Je ne regarde pas vraiment la téléréalité. Déjà, je n’ai pas de télévision. Ensuite, si je regarde, c’est via les reacts et commentaires sur YouTube. Ainsi, je connais les personnages et les histoires de moults saisons de Too Hot To Handle, 90 days fiance, Love is Blind, sans me fader des heures de vide intersidéral.
La téléréalité francophone provoque un effet de malaise bien trop puissant pour mon petit cœur. On n’oublie pas Cauchemar en Cuisine (version Gordon Ramsay, Philippe Etchebest me terrifie), le mythique Jersey Shore et toutes les merdes entre les deux. Super Nanny. On a échangé nos mamans. 19 kids and counting.
Mais donc, ça fait des mois…années…que je regarde ces commentaires. Même pas honte.
Table des matières
Quelques exemples
- « Too Hot to Handle » est une émission où on pose plein de célibataires formaté-es sur un lieu de vacances avec interdiction de se toucher. Chaque coup de canif dans le contrat donne lieu à une amende déduite des 100 000$ de gains au vainqueur.
- « The Ultimatum » présente des couples dont l’un des partenaires veut se marier et pas l’autre. Alors on fait vivre à chacun-e 2 semaines avec une autre personne, histoire de voir si ce recyclage audacieux de l’Ile de la Tentation peut faire encore cracher de l’audimat.
- « Love is Blind » propose des rendez-vous à l’aveugle (les deux n’ont que le son) pour constituer des couples qui se diront oui (ou non) après s’être enfin vus. Si le physique de l’autre leur plaît, on les laisse vivre un peu ensemble avant de les obliger à aller se marier. Le but ? Dire oui ou non en habit de mariage.
- « 90 days Fiance » est particulièrement retors. Une personne étasunienne trouve l’amour à l’international, souvent dans des pays pauvres. Parfois c’est du catfish, parfois non (et on se moque à gorge déployée de ces pauvres mecs qui se sont fait avoir car la solitude, ça peut vendre), et puis tout le monde se retrouve aux US avec un visa de mariage, visa qui laisse 90 jours pour se marier ou pas. Les accusations de fraude à la « green card » (la carte de résidence permanente étasunienne) sont légion car, forcément, les gens qui viennent de pays pauvres ont de mauvaises intentions.
- « Love After Lockup » présente des relations avec personnes incarcérées, à partir de leur sortie de prison. Non, rien, voilà.
- Concernant Super Nanny, Wife Swap et les émissions Cauchemar en Cuisine, je pense que c’est suffisamment célèbre pour ne pas avoir à décrire.
En réalité, c’est extrêmement intéressant de voir comment se comportent les gens dans un faux environnement où se mêlent le vrai et le scripté. Je m’intéresse aussi aux coulisses de ces émissions. Savais-tu que les participant-es de Love is Blind devaient payer 50 000$ s’iels partaient sans l’accord de la production ? Qu’on les obligeait à rester marié-es jusqu’à la diffusion du dernier épisode de leur saison ? Plusieurs procès ont déjà eu lieu, un peu partout dans le monde, pour dénoncer les conditions de tournage. D’autres procès ont eu lieu, suite à des violences conjugales. Surprise surprise.
Entre les tromperies, les mensonges, les secrets de type « au fait j’ai 3 enfants et 500 000$ de dettes », le drama est inépuisable. L’aventure continue souvent sur Instagram où les tacles et révélations fusent. L’émission continue après l’émission, permettant un cycle de travail interminable aux personnes qui participent. On te filme H24 et tu entretiens le mythe sur les réseaux sociaux, pour la gloire.
La téléréalité nous fait nous sentir meilleures
Alors oui, c’est drôle. Je me moque, je roule des yeux devant l’imbécilité, ça entretient un sentiment de supériorité : jamais je ne ferai ça. Sauf que, sous la contrainte, en isolement total, avec des quantités énormes d’alcool, n’importe qui pourrait faire n’importe quoi. Le casting est fait pour ça : l’aveu d’une insécurité inspire, celui maladie mentale semble un bon point. Lors d’un « Love is Blind », une participante aurait dit à plusieurs reprise avoir des idéations suicidaires et vouloir se barrer. Oui, mais les 50 000$. Et hop, la revoilà en souffrance pour quelques semaines de trop.
Cela dit, plusieurs participants sont problématiques jusqu’au bout des doigts, tiennent des propos hallucinants, et deviennent des sortes de mascottes des diverses franchises.
Big Ed aura donc été recasé pour « 90 days fiance » durant au moins 5 saisons après avoir fait sensation dans « The Single Life ». Je ne sais pas comment décrire Big Ed. L’incarnation de la crasse ? Le faux jeune qui n’a jamais compris qu’il avait plus de 60 balais ? Le mec si sûr de lui qu’il offre dentifrice et brosse à dents, ainsi qu’un rasoir, à sa compagne de 22 ans car elle pue de la gueule et a du poil au pattes selon lui ? Le racisme est ostentatoire, j’en viens à me dire que les femmes qui l’ont épousé ont été payées pour ça. Ce type est une ordure, de A à Z.
