À les entendre, on déteste notre pays, on trahit son essence profonde et en plus on se moque d’Éric Ciotti sans vergogne. Léon Blum a été invoqué plusieurs fois par des gens qui, je crois, n’ont pas trop trop suivi les cours d’Histoire-Géo, pour faire de la gauche un danger comparable à celui du RN. Je dois avouer que cette diabolisation du « Nouveau Front Populaire » me tue un peu. Je ne pensais pas, mais tout arrive, entendre ouvertement la bourgeoisie appeler au fascisme pour protéger ses petits intérêts.

Nini MacBright a reposté Toni Rummo @JazzYourLife C'est nul, on ne pourra même pas tondre Ciotti à la libération. 11:14 - 11 juin 24 • 112K Vues

La France a un problème de bourgeoisie.

Un GROS problème, et depuis « pfffiout, au moins tout ça. »

C’est la bourgeoisie qui a fait capoter la Révolution (celle de 1789/1799) avec Napoléon Bonaparte Le Subtil.

C’est la bourgeoisie qui a fait capoter les Trois Glorieuses (1830).

C’est la bourgeoisie qui a fait capoter la Commune et la Révolution de 1830, puis de 1848 avec un autre Napoléon.

Et on n’est qu’en 1848 !

Cela dit, ça prouve qu’on peut se révolter. On peut réclamer et obtenir. Mais les portes sont bien gardées. Une fois le peuple parti à l’assaut, une fois que la répression a ôté suffisamment de vies, la bourgeoisie arrive et récupère le truc. C’est ce qui se passera, ici, et c’est à nous de les bloquer.

1794, abolition de l’esclavage. 1802, restauration de l’esclavage par Bonaparte. 1815, il se plie et dit ouais « ok d’accord mais » après Waterloo. 1848, autre abolition de l’esclavage. Et on fait quoi ensuite ? On continue à exploiter sans vergogne les territoires d’Outre-Mer. Mate ce qui se passe à Mayotte. Mate où en est Haïti. Mate la Nouvelle-Calédonie. J’ai habité un an à La Réunion. Même le moi de 18 années de vies a capté que c’était totalement anormal, ce qui se passait.

Qui veut que les femmes restent dépendantes ? Pas les socialistes. C’est bien les révolutionnaires qui ont ouvert le droit au divorce, droit renié sous Napoléon, droit qu’on doit attendre jusqu’en 1975. Le droit de vote ? Sans doute une oeuvre bienfaitrice des conservateurs, hein ? Des femmes à la maison, et une binarité de genre, surtout. Faites des bébés pour faire la guerre. Mais pas nos bébés, pas les bébés bourgeois qui, plus souvent qu’à leur tour, esquivent les responsabilités citoyennes en grandissant.

Image d'illustration : Arc de Triomphe

Image par Mathis Lagadec de Pixabay

Le seum historique

En ce moment, je me renseigne sur les modèles éducatifs familiaux et les tradwifes au fil du XXe siècle. Je me rencarde aussi sur l’histoire du féminisme car j’ai ce livre qui n’attendait que ça.

La période est 1848/1914 et on va dire qu’après des jours de recherche, de lecture de livres datant de cette époque, j’ai une idée plus précise de la réalité historique et des contraintes que, justement, la bourgeoisie fait subir à toustes les autres. Ce sont les bourgeois, avec la monarchie qui ont tout fait pour stopper le féminisme. Bourgeois et aristo, même combat.

Parce que oui, ces deux-là sont en cheville. Bien sûr. On préserve les intérêts des uns et des autres, non ?

Voir Macron débiter sa peur de la Gauche tout en se proclamant Républicain, sans déconner, c’est terrible pour le moral, t’as pas idée. Le mec se croit porteur des rêves et des espoirs révolutionnaires, il se la joue chantre de la Raison et du Savoir, alors qu’il débite les mêmes conneries que les Bonapartistes. Mec, ce que tu crois que tu dis n’est pas vraiment ce que tu dis.

Inigo Montoya meme : You keep pusing that word. I do not think it means what you think it means.

