Heure de grasse mat : 5h30 🥳
CW : billet déprimant, genre costaud.
On rigole, on rigole, mais c’est le retour des mots dans le carnet. On a l’habitude mais la pression n’est pas la même sur moi. Je crois que j’ai pas besoin d’expliquer pourquoi (je suis la maman, mon rôle naturel est d’éduquer mon fils à ne plus être neuroatypique, parce que ça se corrige juste comme ça, on dirait).
J’ai expliqué pourquoi, merde. Les parenthèses c’est pas ce que je croyais.
Préambule : je n’ai pas pu me relire, je m’excuse par avance des maladresses textuelles.
🦖🦖🦖
L’autre soir, on discutait avec mon accompagnateur Uber car je ne peux plus prendre les transports depuis un moment (mobilité réduite, escaliers, marche, station debout…et de toutes façons je suis une social traîtresse) et on parlait du monde.
Et là, une espèce de fulgurance qui énonce sans doute un lieu commun, mais…
Youba : « Les gens sont stressés, on est tous stressés, anxieux, ça se ressent beaucoup.
– C’est peut être parce que se prendre la tête sur des sujets pas si graves permet de ne pas penser aux choses très graves qui se passent en ce moment ? »
💬 Il y a eu un petit silence.
Après, on a parlé de « les gens » et j’avais pas mal de billes. C’était mieux que de se replonger dans le gouffre existentiel de l’anxiété induite dans l’espoir d’un aveuglement collectif et individuel qui permettrait de résoudre tous les problèmes.
Ça m’a frappée car je suis plutôt anxieuse, sous mes airs nonchalants, je stresse pour beaucoup de choses et ça peut aller loin sur une connerie. Je me suis auto-bashée en fait, en disant ça.
Et merde.
On va vraiment toustes crever.
☠️☠️☠️
Je suis tellement fatiguée psychologiquement, si tu savais. Comme j’ai aussi le corps en miettes, ça me laisse avec du sarcasme et du cynique et du bisounours pour équilibrer. Chaque matin, la somme de mes problèmes insignifiants à l’échelle du monde s’abat sur moi avec vigueur.
WAKE UP WAKE UP
L’Enfant, mon couple (je suis persuadée qu’il va me quitter car comment être bien avec une personne aussi minable que moi ?), mon absence de travail et de perspectives boulot réjouissantes (j’adorerais écrire pour en vivre, mais soyons réalistes deux minutes), ma santé, entre les affreuses douleurs de la spondylarthrite, la privation de traitement, ce foutu canal tarsien et cette aponévrose de merde qui m’empêchent de marcher correctement depuis ans, le non-suivi du reste de mon corps parce que j’en ai plein le cul, franchement, d’aller chez des médecins deux fois par mois. Puis la maladie vicieuse, celle qui réside dans ma tête et me harcèle en continu, qui change mes humeurs comme ça lui chante, ruine des relations, me donne envie de passer par la fenêtre mais on est au troisième étage et il faut que je retire le filet anti-suicide qui permet aux chats de ne pas tomber, puis la thune qui est une angoisse en continu depuis que je suis majeure. Puis mes défauts, mes innombrables défauts qui font de moi une personne passable à mes yeux. Hey, avait c’était dispensable, on avance.
Le marteau sur la gueule, chaque matin.
« Ah oui…j’avais oublié ça… »
🍥🍥🍥
Je devrais être plus présente pour mes proches, mais je suis dans un tel état de « mort lente » que je ne suis pas aussi soutenante que je le voudrais. Du coup je m’en veux de ne pas accomplir une tâche qu’on ne m’a pas demandée d’accomplir.
Puis cette foutue lucidité de merde, là ! Je me VOIS et je COMPRENDS ce qui se passe, mais je ne peux rien y faire, ou si peu. C’est la même lucidité qui m’empêche de faire des conneries, et chaque psy que j’ai vu était étonné-e de cette introspection sans concession.
Mon secret, c’est mon amour réel du support technique et de l’investigation pour résoudre des problèmes. J’adore ça. Donc par déformation professionnelle, sans doute, je décortique tout ce qui ne va pas. C’est même pas un exercice, c’est un réflexe.
