TW : idéation suicidaireAujourd’hui, je crois que j’ai un vraiment nouveau rythme de sommeil (qui me convient) et c’est l’anniversaire de ma maman ♥
Je suis en phase de « plateau » sur ma courbe des humeurs. On dirait que c’est une bonne chose, pourquoi pas. Mais la stabilisation ouvre grand la porte aux pensées intrusives qui reviennent avec fracas. La journée d’hier m’a bien achevée à ce niveau…cela faisait, quoi, une petite semaine que la réponse à chaque question n’a pas été « tue-toi », c’était pas mal.
Hier j’ai bien avancé sur ce foutu PDF que personne ne lira (tu la vois, la prophétie auto-réalisatrice ? Tu la vois ?). J’ai 372 pages (sans mise en forme pour 317 d’entre elles) pour la période octobre/décembre 2020.
Et c’est une vraie souffrance que de revenir sur mes écrits. Mais qu’elle est bête et prétentieuse, celle-là ! Je déteste cette personne du plus profond de son être.
En plus c’est une période de vacances/calme, j’ai moins d’interactions sociales et bien évidemment je suis persuadée que j’ai fait une connerie et que personne ne m’aime. je ne vais pas non plus chercher à échanger, puisque je ne vaux pas le coup. Logique imparable.
En plus, je veux quoi ? Auré m’a appelée « La femme de l’ombre » récemment et j’ai capté que c’était absolument ça. Je veux parler, mais pas être vue. Je veux rester en sécurité dans ma tanière. Pour me plaindre que personne ne reconnaît mon travail (parce que personne n’est tombé dessus absolument par hasard en se disant « tiens, je vais tout lire de cette personne, j’ai un mois à perdre haha ») avant de prendre peur à la moindre manifestation d’adhésion ou d’intérêt.
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C’est ça, la bipolarité, Libération.
C’est pas « un côté noir un côté blanc ».
« Culture confinée, métro bondés : en finir avec la politique bipolaire
Des protocoles validés scientifiquement existent pour permettre de visiter sans risque un musée, assister à un spectacle ou à une séance de cinéma, rappellent des acteurs du monde de la culture et des médecins. Qu’attend le gouvernement pour soutenir ces dispositifs ? »
On m’a répondu hier que c’était pour parler d’une politique « polarisée », et oui, ok, pourquoi pas. Mais, dans un texte qui évoque plusieurs fois la psychiatrisation et qui finit par « sortir de l’impasse » c’est chaud. Par ailleurs, le sens psychiatrique est à mon avis le plus courant.
Moi je suis dans l’impasse depuis toujours et j’en ai marre qu’on utilise les pathologies pour faire des titres choc.
OK GOOGLE (non j’ai pas d’enceinte connectée, je fais semblant) « bipolaire »
Environ 2 800 000 résultats (0,44 secondes)
Première page Google : bipolarité au sens psy + 5 questions dans les résultats de recherche enrichie sur le même thème.
Il faut attendre la page 4 pour avoir la définition du terme qui évoque la bipolarité dans son sens littéral (deux pôles). J’ai testé avec « bipolarité » pour le même résultat.
Donc je veux bien, mais à un moment faut p’tet arrêter la mauvaise foi, les enfants. J’ai beaucoup aimé les recherches connexes, d’ailleurs…tu sens les préoccupations.
bipolaire symptômes agressivité
quel est le comportement d’une personne bipolaire
que ressent une personne bipolaire
vivre avec un bipolaire l’enfer
les bipolaires et l’amour
Merci, je me sens vachement mieux (non).
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Merci du rappel. Des fois j’oublie pourquoi on me regarde bizarrement quand je dis que je suis bipolaire. Si l’annonce de la spondylarthrite provoque parfois la compassion, l’annonce de la bipolarité est excessivement, radicalement, absolument différente.
Je ne comprenais pas, au début. J’étais classée dans les personnes dépressives au long cours avec de rares périodes de mieux, j’ai changé de catégorie en 2018. J’ai pas changé, moi, j’ai changé de label. Avant quand je parlais dépression, on avait un peu de compassion (et beaucoup de « pfff elle fait pas d’effort), là je lis parfois de la peur dans le regard de l’autre. Lire la peur dans les yeux d’une amie de longue date qui se met ensuite à t’éviter c’est d’une violence insupportable.
Juste avec un mot.
« Bipolaire ».
Ce mot me stigmatise, ce mot a changé ma vie entière, ce mot m’a permis d’envisager un mieux, aussi. Un simple mot, tellement de conséquences…
Aujourd’hui, je ne parle plus de bipolarité avec des gens. Même après des amies ça a parfois été compliqué et mal reçu. J’en parle avec toi, ici, parce que je suis semi-cachée. Mais c’est fini, hors proches, je vais me planquer, les réactions font trop mal.
« Ah oui ? Ah, on dirait pas »
« Oh… » *geste de recul*
« Et tu as un traitement ? »
« Et là, tu te sens comment ? »
C’est ça, pour moi, la bipolarité : l’exclusion.
