Heure de réveil : 4h11 (chats)

Bon, c’est pas la grande forme, ouhlà, j’ai l’impression d’être une vieille de 38 ans, tsé.

Et merde.

On est lundi, j’ai fait grasse mat et dans la matinée je vais faire mon injection donc je vais comater le reste de la journée la la la.
J’ai zéro fucking idea de quoi je vais te causer, j’ai la tête dans un étau pour changer, une bien veille crève-not-covid, t’inquiètes, tu peux continuer à lire ce billet sans masque si tu es chez toi. Enfin sauf si tu utilises un masque chez toi auquel cas tu fais comme tu le sens.

J’ai fait un billet trop lourd et trop perso hier, faut que je trouve quelque chose d’un peu léger

Edit : c’est pas mal foiré.

🐹🐹🐹

«Mais vous avez tout pour être heureuse»
– ma future-ex psychiatre après 53 minutes de rdv

Elle a raison. De loin, de dos, j’ai tout pour être heureuse. Je suis une femme blanche avec tout ce que ça implique de privilèges, je suis cisgenre, hétéro, mariée avec un mec adorable qui a tenu bon contre vents et marées, j’ai un enfant qui va relativement bien, je suis propriétaire de mon logement, je suis salariée, j’ai un CV qui me permet de toutes façons de trouver assez facilement du travail.
Je n’ai pas de problème de santé apparent, juste deux trois signes ostensibles de punkerie, normal pour une jeune maman de 22 ans.

Moi ça me fait penser à ça.
Voici la quatrième de couverture de ce livre sans doute hautement philosophique et inclusif surtout.
Much prolétariat. Much feminism.
MAIS T ‘AS-TOUT-POUR-ÊTRE-HEUREUSE
« Ce matin vous vous extirpez de dessous la couette avec fougue parce que l’homme n’est pas là. Parti à la campagne planter une centaine de pommiers. Qu’il a dit… Vous faites deux pas sur la moquette. Et d’un bond vous vous recouchez. » Assaillie plus que de coutume par ses compagnes des mauvais jours, « soeur angoisse » et « pieuvre géante », Madame réalise qu’il est grand temps de consulter. Que faire de sa vie lorsque ses enfants sont grands, que son mari est parti planter des pommiers, que ses copines ne lui semblent d’aucun secours ?
NicoLe De BURON est scénariste de films (Erotissimo, Elle court, elle court, la banlieue…) et des célèbres Saintes chéries. Elle est aussi l’auteur de nombreux romans, entre humour et satire sociale, dont C’est quoi, ce petit boulot ?, Vas-y maman ! et Dix jours de rêve.”

On t’a déjà dit ça, hein ?
«Mais t’as tout pour être heureuse»
Je ne sais pas si tu as remarqué mais ça implique surtout une notion de confort économique. Travail, logement, possibilité de se soigner, d’avoir des loisirs. Viennent ensuite l’apparence physique, la stabilité du foyer, la bonne santé des chats et c’est plié, non ?

Non.
Cette meuf m’a sorti ça à la fin de la consultation alors que je lui avais livré deux trois de mes plus gros dossiers, ainsi qu’une mention de la spondylarthrite qui accompagne mes jours zé mes nuits since 1997

«Je suis bipolaire
– Vous avez tout pour être heureuse !
– Je suis handicapée.
– Ça vaaaaaaaaaaaa !
– J’ai subi des traumas sévères dans mon enfance
– Allez, ça va passer»

J’ai fait un peu cette tête : 😒
Merde, c’est son boulot, je sais pas, non ? De détecter qu’une personne est en souffrance ? Ou alors elle a dit ça pour me signifier qu’elle ne voulait pas m’avoir comme patiente ? Mystère.
«Vous êtes stabilisée»
Ah. Bah je savais pas. Hey, bonne nouvelle ! Je vais aller dire ça à mes pulsions suicidaires, comment ça va les calmer !

