir, en fait. Et heu…en terme de décimer des animaux, je serais nous, je ferais pas trop trop les malins. Mais j’aime pas la chasse ou les chasseurs, je suis sans doute hermétique à la rhétorique naturaliste de ces personnes.

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On aurait donc relâché des dizaines de milliers de vipères par hélicoptère pour des enjeux écolo obscurs : rétablir la biodiversité, réintroduire par la même occasion les oiseaux de proie disparus, fariboles de citadins de leurs morts qui savent même pas distinguer un corbeau d’une pie…

Mais, moi, je me demande qui a joué avec la Nature en premier. Aurait-t-on par mégarde rasé des forêts, réduisant l’espace vital des espèces animales, pour en faire des pâtures et des champs ? Aurait-t-on joué à introduire des espèces, chèvres, moutons, vaches, qui n’étaient pas présente en aussi grand nombre ou pas présentes du tout ? Tu crois que des ours mangent des moutons semi-apprivoisés dans un habitat inchangé ?

La chasse aux « nuisibles », c’est également la chasse aux plus petits mammifères, renards, rats, campagnols, musaraignes, taupes et compagnie. On détruit donc un habitat, on restreint l’espace vital et en plus on tue (pour rien, parce qu’on ne les consomme pas) les proies ? Moi, je serais un ours, j’aurais bien le seum, tu vois.

Je sais aussi qu’un loup ne m’attaquera pas, sauf en toute dernière extrémité. Quand un loup mange normalement, il ne chasse ni humain-es pacifiques, ni moutons. Je ne dis pas que des accidents n’arrivent jamais. Des accidents arrivent et j’ai même des histoires de chimpanzés tueurs « apprivoisés ». Genre tu ramènes un chimpanzé au Missouri, tu le gardes dans ton jardin, et tu t’étonnes qu’il puisse éventuellement devenir brutal.

Les animaux sauvages doivent le rester et je conchie Tiger King ainsi que toutes les personnes important plus ou moins légalement des animaux exotiques protégés. Tu te souviens, dans Friends, quand Ross avait un macaque ? Je ne connaissais pas encore le mot anthropomorphisme mais, déjà, ça me gênait qu’on retire un bébé singe de son habitat pour le ramener à New York. Je déteste les photos d’animaux costumés, même si certaines sont adorables. Je déteste les « blagues » filmées avec des animaux. La trend de poser un concombre derrière ton chat quand il mange pour filmer sa réaction de peur est pure connerie. C’est pas drôle de faire peur à un animal pour rigoler.

Connards.

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Revenons aux vipères en jet privé. On va le dire tout de suite : c’est une légende rurale. Certaines vipères ont en effet été relâchées, mais pas 15 000 et certainement pas en hélico. Les témoignages sont de l’ordre du cousin germain du fils de la voisine qui a vu l’ours qui a vu l’oncle de la belle-soeur qui a vu l’ours.

Oui, j’ai retrouvé un article datant de 1990, par Véronique Campion-Vincent pour la revue « Ethnologie Française » (https://www.jstor.org/stable/40989183) et qui en parle plutôt bien. Véronique Campion-Vincent est anthropologue et étudie les rumeurs et légendes urbaines.

Elle explique en quelques pages comment écolos, éleveurs, chasseurs et État sont entremêlés dans un jeu de pouvoir dans la course à la domination de la nature. L’histoire débute en 1976 et s’essouffle en 1985 (j’étais en Lozère à ce moment là) mais a contribué à forger un anti-écologisme forcené. Après tout, ces salopards de hippies de 68 (comme mes parents) avaient déjà commencé à « envahir » de leur présence les zones idéales à la fondation de diverses communautés de vie ou d’aventures rurales bien plus riches que les incidents de métro et autres faits divers violents en zone urbaine.

Ici se confrontent plusieurs mondes. Les tenants de l’essentialisme et de la nature naturelle : on « régule la population » ou on se nourrit de manière « naturelle » en élevant du bétail. Alor que bon. Ok on est omnivores, c’est pas un plaidoyer vegan, mais chasse et élevage sont tout sauf des trucs naturels. Cela nous a permis d’exploiter des ressources, de prospérer, mais cela n’a rien à voir avec l’état initial du monde sans nous. La domestication, c’est la mise au pas de la nature, à part pour les chats qui sont de petits enfoirés qui profitent de nous et de nos croquettes en nous réveillant à 4h du mat. J’aime les chats. Les chats n’ont ni dieu ni maître.

Chats et serpents sont associés au Mal, tu as remarqué ? Chats noirs, serpents mortels, corbeaux, accessoires de sorcières et instruments de destruction fantasmés. Aussi, dans beaucoup de nos campagnes, il n’est pas rare de voir des personnes disposer de pièges empoisonnés pour réduire la population de chats. C’est même le cas en zones urbanisées. Par contre, les chiens, ça va, parce que les chiens ont plus de fonctionnalités utiles aux humain-es et sont plus dociles que ces saletés miaulant et roucoulant devant leur bol vide.