Angela est aussi en bonne place. 90 days Fiance avec un type qui, au départ, effectivement, voulait la scammer. Type qui supplie de revenir chez lui tant elle fait preuve de violences, aussi bien verbales que physiques, le tout évidemment filmé. Au départ on se dit quand même, Michael, c’est pas cool de profiter d’une mamie comme ça. Et puis on ne peut s’empêcher de prendre son parti tant la mamie en question est hors de tout contrôle. Je n’ai jamais vu une personne se comporter comme ça, la team du tournage a dû plusieurs fois intervenir pour les séparer.
Comment oublier Jasmine et Gino, toujours dans cette émission ? Jasmine hurle. Elle ne sait pas parler calmement. Mais Gino fuit en permanence, jusqu’au lit conjugal. Elle passera donc 6 saisons à hurler qu’il ne couche pas avec elle, avant de rencontrer un autre avec qui elle veut « ouvrir la relation », puis de tomber enceinte (de l’autre). Ce qu’on oublie volontiers, c’est qu’elle a déjà deux enfants restés au Mexique avec sa mère, dont un enfant autiste. Allez, on oublie tout, on recommence sa vie. Mais t’en fais pas, Gino allait voir ailleurs, la connerie s’équilibre. Le gamin, quel gamin ?
No no limit
Dans ces trucs, il y a zéro éthique, zéro limite. On voit des personnes, certes menées à bout, mais des personnes bien réelles, avec une vie et des à priori eux aussi bien réels. On ne peut pas changer le caractère d’une personne, fondamentalement. On peut la filmer aller trop loin, mais leur méchanceté, leur égoïsme, leur vacuité étaient bien là avant.
La balance est relativement équilibrée en termes de genres. Certaines femmes sont incroyablement toxiques. Mais leur violence reste moindre.
Ici, c’est le paradis du gaslight. On voit ces relations se nouer, les red flags s’empiler, la toxicité faire place aux sentiments, le piège se refermer. Ça a un côté glaçant : on voit chaque étape du process s’installer et on hurle « mais quitte-le !!! » 18 000 fois par épisode.
Personne n’est responsable de rien, jamais. On est dans un jeu, pas vrai ? Un jeu qui détruit psychologiquement des cobayes à qui on donne, allez, 50$ par épisode à l’aide de contrats féroces ? Un jeu qui peut aussi détruire ces personnes dans la vraie vie, leur faire perdre leur travail, leur famille, leur crédibilité à tout jamais.
Souvent, les stéréotypes sont bien représentés. Les hommes trompent et mentent, les femmes hurlent ou font des remarques passives-agressives. La tension monte jusqu’au point de rupture, mais la rupture ne se fera qu’en dehors de la série. Je suis toujours hyper soulagée de voir les couples se défaire une fois en dehors du jeu.
Qui regarde ça ?
J’écris cet article de mémoire, je n’ai pas envie de chercher cette source donc tu peux le faire si tu en as envie, mais 75% des personnes devant la téléréalité sont des femmes.
Des femmes qui voient normalisées des situations de violence, de sexisme, d’abus. Si Michelle revient toujours auprès de Jeremy alors qu’il l’a trompée 25 fois, c’est qu’elle l’aime vraiment, non ? Elle lui pardonne tout et est même parfois critiquée pour ses propres émotions. Elle crie trop, elle fait du drama en permanence, toute gaslightée qu’elle est, cette connasse ! Lui sera vu comme une victime de ce caractère de feu qu’il attise en permanence. Il se comporte « comme tous les hommes », en tout cas, comme tous ses compagnons d’aventure.
Honnêtement, j’accorde peu d’importance à l’infidélité. J’ai été trompée, oui ça fait chier. Mais je ne pratique plus la jalousie depuis très longtemps. J’ai tendance à me dire que les personnes qui trompent ont besoin du polyamour, ou d’une bonne thérapie. Si tu ne peux pas t’empêcher de tromper ta femme, tu lui autorises aussi des extras, tu envisages d’autres modalités, ou tu pars si tu sais que ça la rend malheureuse, voilà. C’est sans doute parce que je suis française, que François Hollande en scooter m’a fait marrer, parce que je ne vis pas dans un pays puritain.
Mais ici, c’est un outil, un levier. La rendre malheureuse pour resserrer l’emprise, lui dire que c’est à elle de changer.
C’est ça, qu’on apprend aux femmes, parfois aux ados ou aux jeunes adultes qui regardent. Tous les hommes vont voir ailleurs, c’est na-tu-rel.
La vieille bique en moi a pas mal d’expérience et de recul, suffisamment pour détecter très rapidement la manipulation et les red flags. Évidemment que si je me retrouve avec un connard comme Big Ed je ne perdrai pas 5 ans de ma vie à espérer. Le mec il ferait au mieux 2 mn à mes côtés.
Sauf que tout le monde n’est pas une vieille bique. Beaucoup de femmes se sentent seules et sont prêtes à accepter beaucoup de choses. Si on leur présente ces hommes comme quelque chose d’inévitable, elles seront désensibilisées lorsqu’elles feront face à des comportements prédateurs dans la vie. Les exemples de relations qu’on leur sert valident les abus.