Franchement j’espère que c’est la deuxième option. Le souci quand tu réussis à être fonctionnelle c’est que tout le monde n’y voit que du feu. Ma maison n’a jamais été aussi bien rangée que durant ma dépression post-partum.

Je pense que c’est une des pires phrases à se recevoir pleine poire quand tu vas mal. Parce que tu le sais bien, que tu as tout pour être heureuse. Et pourtant, ça va pas. Alors on fait quoi ?
Ben déjà, tu culpabilises, justement parce que tu es bien consciente d’avoir «tout». Si tu as «tout» tu n’es pas sensée déprimer, sur papier. Quelle raison ? Tu as un lave-vaisselle, petite ingrate !

Est-ce qu’on t’a déjà mentionné les petits enfants qui meurent de faim en Somalie quand, enfant toi-même, tu boudais tes choux de Bruxelles ? C’est un peu l’impression que ça me fait.
Comme t’es pas littéralement en train de crever, finalement, ça passe, t’abuses. Toujours plus, hein, ces jeunes…

🐳🐳🐳

Bon, déjà, les enfants qui meurent de faim je te le dis tout de suite, c’est traumatisant ET c’est une technique de merde. Parce qu’il y aura TOUJOURS quelqu’un qui aura la vie plus moche que la tienne.
Si on suit cette logique, un petit enfant somalien qui meurt de faim mourra peut-être MOINS de faim que son voisin, alors de quoi se plaint-il ? Il est encore en vie, lui.
Est-ce que tu saisis le problème dans le raisonnement ? C’est pas forcément une faille logique (il y a toujours plus malheureux), c’est une faille humaine.

«Y’a pire ailleurs» c’est une stratégie de détournement d’attention (de merde) et c’est super utilisé par les edgelords masculinistes qui se croient super malins genre personne t’as jamais fait le coup, hein ?

🐡 Déjà, ça balaye sous le tapis tous les problèmes sans jamais les aborder.
🐡 Ensuite, ça te culpabilise à mort. C’est vrai, ça, t’es vraiment une enfant gâtée.
🐡 Enfin, ça coupe court à toute possibilité d’analyse. Si il n’y a pas de problème, il n’y a pas de problème.

Non-problem solved !
On nous fait souvent le coup avec le «Mais les femmes en Afghanistan elles souffrent plus que toi». Oui, je sais, qu’elles souffrent, je suis sans doute bien plus calée que toi dans le domaine des droits des femmes, Jean-Nuisible. Ensuite, remballe ton complexe de white savior s’il te plaît, je vais avoir plein de merde sur le tapis après !

Parce que le mec qui te dit ça, il y va pas non plus, en Afghanistan.
Hé ouais. Donc qu’il prouve ses Grandes Valeurs Humanistes, ensuite on en reparlera. Y’a les Alpes, en moins loin, pour les exilées, sinon tu as Calais, tu sais, on y a besoin de toi. Non, c’est déjà plein, chez Génération Identitaire, va plutôt te noyer dans ta baignoire finalement.

🦁🦁🦁

Donc t’as tout pour être heureuse et tu n’obéis pourtant pas. Rebelle.
En fait cette phrase elle a un seul sens, un seul but :
«Ferme ta gueule avec tes broutilles et rentre chez toi»

Enfin moi c’est ce que ça me fait.
Et qu’une soignante, à fortiori une psychiatre, me dise ça, j’avoue, ça me tue un peu en dedans moi.
Mais la gravité de tes problèmes, c’est toi qui la détermine en fait.
En général quand je raconte les sombres épisodes de mon enfance tout le monde me fait «ohlàlà ma pauvre». Alors que ça fait quelques années que c’est digéré. J’y pense sans souffrir outre mesure. Je n’ai quasi plus de remontée traumatique.

Mais, forcément, je devrais grave en souffrir tous les jours. Alors que heu…non.
Je peux écouter et accompagner des victimes sur le sujet car j’ai justement la possibilité d’aborder ça, non pas sans affect, mais sans que la rage me submerge.

Idem avec les épisodes de violence conjugale que j’ai traversés. Ça m’a pris du temps, mais là, ça va.