Tu continues à utiliser ce mot. Je ne pense pas qu’il signifie ce que tu crois qu’il signifie.

D’ailleurs, le Front Populaire, c’étaient pas des tendres, hein ? Tu crois qu’ils ont obtenus des trucs et des machins juste en demandant gentiment ? Est-ce qu’ils seraient considérés comme terroristes, aujourd’hui ? Yep. Toute cette violence indicible pour nos conquis sociaux, est-ce que tu aurais préféré continuer à te faire exploiter au travail ?

On ne peut pas simultanément se réclamer d’une France avant-gardiste et progressiste tout en faisant exactement comme tous les bourgeois lors des troubles précédents.

Mes grands parents maternels ont vécu le Front Populaire. Ma Mamie avait 10 ans, mon grand-père 7. Lorsque j’ai passé le Brevet des Collèges, on m’a demandé quelle période historique me mettait le plus en difficulté, j’ai répondu « 1936 ». Alors ils m’ont raconté (et le sujet est tombé le lendemain). Ils m’ont raconté, et j’ai retenu un truc.

« On a enfin pu partir en vacances, et les riches nous regardaient de travers à la plage »

 

Mon pays est capable de ça.

Mon pays est capable de se réveiller, de se révolter, de ne pas abandonner, de tout donner.

Et ça, j’en suis super fière. Je suis fière de l’inspiration que ces Révolutions ont apporté au reste de l’Europe. Je suis fière des lois progressistes quasi-inédites qu’on a réussi à mettre en place. Je suis contente qu’on « grogne », qu’on dise non, qu’on ose aller vers l’inconnu.

Mon pays est aussi capable de culture (et de culture du viol, comment ne pas le dire ?). Même si Bourdieu est chiant à lire, même si Piketty est également chiant à lire, on peut produire des pensées intéressantes et parfois novatrices. Genre Les Lumières, tout ça. On sait peindre, faire de la musique, inspirer.

L’Artisanat est aussi une des qualités françaises. Une industrialisation plus lente a permis de conserver ces savoirs. On le voit dans le BTP, je ne sais pas chiffrer de tête la proportion d’artisan-es mais on est une « anomalie » à ce niveau. On a des artisan-es extraordinaires ! Là, je pense à l’artisan chocolatier que j’ai vu hier. Aux tourneur-ses de bois. Aux boulangè-res !!! J’assume un gros parti pris mais on fait le meilleur pain du monde.

Image d'illustration : baguettes de pain traditionnel

Mon pays est aussi capable d’aider les plus fragiles.

Le système de santé français est envié par beaucoup. L’assurance-chômage, la retraite, tous les trucs que les bourges veulent défoncer pour s’enrichir, tout ça, c’est précieux. Les Français-es l’ont réclamé, ont lutté pour, y compris récemment avec les lois chômage et retraite.

Je suis aujourd’hui en invalidité à plus de 50%, ça m’assure quelque chose : je sais que mon handicap est reconnu, que mon incapacité à travailler est reconnue, je suis reconnaissante de pouvoir vivre quand même. Même si je suis considérée comme inutile. J’ai le droit de vivre. C’est une chance incroyable, pour moi. Cela me permet de dépendre le moins possible des autres et de poursuivre mes projets. Avec le CPF, je suis en formation depuis le mois de mars, j’ai pu financer tout ça avec ce que j’ai cumulé en travaillant.

Si mon fils va profiter d’une AVS dès la rentrée prochaine, c’est aussi grâce à ce modèle social que ces enfoirés piétinent allègrement. La MDPH a aussi pris en compte le fait que je doive m’occuper de lui et que cela entrave ma capacité à travailler, et va nous verser quelque chose. Pas des masses, hein, mais quelque chose.

Début juillet, je vais en hospitalisation de jour pour reprendre un traitement anti-TNF. Grâce à l’ALD, j’ai pu faire les examens préalables et je peux suivre ce parcours qui coûte vraiment cher. Je vais bénéficier d’un suivi, on va faire un bilan complet de mon état de santé et réétablir le diagnostic.