C’est un mot tellement porteur de sens que me la jouer « on ne l’utilise pas au sens psy » me fait doucement rigoler. J’aimerais le croire, je te jure, mais j’en suis incapable.
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Associer la bipolarité, ou la schizophrénie, à quelque chose qui présente une dualité, c’est violent pour nous, malades. Cela nous réduit à ce côté sensationnel (« Que ressent un bipolaire ? »), comme si on était une armée de Joker prête à fondre sur les femmes et les enfants d’abord.
Le Joker n’est pas forcément un personnage négatif, sa représentation est intéressante et surtout beaucoup plus riche que le côté « double face » qui lui est associé. Mais c’est pas ce qu’on retient de lui. C’est le méchant, et il est fou.
« Bipolaire » c’est dans la pure folie, dans la folie qui fait peur, celle qui est imprévisible.
Tu sais quelles personnes bipolaires pètent des câbles ? Celles qui ne sont pas ou mal traitées et qui sont considérées comme des rebuts de la société. Celles qui, comme moi, ont peur de consulter après trop de violences médicales et qui restent là à attendre le prochain down. Qu’on stabilise avec de la chimie, quitte à les rendre inoffensives mais cotonneuses, improductives, perdues.
L’ostracisme nous tue bien plus qu’on ne tue. L’agressivité des personnes bipolaires (je ne suis pas « une bipolaire » je suis une « personne bipolaire », pas mal d’autres choses peuvent me définir que ma pathologie mentale, merci) est essentiellement tournée vers nous. Nous sommes nos premières victimes en réalité.
Des crises, il y en a, on va pas se mentir. Des crises agressives aussi. J’ai gardé en souvenir le MP ce celle qui fut une amie et qui a décidé de me détester de toutes les fibres de son corps. Son message suintait la haine, je ne connaissais pas cette personne.
Quand un homme « pète un câble » et tue sa compagne, il n’est pas fou. Il contrôle par la violence. Le rendre « fou » dissimule le principal objet du délit : l’éducation patriarcale, ce monde où la vie des femmes ne vaut rien.
Le fait de le rendre « fou » l’exclut du reste de l’humanité. Son acte est « compréhensible », on parvient à le classer mentalement. Le fait de tuer des femmes parce qu’elles sont femmes, c’est pas encore super intégré alors on dit « ils sont fous ».
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« Notre gouvernement mène une politique bipolaire ».
Notre gouvernement mène une politique mortifère, inhumaine, scandaleuse de bout en bout. Je suis désolée mais y’a RIEN à garder, que dalle. Me comparez pas à cette bande de criminels s’il vous plaît, c’est insultant.
On dit bipolaire pour ne pas dire « connards de néo-libéraux » ou « gouvernement de droite dure » ou « gens qui en ont rien à branler de nos vies ». Le Français est une langue riche avec plein de mots moins violents pour nous, malades.
Dites les mots !
Vous avez une tribune dans Libé pour défendre une cause juste en plus !
Oui, on est d’accord, oui, le gouvernement fait n’importe quoi pour maintenir la productivité et ça se voit. Le gouvernement n’est pas bipolaire, il est criminel, c’est ça, le mot que vous cherchez.
C’est pas qu’un mot, pour nous.
C’est notre vie.
C’est notre vie et c’est pas une vie paisible, non.
C’est pas qu’un mot, c’est tout un roman. Si les mots n’étaient que des mots, les gens ne me regarderaient pas comme ça quand je l’annonce. Se faire croire que le terme n’est pas connoté est d’une hypocrisie sans nom. Le terme est connoté et les personnes atteintes de ce trouble sont stigmatisées, entres autres parce qu’on l’utilise pour définir des choses toujours négatives, comme le gouvernement.
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On a pourtant des moments bien, nous, bipolaires, tout n’est pas à jeter, je crois. Des phases créatives extraordinaires et florissantes. Des moments d’exaltation, mais aussi des moments de remise en question. On a une vie intérieure riche, mais si tout ce qu’on retient de nous c’est la possibilité infime qu’on pète un câble, on finit par se renfermer et ne plus parler. Ironiquement, la solitude et l’exclusion ont tendance à provoquer les crises. Donc tu exclus, ça crise, tu exclut encore plus parce que quand même. On fait semblant de ne pas voir le problème-boule-de-neige sous-jacent.
La stigmatisation décourage les personnes à se faire diagnostiquer. Vaut mieux vivre dans l’ignorance que d’avoir la possibilité d’un tel diagnostic. On est pas malade si on ne se soigne pas pour ça. Logique.