La souffrance psychologique liée à mes pathologies physiques, en revanche, tout le monde s’en fout. Enfin non, les seules qui s’en sont jamais foutues sont les copines et les proches, ou les personnes elles aussi atteintes de douleurs chroniques.
Balayer une pathologie chronique comme éventuel facteur de dépression c’est excessivement idiot et irresponsable quand on est soignante.

🐙🐙🐙

Il n’y a rien de plus intime que la souffrance et l’amour, je pense. Chacune les vit comme elle le peut. Avec ses armes, ses outils, son expérience. Un événement traumatique chez l’une ne va pas déclencher la même détresse que chez l’autre, c’est normal.
Il n’y a pas de réaction type face aux sources de trauma. Partant de là c’est extrêmement, extrêmement casse-gueule que de dire «Mais pourquoi ça va mal, alors ?»

Parce que touche à ton cul, Marie-Mouise, touche à ton cul.

Il y a l’autre face de la tartine de «nutella» : pourquoi un événement sensé être insignifiant déclenche une crise terrible ?
«Oh ça va, c’est rien…»
«Tu vas t’en remettre, allez»

Je plaide coupable pour celle-ci, trop distanciée de mes émotions que je suis. Je m’excuse auprès des personnes à qui j’ai pu dire ça parce que c’était drôlement con de ma part. Pardon.

Tu vois, moi, des fois, je vais boire un café en terrasse, enfin, avant, m’envoie pas le GIGN stp je ne brave pas le confinement monsieur l’agent, tout va bien.
Et on me donne ma tasse de café, sur laquelle est inscrite le prénom de la personne qui m’a fait vivre l’enfer durant 7 longues années de terreur.

Et, souvent, je suis restée paralysée devant cette foutue tasse que j’avais envie d’éclater par terre avant de la piétiner avant d’y foutre le feu (La porcelaine ça crame pas mais on s’en fout).
En PLS face à une tasse à café, fais plus insignifiant que ça. Je dis PLS sans exagérer, je me suis déjà retrouvée à hyperventiler pour finir par me barrer en jetant les sous sur la table.

🍉🍉🍉

Est-ce que, comme chez Proust, une odeur peut réveiller des sentiments ou des souvenirs en toi ?
Moi c’est le monoï. Souvenir de vacances avec mes demi-sœurs et mes demi-frères. Cette odeur me plonge dans un bien-être immédiat et durable. Et les jacinthes… ♥

Et l’odeur de la peur et du stress.
Je reconnais cette odeur entre toutes. Une personne dans le RER trop collée à moi qui porte cette odeur me replonge immédiatement en Traumasie. Il m’est arrivé de griller directement une amie en état de choc ou en détresse, sans un mot, juste à cette odeur.

Le PSTD (stress post traumatique) n’a pas besoin de gros déclencheurs (trigger) pour se manifester. Un son, une impression, une image, une odeur et c’est parti.

Partant de là…ben la détresse elle est toute personnelle. Un truc qui va me coller la chiale te laissera totalement indifférente, genre la tasse de café. Bon déjà ça va mieux à ce niveau, ça fait deux ans que je peux boire de nouveau du café (mais je le trouve dégueu).

🦋🦋🦋

Bref : c’est subjectif, totalement.
Si une personne te dit qu’elle ne veut pas aller dans un café parce qu’il porte un certain logo, c’est chiant, oui, parce qu’il faut marcher un peu plus. Mais c’est surtout respecter les «peurs irrationnelles» de l’autre. Tu sais rien de ce qui se passe dans l’esprit de ta pote, tu captes pas pourquoi c’est SI GRAVE 😱

Mais, à ton avis, ta pote elle préfère quoi ?
Etre mal dans un lieu qui lui rappelle des choses affreuses ou qu’on respecte sa demande sans poser de question ? Minimiser la souffrance ça ne marche pas. Ça minimise toi, ce que tu ressens, ça calme un peu ta culpabilité, et ta profonde impuissance, car il s’agit de ça, en réalité. Tu ne peux pas faire grand chose pour moi, là, on va pas faire 5 séances de TCC sur le trottoir d’en face pour me désensibiliser.

