Rediffusée jusqu’en 2022, Le Jour où tout a basculé raconte des tranches de vie où tout a basculé. On va dire JTB parce que même l’acronyme entier me tanne à réécrire.

En gros, c’est du docusérie Action : moyens visiblement réduits, acteur-ices à la ramasse totale, scénarii risibles, le fait que ce soit passé à la télévision de manière non sarcastique me tuerait si je n’aimais pas regarder un épisode ou deux de Strip Tease de temps en temps.

J’ai découvert cette perle avec les VOD de Sad Panda (@SadPandaShow)

(Je conseille un visionnage à vitesse 1,2x dans les paramètres YouTube, c’est compréhensible et moins long)(Non, en fait je ne conseille pas ce visionnage)

Mon fils est devenu raciste

C’est le thème du jour. On va résumer le synopsis : Jean-Machin a perdu sa femme et son travail, il est obligé de revenir chez sa mère et BLAM tous ces accrochages de la vie l’ont rendu raciste. Or, les nouveaux voisins de la maman sont NOIRS. Une période de tension s’en suit, avec de beaux gestes d’amour comme pisser contre leur porte (bravo), jusqu’au jour où la voisine NOIRE et infirmière sauve la vie de la maman. Alors, Jean-Truc n’est plus raciste.

Je…j’ai besoin d’un moment loin de l’écran. Urk. en 4 phrases j’ai ruiné mon aprèm. Allez, Jeanne, reprends-toi, tout va bien se passer.

Franchement, vu les gueules que je viens de me taper (alors que je connais déjà l’histoire et mon analyse), je pense que ça vaudrait le coup de react en live car ça a dû être épique.

Bon. On a eu un Opossum, on continue.

 

Le déclic de Jean-Foutre

Alors, c’est pas propre à lui, mais j’adore le parallèle « il a perdu sa femme, ses enfants et son boulot ». Si tu places tout au même niveau, je comprends pourquoi tu as « perdu » ta femme que tu qualifies de salope tout au long de ces 22 minutes abominablement longues. Ou, à la limite, il a d’abord perdu son taff et elle s’est barrée, bien sûr. Parce que les femmes, c’est comme ça. On verra d’ailleurs qu’elle refuse de lui ramener les enfants chez sa mère. Peut-être parce qu’entre ses déboires professionnels et le détail qu’était sa famille, il était pas vivable. Ou alors parce que c’est un gros raciste, aussi. Laissons ouvert le champ des possibles. Ou pas.

« Pourquoi elle a eu le droit de garde, cette salope ? Si elle m’empêche de voir mes gosses, j’vais la buter. »
(oui oui vraie citation)

On n’est donc pas ici dans une perspective objective. Aucune contradiction n’est apportée aux propos outranciers de ce type, la plus forte réaction sera d’ailleurs un « ah non » de sa maman. Ici, on est sur le point de vue de celui qui est présenté comme une victime. Il est victime de circonstances qui l’ont rendu raciste.

Quel est le rapport entre sa femme, son boulot et les personnes racisées ? Au mieux, on a un « ils nous volent notre travail ». Ils t’ont volé ton travail, et donc ta femme est partie. Donc racisme. Sans déconner. Au lieu de foutre sur la gueule au capitalisme qui vole le travail de tout le monde, tape sur les immigré-es, connard.

Bref : il est devenu raciste.

 

La mère de Jean-Nuisible

Tu vas dire que je ne suis pas sympa, mais si mon gosse arrive un jour à la maison en tenant des propos haineux, bah il se casse et il se démerde pour la suite. Par ailleurs, vu son éducation, la possibilité qu’il « devienne » raciste par erreur est eeeeeeextrêmement mince.

« Mais qu’est-ce que tu peux être négatif ! »

« Il ne sait pas ce qu’il fait ! »

Et là, on parle éducation.

Non.

À AUCUN moment on ne parle éducation. Jamais la mère ne se demande comment elle a pu se foirer à ce point. Jamais elle n’aborde ça avec son fils. Elle n’essaye pas de comprendre, elle fait des yeux de lapin pris dans les phases d’un 12 tonnes et pleure.

Sauf que bon, on sait que le fascisme, ça s’apprend souvent en famille. Oh, pas forcément de manière frontale, non. Mais on apprend doucement la peur, la détestation de l’étranger, le conservatisme, les idées sur la place des femmes. Si le déclic a pu se faire, c’est qu’il y avait la possibilité qu’il se fasse. Et s’il parle de buter sa femme, c’est bien qu’il a un gros souci de base, l’enfant en question.