Maintenant : est-ce que tout cet argent juste pour ma pomme, c’est bien, alors que je bosse même pas ?

Oui.

Parce que l’argent, on l’a. Rien que la taxation des super-profits permettrait de rééquilibrer plein de choses. Le Trou de la Sécu est un mythe : la Sécurité Sociale est un fond d’aide, ce n’est pas une entreprise avec une vocation de rentabilité. La CPAM n’a pas à faire de bénéfices, pas plus que l’Assurance Chômage ou les Caisses de Retraite. Le principe, c’est qu’on reverse comme on peut. Le problème, c’est ceux qui ne veulent pas reverser comme iels peuvent. La fraude fiscale (c’est à dire celle des entreprises) est estimée à 60 milliards d’euros par an. C’est pas moi qui creuse quoi que ce soit : c’est le patronat qui ne veut pas jouer le jeu.

Image d'illustration : stéthoscope, carte Vitale, feuille de soins

Trop de régulations ?

Récemment, grâce à une amie (coucou !), j’ai appris que les enfants acteur-ices voyaient bloqués 90% de leurs revenus jusqu’à leur majorité. Quand tu vois les horreurs avec Nickelodeon et les enfants stars aux US, ouais, tu te dis c’est pas mal, de limiter l’exploitation des enfants.

Je sais aussi que je peux à priori me fier aux étiquettes sur les produits. Je sais que c’est testé, régulé. J’ai fait un stage en cantine scolaire : tous les jours, le staff met de côté des échantillons de chaque plat pour que l’inspection puisse prélever et analyser pour valider l’absence de toxiques ou de parasites. Les résultats arrivent chaque semaine, les prélèvements étant randomisés. Les normes d’hygiène en cantine sont, elles aussi, incroyables. Cherche « norme HACCP » et tu vas capter comment et pourquoi les cuisines sont pensées pour minimiser à tout prix les risques sanitaires.

Je suis contente qu’on régule les produits pharmaceutiques et les compléments alimentaires. Chaque année, la revue Prescrire livre une liste de médicaments déconseillés et la transmet au public et aux professionnels de santé. Je chiale toujours la fin du Myolastan et du Diantalvic, mais je peux comprendre. Si des médicaments sont considérés comme dangereux, c’est pas mal de le savoir.

Et puis, je suis contente qu’on régule le travail, bon sang ! Si tu laisses faire les patrons, on te presse comme un citron jusqu’à épuisement avant de te remplacer aussi sec. Les 35h, c’est plutôt bien. Les Prud’hommes c’est quand même bien. Même si ça fonctionne mal. Même si j’ai subi des discriminations et du harcèlement, je sais que j’ai pu le dire (et mon ex-directeur a été puni, woot woot !).

Ce qui me manque

Le train. C’est con, hein ? Mais voir des gares vides, fermées, à l’abandon, ça me déprime absolument. Tout a été fait pour favoriser la voiture, parce qu’on fabriquait des voitures et donc qu’il fallait vendre des voitures. Mais moi, depuis chez ma maman, j’avais 10 mn de train pour aller au lycée tous les matins. 25 mn en voiture. Pourquoi dépiauter cette gare ? Lorsque j’ai été au tribunal pour mon père en 2018, en Lozère, j’ai réalisé que le train des Cévennes avait été remplacé par un bus. J’espérais des paysages, j’ai eu du car et de l’autoroute.

Un bureau de Poste. Celui juste en face a été fermé, c’est désormais le buraliste qui s’occupe des colis. La mairie a tenté d’empêcher la fermeture, mais La Poste a tranché. Il me faut maintenant marcher 10 mn et prendre le bus pour me rendre dans un bureau de poste.