Ça solutionne le problème pour toi, de le nier. Alors ok, on est pas toutes assistantes sociales ni aidantes, on a pas forcément envie de «réparer» ET C’EST ABSOLUMENT OK. Mets-toi ça en tête : c’est ok. Tu as le droit de ne pas être touchée par l’autre ou de ne pas avoir l’envie, les ressources, le temps et la disponibilité pour ça. Rien ne t’y oblige.
Mais respecte lae. Ne minimise pas son vécu ou sa souffrance, t’en connais rien.

Tu sais pas jusqu’où va le mille-feuilles. Tu as juste effleuré le glaçage, là. Les gens ne te racontent pas forcément tout. Il y a des choses qu’on garde, des choses qui font putain de mal mais qu’on ne partage pas, ou seulement à quelques personnes très proches.

🐠🐠🐠

On a la honte, aussi. Moi, j’ai honte de pas mal de choses, encore. J’y peux rien. C’était moi la victime mais je l’ai bien cherché, hein ?
Je ne parle pas de tout, encore. Y’a encore des couches du mille-feuille que j’ai laissées bien au chaud près de la chambre magmatique parce que c’était pas le moment. C’est toujours pas le moment, ce sera le moment quand ce sera le moment.

Tu peux jamais savoir ce que cache l’autre. Même après des années tu découvres encore des choses de tes proches. De la même manière, je ne connais pas tous tes traumas. Il peut m’arriver de marcher dessus par inadvertance, en plus j’ai un vrai don pour repérer les zones à risque en m’y vautrant, à moi de m’excuser. Ça arrive, je ne peux pas tout savoir. Encore pardon.

Personne n’a «tout pour être heureuse». Comparer une liste sur papier à une vie bel et bien vécue, c’est de la connerie. Un «petit» événement peut avoir d’immenses conséquences.
Ça m’est bien arrivé de pleurer de manière incontrôlable parce que je n’arrivais pas à sortir les glaçons du moule, hein. Qui suis-je pour juger.
Alors non.
Merde.

L’injonction au bonheur déjà c’est du triple bullshit piqué mais rentable. Et ça, toute l’industrie du coaching l’a bien compris.
Tu as le droit de te sentir mal, même sans «raison valable».
Je sais que je me répète mais sans même parler de ta vie, la situation du monde est ultra-flippante, on a absolument toutes les raisons de paniquer et d’aller mal.

🐘🐘🐘

On nous abrutit pour faire de nous des travailleurses dociles et fécondes.

Alors si sur papier tu as tout pour être heureuse, ferme bien ta gueule et retourne cravacher, flemmasse. T’as pas à te plaindre. Retourne bosser et fais-toi suivre par une psychologue qui va te demander 80€/semaine. Tu les as pas ? Dommage.
Au fait, faut payer le crédit de la maison donc je te conseille de te remettre vite vite à produire sinon on t’enlève tout ça.

On vit en coercition, comme tu veux être superbien superépanouie ? C’est comme demander à une personne qui vient d’accoucher «Alors, heureuse ?». Ouais, heureuse d’avoir un bébé vivant, mitigée sur le reste, tu vois…

Moi j’ai tout pour être heureuse, je déprime et je t’emmerde, Marie-Mouise. C’est pas un plaisir, la maladie mentale. C’est pas une expérience épanouissante, ni transcendante, à vivre.
J’ai pas tout à fait choisi les virages de ma vie, j’ai surtout subi le truc avec la gerbe parce que les lacets ça me colle toujours la gerbe.

PS : si tu me lis, que tu te sens mal, si tu as envie de causer, mes MP sont ouverts. Je suis comme les curés mais en plus funky, j’dis rien, jamais, j’aime bien la drogue1 et j’écoute de la musique sympa.

  1. je parle de la caféine et de la nicotine, bien évidemment []