Le domaine de la psychiatrie est de toutes façons complètement à part. On a moins peur de certaines maladies graves que de la bipolarité. La folie est trop distincte du « monde réel », trop inexplicable. « Que ressent un bipolaire ? »
Ben là, elle se sent pas super, la bipolaire. Elle est sous traitement, je te rassure, c’était pire avant. Elle a été diagnostiquée tard, tu sais pourquoi ? Parce que la bipolarité c’est pas du tout ce qu’on croit. Elle ne pensait pas que ses rares et puissants moments de joie étaient anormaux parce que la bipolarité, c’est soit 100% euphorie, soit 100% dépression. Nope. C’est un perpétuel mélange des deux.
Aujourd’hui j’ai de la dépression dans ma manie 40/60. Y’a pas de véritable dualité. Les deux pôles sont radicalement opposés, certes, mais tout se joue entre les deux.
Véhiculer des images clichés comme ça, c’est nous nuire, en réalité.
Je ne suis pas bipolaire, je ne ressemble pas à ce qu’on en dit.
Pourquoi consulter et chercher plus loin que la dépression ou la « folie » générique ?
Quand on renforce le stéréotype il devient la norme et c’est exactement ce que fait cette tribune dans Libé.
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Moi, j’ai pas envie d’être systématiquement associée à des trucs négatifs. Ma pathologie est beaucoup plus fine et complexe que ça. Tout comme les autres copaines des gros titres : schizophrènes et autistes.
A cause de l’image de l’autiste asocial, comme on lae décrit partout, je n’ai jamais cherché à creuser de ce côté-là, je suis trop sociable et extravertie. Pourtant, on se rend compte qu’il peut y avoir une surcompensation, surtout chez les femmes qui ont plus de pression relative à leur image. Je sais par d’autres biais que je ne suis pas autiste, combien d’autres sont au courant de cette facette et ne vont jamais consulter parce qu’elles ne savent pas ?
C’est en parlant de la maladie qu’on sensibilise. Pas en l’utilisant comme repoussoir. Il faut échanger, et en premier lieu pour les patientes. Oui à l’utilisation du terme bipolaire, parlons bipolarité, oui, mais pas de « gouvernement bipolaire » parce que ça nous fait du mal.
Je fais la meuf jamais contente, je sais. Mais hier en lisant ça, j’ai eu un haut le cœur. Un malaise physique. Allons bon, à quoi vais-je être comparée aujourd’hui ?
T’imagine qu’il y a là, dehors, des gens qui ne supportent pas d’être appelés des « blancs » ? Ils ne sont pas blancs, ils voient les couleurs, tu marques un point.
Du coups ces gens en font des tonnes pour réfuter leur blanchité, c’est parfois assez stupéfiant de voir à quel point ils tiennent à ça.
Ces mêmes personnes vont te dire « Les mots sont importants » et dire dans la foulée « ce gouvernement est bipolaire » sans jamais voir le problème.
Sauf que les rapports de pouvoir ne sont pas les mêmes. Définir le dominant (« homme cis » « blanc » « CSP+ ») c’est coller une odieuse étiquette sur leur personnalité complexe.
Définir tout et n’importe quoi par le nom de pathologies mentales, en revanche, ça passe.
D’façons y’a que les dominants qui ne supportent pas qu’on les labellise. Ils valent mieux que ça. Ils sont « multi-facettes ». « Tout n’est pas noir ou blanc dans la vie » sauf lorsqu’on parle bipolarité, schizophrénie ou militantisme. Faut être subtile, surtout. Ne rien oublier du bel ouvrage qu’est leur psyché délicate, n’omettre aucune qualité sous peine de subir leurs colères.
« Je suis complexe »
Tout le monde l’est. Je ne le suis pas plus que toi en réalité. Tu es aussi un ensemble fragile de croyances, de trauma et de fonctions cognitives dans un tas d’os et de muscles, dans un monde qui marche sur la tête en jouant du pipo.
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Pour finir, un truc que j’ai remarqué.
Les gens « normaux » de ma connaissance sont blindées de problèmes parfois graves. Un conflit non résolu, une frustration, un manque, un trop-plein, des non-dits, des espoirs morts et enterrés, une anxiété latente.
Devant les discours des gens, je suis parfois complètement sur le cul. Surtout dans les domaine des relations amoureuses, en fait. Certains couples ou partenariats fructueux prennent des dimensions parfaitement pathologiques.
Les hommes qui tuent ne sont pas malades, ils sont tout-puissants. Regarde le nombre de victimes de conjoints violents. Sans folie. Juste de la possession. Et j’insiste, la vision des femmes est vraiment à l’origine de la plupart des comportements agressifs qui mènent à des féminicides.
Tu crois que ça réagirait comment si je titrais, par exemple, heu…
« La violence du patriarcat tue des femmes »
« Féminicide à Toulon : un mari misogyne tue sa compagne »
Je les entends déjà.
« Pas tous les hommes ! » « Vous généralisez ! » « Elle l’avait bien cherché ! » « Le patriarcat n’est qu’une invention ! »
En revanche, titrer sur la bipolarité, ça passe.
Donc je vais te dire une trouzmillième fois : la représentativité c’est important. C’est crucial. Des titres comme ça ne font qu’amplifier la stigmatisation.