Là, par exemple, je viens de faire un truc inédit : j’ai éclaté dans des sanglots difficilement maîtrisables devant mon fils. Pour lui c’est inédit, il ne m’a jamais vu pleurer. Donc j’ai stoppé en rationalisant : je pleure parce que je suis au bout du bout, mais je ne vais pas dire à mon enfant qu’il est un « problème » dans ma vie. Il ne l’est pas. Il génère des situations difficiles sans le vouloir, dans une école qui veut apprendre aux gosses à porter leurs futurs costards avant de considérer les éventuels problèmes d’enfants neuroatypiques. C’est en gros ce que je lui ai dit. On veut te faire devenir quelqu’un d’adapté, mais tu es un peu trop cool pour ça, donc les gens comprennent pas.
Je sais dégager les problématiques, revoir les événements sans filtre, me mettre en face de mes manquements, demander pardon au besoin, et travailler sur ce qui ne va pas.
Le souci c’est que c’est plutôt violent. Je suis assez neutre en me disant « ça, franchement, ça craint » car je désosse la mécanique en la rapprochant d’autres situations, ce travail me permettant d’oublier temporairement à quel point j’ai merdé. Encore une illusion, temporaire, qui fait suite à un compte rendu d’expertise énonçant les problèmes et les différentes pistes de résolution.
🦕🦕🦕
C’est pour ça que, du haut de ma très grande supériorité en terme de connaissance de soi et de mécanismes toxiques, j’ai beaucoup de mal avec les personnes qui ne se remettent jamais en question. J’ai fait billets sur « Je suis un connard » récemment (#1, #2), et ce manque total de recul me navre.
Pourtant, si on est dans l’ère du développement personnel et de l’Happycratie, très très peu de personnes réalisent un travail efficace à mon sens. J’ai lu, en mon temps, énormément de livres sur le devenir mieux, notamment les Accords Toltèques.
Donc je vois les memes citant le livre, et je vais toujours voir les commentaires. Parce que, dans les commentaires, on a pas énormément de bienveillance. Alors pourquoi faire la promo d’un truc et agir à l’opposé ? J’ai longtemps (15 ans) lu et fréquenté les cercles New Age et un truc m’a fait en partir : personne ne pratique ce qui est enseigné, ou si peu, et si mal.
On parle souvent de l’acceptation de l’autre et de l’amour universel et tout ça, mais on s’engueule en commentaires avec toute la mauvaise foi du monde. Ou alors on répond « je prie pour truc » et ça nous débarrasse du fardeau.
Récemment, on a dit à une proche ce qu’on m’a dit régulièrement également : « tu es responsable de ta maladie, ouvre tes chakras ». Pour être moins aidant-e, il faut faire boire du lave-vitres à la personne malade, je crois.
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Et puis l’Happycratie, sans rire. Comment tu veux que je bosse en bureau dans le « Digital » et que je me coltine les techniques de team building et toutes les imbécilités qu’on vend à prix d’or pour augmenter la qualité de v…augmenter les profits avec une équipe plus soudée, pardon, je me suis égarée. Je la vois, leur hypocrisie, car on se dit ouverts et bienveillants mais ça n’empêche pas la discrimination au handicap et la violence au bureau.
Je suis en capacité de faire semblant, j’ai un mode pour ça, mon mode corporate. J’entre dans les locaux, un sourire factice se forme et je fais croire à tout le monde que ma vie est merveilleuse et que je suis super contente d’avoir été conviée à la réunion sur [insert random bullshit here]. Je suis contente, parce que d’habitude on ne m’invite pas. « On sait pas si t’es là ou pas, comme tu es souvent malade ».
Chuis fatiguée par cette hypocrisie de merde qui sape tout effort d’authenticité. On te dit « ça va ? » tu réponds « Oui super et toi ? » et c’est le premier des mensonges de ta journée. Essaye de dire « Non, ça va très mal » et tu verras. J’ai testé. J’ai vu. J’ai recommencé à mentir.
Moi, ce que je me demande, c’est combien de ces personnes sont réellement très déprimées, combien ont besoin d’aide et font semblant d’aller super parce qu’on est au boulot. Je suis rôdée, je renifle le burn-out à 100m. Donc je préviens, avec tact, que je suis inquiète pour toi. Tu as l’air fatiguée, tu as énormément investi sur le projet [insert bullshit project], tu as connu des difficultés, je suis là si tu veux en parler si tu en as besoin. Et je les vois tomber. Et je tombe aussi.
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Et tout le monde continue à faire semblant.