Moins d’anxiété liée à des questions économiques et sociales. Là, concrètement, chaque mois, je ne sais pas si je vais avoir des sous ou pas. J’ai vécu plusieurs « oups non en fait vous n’avez rien ce mois-ci haha », c’est extrêmement anxiogène. Pour une personne au psychisme déjà sujet à des angoisses mortelles, la dégradation de ma sécurité ne fait qu’aggraver mon moral déjà défaillant. Depuis plusieurs années, je me demande quand ce sera mon tour de disparaître parce que je fais chier et que je ne suis pas suffisamment rentable pour la société.

Une solidarité de classe. Dans ma folle jeunesse, j’ai connu des fachos. Je ne les aimais pas, hein ? Mais j’en ai connu, et je les ai écoutés. On avait les mêmes préoccupations mais pas la même manière d’y répondre : là où certain-es veulent juste éliminer les non-français-es et non-blanc-hes qui piqueraient dans la caisse, d’autres veulent au contraire plus d’égalité pour permettre un apaisement global. Aujourd’hui, il est impossible d’échanger. Le paysage politique est tellement clivé (à dessein) qu’on nous met toujours dos à dos (à raison ou pas). J’aimais mieux le dialogue, même si, attention, je parle pour convaincre, je ne me laisse pas bercer non plus. Aujourd’hui, si je croise un-e faf, je respecte une distance sanitaire. La solidarité de classe n’existe que sous forme de souvenirs hallucinés dans nos moments d’euphorie causés par la fièvre. Et je suis extrêmement triste de voir des personnes précaires défendre ceuxlles qui leur tondent la laine sur le dos.

Un sentiment d’appartenance. Je fréquente des communautés anglophones, et la vision de la France me désole. Je n’ai pas de honte, mais… C’est pas évident de le porter non plus. On a une image désastreuse à l’international. Les français-es sont vu-es comme des personnes condescendantes, arrogantes, bourgeoises (c’est un des premiers mots qui ressort), racistes, tellement racistes, traditionnalistes et fermés au monde. Après, je leur dis que mon daron était Allemand, et là, laisse tomber.

En plus, je vis là.

Je n’ai pas l’intention de partir : plein de trucs sont super bien, là, ici. J’ai envie de rester chez moi. Fondamentalement, je suis attachée à ce pays. C’est mon pays. Je suis née ici, j’ai grandi ici, j’ai fait mes études, travaillé, j’ai participé à la vie citoyenne et j’ai même fait un enfant.

On vit là, ensemble, malgré tout. Je n’ai rien contre mes voisins. Que des personnes puissent s’en remettre au RN, je peux l’entendre, je comprends la rage, la hargne, les déceptions cumulées. Bien sûr, je préfèrerais que tout le monde réalise que oui, le socialisme c’est super chouette. Et pas post-mortem, car vu le rythme où ça va, on saura bientôt ce qu’on a perdu et ce qu’on n’a pas gagné. Mais ces gens et moi, on habite le même pays. Là dessus, il faut faire quelque chose, on ne peut pas vivre un clivage pareil aussi longtemps, ça devient impossible.

Un micro-souhait que j’ai, un truc irréalisable, c’est qu’on reste respectueux-ses des personnes qui ont voté RN sans réelle conviction idéologique. Les leaders, les cadres, ouais, à la benne. Mais les gens bercés à la télé qui se sentent mieux en votant faf, ce sont des personnes manipulées et pas obligatoirement des nazis. Iels votent contre leurs intérêts sans le réaliser. Les prendre de haut n’arrangera jamais rien. Se battre pour une pluralité des médias, ça a vachement plus de gueule que de taper encore sur les personnes précarisées.

Même si mon pays devient un endroit craignos, je reste. Si toutes les dissidences se font la malle, on va laisser les plus vulnérables ici. On a plein de choses à faire, à réaliser, à construire. On ne peut pas laisser tomber ceuxlles qui n’ont pas le luxe de partir. Et si tu me parles du Canada, je te répondrai qu’ils ne prennent pas les étrangèr-es en situation de handicap (j’en ai marre qu’on me renvoie toujours au Canada, comme ça, c’est loin d’être le paradis, hein ? Et il faut avoir les moyens de partir !).

C’est hors de question.

On doit faire ce qu’on peut.