Dans la vie, il y a les animaux utiles et les animaux nuisibles. Les écosystèmes se portent tellement mieux depuis notre invasion, j’avoue. Oui c’est du sarcasme. Évidemment, c’est du sarcasme.

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Tout ce que je sais, c’est que les animaux sauvages ont peur de nous et ils ont raison, j’ai envie de dire. Les incidents sont rares et proviennent souvent du non-respect de l’animal. Normalement, les vipères fuient en nous entendant arriver. En revanche, si tu commences à les faire chier, elles peuvent mordre, oui. Mais AUCUN animal n’attaque avec de la méchanceté pure en tête. Un animal chasse ou se défend, il monte pas des plans pour spécifiquement tuer des gens.

Et puis, sérieusement, en hélicoptère ??! Pourquoi ? C’est super cher, un hélico, tu peux relâcher des vipères en forêt en allant dans ladite forêt et tout ça à pieds. S’il s’agissait d’une conspiration (c’est à dire quelque chose qu’on veut cacher), on utiliserait tout sauf des hélicoptères, parce que dans le genre discret, bon. C’est pas ouf.

L’hélicoptère est un détail précieux, car il « montre » une intention et des moyens extravagants employés « juste pour nuire » ou pour Big Pharma. Oh oui, Big Pharma. Big Pharma a besoin de venin de serpents pour fabriquer l’anti-venin.

🐦 »Comment sont fabriqués les sérums antivenimeux ?
Jean-Philippe Chippaux qui est chercheur en santé publique à l’institut Pasteur explique qu’on utilise le cheval pour fabriquer des anticorps. Un processus qui n’a pas changé depuis le 19ème siècle.
Le venin provenant du serpent est injecté pendant plusieurs mois à faible dose à l’équidé afin de déclencher une réponse immunitaire. Les anticorps du sang du cheval sont ensuite récoltés et purifiés. Cette même opération est réalisée sur plusieurs chevaux avec plusieurs espèces de serpents. C’est le mélange des différents anticorps qui sera utilisé pour produire un sérum polyvalent.
Ce procédé de fabrication est extrêmement coûteux, c’est la raison pour laquelle les antivenins sont si chers. »
(France Inter)

Le truc que j’ai du mal à comprendre, c’est pourquoi ne pas faire d’élevage de serpents au lieu d’aller s’emmerder à les relâcher pour les recapturer ensuite ? En plus, on est techniquement pas obligé-es de sacrifier les serpents dans le process. Je suis un peu coincée par l’utilisation de chevaux, même si ceux-ci ne meurent pas lors des prélèvements. C’est une question vraiment épineuse : laisser mourir des gens, exploiter des animaux, argh. Et puis faut-il exterminer les moustiques ? Et le cri de la carotte ? Ok, je cesse.

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On a donc d’une part un rejet des animaux dits dangereux ou nuisibles, une volonté d’asservissement et d’exploitation de la nature, mais aussi une volonté de maintien de ce qui reste de nos écosystèmes et la biodiversité et tout ça. Perso, je suis côté écolo de la force, si tu n’avais pas deviné jusqu’ici (je sais que tu es perspicace).

Ces mythes et légendes sont donc utiles aux chasseurs, éleveurs et agriculteurs. Vipère = à éradiquer (des primes étaient même octroyées jusqu’en 1979 par certaines mairies en échange d’animaux morts). Mais comme les écolos nous emmerdent, on doit trouver quelque chose de scandaleux à leur opposer. L’idée de complot, c’est l’idée qu’une association de personnes fasse des choses cachées, interdites, dans le but de nuire. Nuire à qui ? Aux chasseurs, etc. La boucle est bouclée, on a une nouvelle histoire du soir à raconter aux gosses et on peut propager l’idée d’une surpopulation de vipères qui justifierait leur extermination.

Le récit amorce l’idée d’une nécessiter de tuer des espèces dites dangereuses car réintroduites. On parle serpents venimeux, puis on enchaîne sur les renards et les buses. On peut aussi aller jusqu’à la cryptozoologie (l’étude des animaux cryptiques, des espèces inconnues, Big Foot et Nessie en font partie) en montant en épingle une semi-observation de dos de nuit avec bien sûr un appareil photo ou une caméra qui prend une image en 12 pixels sous un éclairage pourri. Hier, j’ai vu les photos que mon cher et tendre a ramenées des Ardennes. Photos de nuit qui, avec le matériel adéquat, sont extrêmement détaillées sur des sujets (des papillons) plutôt pas grands. No excuse pour les polaroids pétés pris en 2023 et difficilement lisibles parce qu’il faisait nuit, pas de bol.