Normaliser l’abus
Je suis plus que persuadée que tout cela relève tout autant d’un calcul financier que social. Beaucoup voudraient nous voir enfermées dans nos cuisines sans aucun mot à dire. La téléréalité participe à ces injonctions à être belle et fermer sa gueule. Les contre-exemples de femmes violentes sont là uniquement pour qu’on puisse dire « les femmes aussi » en ignorant que, statistiquement, la violence est bel et bien genrée.
Angela sert à dire que, quand même, les nanas sont agressives lorsqu’elles n’ont pas ce qu’elles veulent. Elles sont contrôlantes, ont les hormones en ébullition et ne savent pas se contrôler. On leur souhaite même des partenaires plus violents qu’elles, « pour leur apprendre » et les maîtriser. Lorsque Jasmine hurle, on plaint ce pauvre Gino alors qu’il est la source de ces cris.
Il y a aussi beaucoup de situations aberrantes, comme avoir les mots de passe de l’autre, géolocaliser sa position en temps réel, forcer des visio à l’improviste histoire de voir, une jalousie constante et dévorante.
Non, tracker ton mari H24 ne le rendra pas fidèle, il va juste acheter un autre téléphone et aura d’autres comptes Insta pour pécho, tu crois quoi ?
Mais ces solutions sont présentés comme…bah…des solutions. Ne parlons pas des problèmes de fond, ne nous séparons pas, soyons encore plus jaloux et tout ira mieux.
En gros, on est dans les modalités de relation patriarcales au possible. L’empowerment des femmes est 100% factice. Pire, en prenant des femmes aux corps de rêve, on accentue encore les injonctions passives. Et moi, bah je colle pas au moule. Si j’étais pas cette vieille bique, la téléréalité serait une angoisse enivrante, un mal pour « un bien », quelque chose dont on rit mais pas tant que ça.
Gordon Ramsay est misogyne
Déso pas déso. Tu l’as vu parler aux femmes ? Et Etchebest, sans déconner, la violence à l’état pure. Les deux sont des modèles bien virils de la meilleure virilitay. On est pas content ? On gueule. L’autre est pas content non plus ? On gueule plus fort. Qu’est-ce qu’on se marre.
Le type arrive dans un resto, dit que tout est de la merde, prend les restaurateurs à rebrousse-poil pour créer de la tension, des câbles sont pétés (et filmés) et nous, ça nous fait rire.
Etchebest on dirait qu’il va t’arracher les yeux quand il sourit, sans déconner. Ce mec est ultra badant.
On résout comment les problèmes ? Par la violence verbale et parfois physique. Et puis, magie, lorsque tout le monde est soumis à ce bon Gordon, le restaurant fait salle comble. Avant de fermer définitivement dans 80% des cas. Certains restaurants sont d’ailleurs en cours de revente ou de fermeture lors du tournage. Parce que c’est pas ça, le but du jeu. Le but du jeu c’est de t’habituer aux hurlements et à l’éducation à la dure.
Oui, on en revient à ça : l’éducation à la dure, comme avant que ces saloperies de wokistes décident de demander des droits et gnagnagna. Fillettes que nous sommes !
L’idée est de rendre le virilisme et la violence si omniprésents qu’on ne les perçoit plus. L’anormal, le terrifiant, devient drôle.
Super Nanny et « On a échangé nos mamans », c’est pareil. Des modèles éducatifs où la famille est une hiérarchie, où il faut tenir ses enfants au risque de passer pour un parent laxiste. Personne ne prend en compte les éventuelles neuroatypies des petits, non, tout se règle à la rééducation cognitive, carotte et bâton en main.
Et après ?
Si j’arrive à ressortir indemne de ces visionnages pénibles, je suis privilégiée. Je n’éprouve pas la jalousie, mon mari pourrait avoir une triple vie que j’en saurais rien et ça me va parfaitement. Ces histoires de traçage du smartphone, d’avoir les accès aux comptes, de vérifier ceux-ci, tout ça provoque un immense dégoût chez moi. Je me dis que s’il a une triple vie, c’est qu’il en a besoin. Je peux ne pas savoir à qui il parle, c’est sa vie.
Mais je ne suis pas la norme. Et cela me fait peur de savoir que des personnes vulnérables vont trouver ces comportements vus à la télé comme normaux.
Les comportements problématiques ne sont que très rarement soulevés dans ces émissions. On peut retrouver deux candidates parler red flag, oui, mais elles se jettent tout de même dans les bras de leurs partenaires. Remettre en cause, en parler, mais recommencer sous l’emprise psychologique et financière.
Parce qu’en vrai, elles ne sont pas si bêtes. Juste dans un processus télévisuel complexe avec d’immenses contraintes et beaucoup, beaucoup d’alcool. Je ne suis même pas sûre qu’elles se regardent ensuite sur Netflix.
Ce billet est déjà bien long, mais je pense qu’il va ouvrir une série tant il y a à dire, tant j’ai oublié les Ch’tis à Koh Lanta et l’Ile de la Tentation en m’en rendant compte à la relecture (oups)