Moi aussi, j’ai perdu mon boulot. Je suis en situation de handicap et ma vie n’est pas simple, voire injuste. Mais très tôt, on m’a appris ce qu’était la politique, son importance, l’antiracisme et tout un tas de trucs utiles. Est-ce que je suis devenue raciste ? Non. J’ai toujours des résidus de culture de la blanchité, que j’identifie et que j’adresse. J’estime qu’aucune personne blanche n’est totalement antiraciste, de toutes façons. Mais j’ai toujours craché sur les fafs et je continuerai.

À la limite, on peut parler de dépolitisation, en étant dans la générosité de mon petit cœur woke. Les personnes dépolitisées sont de bonnes cibles pour l’extrême droite.

En revanche, les qualificatifs adressés à sa femme, ça…il y a vraiment pas mal de chances que ça soit de l’éducation tout au long de la vie.

 

La résolution

Alors attention, ça va aller vite. La mère de Jean-Machin fait un malaise cardiaque à cause des remarques de son fils (c’est elle qui le dit). Sa voisine NOIRE lui sauve la vie, le fils est guéri de son racisme. Le voisin lui donne même une opportunité de travail. Tout le monde devient super pote. Youpi.

Pourquoi ? Parce que les voisins ont prouvé leur utilité. Pour se dégager du racisme, il faut donc prouver qu’on vaut la peine de ne pas être haï-e. Voilà.

Le message est donc adressé aux personnes de couleur : prouvez que vous valez le coup et tout se passera bien. Mais faut le prouver, hein ? Genre sauver un gamin d’un feu = nationalité française, toussa. Les autres, vous pouvez continuer à subir, vous méritez pas.

Comme le dit la présentatrice Nathalie Fellonneau : « Par leur dignité et leur générosité » les personnes victimes de racisme parviennent parfois à tirer les victimes de l’aveuglement raciste de leur stupeur.

Car un raciste est « victime de son aveuglement », pour ne pas dire victime tout court. Les pauvres.

« Je n’étais plus moi-même »

Je suis tellement atterrée que je vais faire une autre pose. Même en jouant du sarcasme, j’ai de vieux relents bien crades et des envies de casser des trucs.

 

Nous disions

C’est donc aux personnes racisées, victimes, de bien se comporter en priant pour que le fog quitte l’esprit des gens racistes. Parce que les blancs ont le droit de se comporter comme des merdes, mais les autres non. Il faut être exemplaire pour faire changer les mentalités.

Alors que bon. C’est plutôt aux blancs d’apprendre aux autres blancs comment pas être de gros cons, à mon avis. Les personnes victimes de notre « aveuglement » (moi j’appelle ça de la haine, mais ok) n’ont en aucun cas à délivrer de la pédagogie ou à prouver quoi que ce soit. Mieux, ces personnes ont le droit de se comporter mal elles aussi.

J’ai regardé en 1,5x d’autres épisodes de la même série, à propos du racisme. Et jamais rien n’est creusé. Jamais.

Perso, Steph et moi on appelle ça de la propagande. Et ça en est. Sous couvert de vidéos pleines de bonnes intentions, on véhicule ce type de clichés. Que le racisme est question d’aveuglement ou d’accident de la vie (pas d’éducation ou de quoi que ce soit de systémique, donc), qu’on peut en sortir si une personne noire nous sauve la vie. Qu’il faut plaindre les racistes, les racisés ont l’habitude (c’est dit dans cet épisode) et ne doivent surtout pas entrer dans la haine ou le conflit.

On rentre chez toi, on pisse sur ta porte, on t’insulte, mais surtout ne fais rien et attend le moment où toi seul peut aider. Ensuite, par magie, on est dé-racisté. Tout le cadre social se remet en place et on parle même mieux à son ex-femme et on voit ses enfants et on a un nouveau boulot.

 

Aussi ridicule que cela puisse paraître, si on produit ces trucs en série et en quantité aussi importante, c’est bien que ça trouve un public. 20 minutes de bruit blanc auraient un meilleur effet sur les gens. Je ne suis pas étonnée mais esbaudie de voir que ça se vendait jusqu’en 2022. Et encore, je n’ai que 20 mn sur toute une journée de programmation NRJ12. Pas hâte de découvrir la suite.

Ah mais oui, ça a été rincé par l’ARCOM, hahaha ! J’avais oublié ! Haaaaaa soulagement, sourire sur mon visage, on prend les bonnes nouvelles là où on le peut.

 

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