Surtout, les espèces (réelles) concernées par les légendes sont souvent des espèces protégées. Les vipères sont des animaux protégés, oui. Il faut donc un bon truc pour réussir à justifier le fait de continuer à les tuer. Et si des personnes en relâchent en scred, on se donne le droit de continuer à tuer, vu que ces personnes ne jouent pas le jeu. Si on tue des vipères, c’est donc de la faute aux écolos. Et, comme pour le sourcier ou le rebouteux, on a les chasseurs de serpents avec des dons de détection de serpents. Ta gueule, c’est magique. Bel appel à la nature et aux traditions, dites donc.

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Le problème, ce ne sont ni les vipères, ni les ours, ni les pumas. Le problème c’est qu’on surexploite une nature qu’on prétend aimer et conserver. On réduit l’habitat, on domestique, on capture, on enferme ou on tue ce qui dépasse des zones autorisées, de plus en plus restreintes. L’agriculture est une des pratiques qui ont permis aux humain-es de se sédentariser et ainsi d’évoluer, oui.

Mais, sans déconner, tu sais tout ce qu’on gaspille, en terme de bouffe ?

🐦 »Chaque année en France, ce sont 10 millions de tonnes de nourriture qui sont perdues ou gaspillées tout au long de la chaîne alimentaire. Cela représente 16 milliards d’euros perdus ( cela représente 240 euros par français chaque année) et 15.3 millions de tonnes d’équivalent CO2 émis pour rien !

Chaque acteur est concerné et les pertes alimentaires se produisent à :

32 % au stade de la production,
21 % au stade de la transformation et conditionnement des produits dans l’industrie agroalimentaire,
14 % au stade de la distribution (hyper et supermarchés, hard-discounts, épiceries et commerces de proximité),
33 % au stade de la consommation, dont 14% dans la restauration (collective et commerciale) et 19% pour la consommation à domicile.
Au stade des consommateurs, ce gaspillage représente au total 50kg de nourriture gâchée par français chaque année : 29 kg au domicile et 21kg au restaurant alors que nous n’y prenons que 15% de nos repas.

Sur les aliments jetés par les consommateurs, une bonne partie pourrait sans difficulté être évitée si l’on acceptait de modifier à la marge nos comportements. En effet, chacun d’entre nous jette chaque année 7 kg d’aliments non consommés et encore emballés ! L’autre partie des denrées qui partent à la poubelle concerne pour 1/4 de restes de repas, 1/4 de fruits et légumes non consommés, 1/5 de produits partiellement consommés, 14% de pain, 5% de boissons. »

(Sources : Ademe 2016, France Nature Envrionnement & Verdicité)

[…]

Tous ces chiffres peuvent paraître abstraits. Pour se faire une idée de l’importance que ces quantités jetées représentent, il peut être utile d’avoir en têtes quelques ordres de grandeur :
👉 Sachant qu’il faut 1.000 litres d’eau pour produire un kilo de farine, chaque baguette de pain jetée à la poubelle correspond à une baignoire entière.
👉 Sachant qu’il faut 15.000 litres d’eau pour produire un kilo de viande, un rôti de porc ou un gigot d’agneau, c’est 70 baignoires pleines.
À première vue, nous ne nous rendons pas compte que ce kilo de viande a utilisé autant de ressources en amont. Pourtant, pour avoir de la viande, il a bien fallu que le bétail se nourrisse, s’hydrate, occupe de l’espace etc.
(Zéro Gâchis point com)

On est loin de la paysannerie responsable qui vit en accord avec la nature dont beaucoup se réclament. Le pire, c’est que comme les agriculteur-ices sont obligé-es de surproduire par les acheteurs, je comprends bien le souci du loup qui te bouffe tes moutons au niveau de l’éleveur-se. Je situe évidemment le problème au niveau de l’industrie agro-alimentaire qui fait peser sur toustes, du pré à l’assiette, le poids du profit profitable aux actionnaires, même si les traditions rurales étaient là avant. Comme si on s’était appuyé sur ces légendes et traditions pour manipuler les…naaaaaaannnnnnn jamais on ferait ça. Ja-mais.

NA-TU-REL !

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Cette histoire de lâcher de vipères est en fait le début d’un sujet beaucoup plus vaste que je n’avais pas vu venir. Un problème sociétal, entre agriculture intensive, intérêts économiques, préservation de l’environnement et traditions. Et, en bonus, le fait qu’on prenne vraiment les paysan-nes pour des imbéciles. La condescendance et le mépris de l’intellectualisme scientifique versus « les traditions, bande de cons ». C’est pas en prenant les personnes vivant dans la ruralité pour des « attardé-es » qu’on réussira à quoi que ce soit. C’est pas en surexploitant les terres qu’on réussira à gagner la partie, au contraire.

On a ici un beau clivage artificiel entre deux parties de la population.

Et c’est qui qui gagne ? Le Capital, yeah baby !

Respect et amour de la nature, fig.1