On a fait de mon métier une machine à thunes. Je suis (entres autres) webmaster, je connais maintenant les arcanes du SEO, je sais observer les personnes qui visitent mes sites, et moi j’en ai rien à battre parce que je suis techos, pas commerciale. Je vois mon métier totalement dévoyé par ces connards en costard qui veulent de la rentabilité au lieu de l’accessibilité. Moi, je veux partager des informations, eux veulent tes coordonnées pour générer du Saint Lead De Ses Grands Morts. Mon travail, dessins et peintures comprises, ne sont pas sous licence, car accessibles à toustes. J’oublie d’ailleurs de les signer. Eux copyrightent la moindre virgule et mettent des saloperies de watermark partout.
Le décalage politique et idéologique entre le monde et moi est de plus en plus grand. Je souhaiterais des sociétés libres, sans frontières, où on prendrait soin les un-es des autres, où personne ne serait un milliard de milliard de fois plus riche que tout le monde. Je pense que la richesse ne sert à rien, que les voitures et Rolex et yachts de mon cul ne servent qu’à montrer qu’on en a.
Définitivement pas adaptée. Volontairement pas adaptée à ce système qui s’emballe et va toustes nous tuer, à terme.
Ah ouais tu seras bien content-e d’avoir eu une prime quand tout explosera.
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Désolée.
Je suis désabusée, triste, et je commence à avoir très mal à la mâchoire, ma nouvelle douleur à apprivoiser.
Toi, tu te demandes où tu vas, samedi soir, moi je regarde les opportunités ratées et vos vies amusantes sur les réseaux sociaux, parce que prendre le métro m’est devenu impossible et que de toutes façons, je suis bizarre en soirée. Faut que j’arrête les « fun » facts sur les tueurses en série et les choses dérangeantes du monde, je sais.
« Tu savais que Youtube diffusait des vidéos de cruauté envers les animaux ? »
Mais je dois dire quoi ? Que je suis Propriétaire de Mon Appartement parce que ça claque ? Que j’ai chopé des Osiris vertes et violettes en 38 sur Vinted ? Je sais même pas dire que j’ai une page sur laquelle j’écris depuis deux ans. Je ne vais pas faire étalage de mes privilèges pour aller dans le sens du vent. Je suis propriétaire car on a eu un enchaînement de circonstances absolument improbables pour acheter notre premier logement, si j’étais seule, je n’aurais jamais pu acheter. Je ne suis pas assurable. Mais ça, les gens aiment bien. Les histoires de réussite, les anecdotes émouvantes, les récits positifs, quand je dis « oui je suis malade mais je me bats ». Inspiraaaaaaaaaante. Note : je suis toujours en mauvaise santé, mais je suis en mauvaise santé inspirante, ça change tout.
« Et toi, tu fais quoi, dans la vie ? »
Cela fait très peu de temps que je réponds que j’écris. Mais, en dehors des cercles déjà connus, personne ne me demande le nom de ma page pour aller voir. Le mot « féministe », sans doute.
🐙🐙🐙
Mais j’avance.
J’ai servi le petit déjeuner de l’Enfant.
J’écoute de la musique en écrivant.
Je suis là, présente et absente à la fois.
Et là, le Monde s’abat sur moi, à nouveau.
💀Climat
💀Mascarade de la COP27
💀COVID
💀Guerre en Ukraine
💀Taïwan
💀République du Congo
💀Corée du Nord
💀Pakistan
💀Éthiopie
💀Tchad
💀Bahreïn
💀Mali
💀Iran
💀Palestine
💀Migrant-es en mer
💀Coupe du monde fabriquée par des esclaves
💀Vêtements, accessoires, produits hi-tech fabriqués par des esclaves
💀Exploitation des travailleur-ses sans papiers
💀Fascisation des sociétés et autoritarisme
💀Perte des libertés sous prétexte de sécurité
💀Surveillance de masse
💀Protection des données personnelles
💀Néolibéralisme
💀Elon Musk et les autres milliardaires qui font n’imp
💀Néocolonialisme
💀Inflation
💀Retraites
Et du rugby, du tennis et du foot, bien sûr. Paraît que ça calme les gens, le sport à la télé. Ça les stresse dans l’immédiateté du match pour leur éviter de penser à tous les trucs plus hauts. T’en fais pas, les jeux vidéo, les films, les livres, la royauté britannique et la drogue font pareil.
Et je suis le mouvement : je m’accroche à ces morceaux de réalité sur lesquels j’ai encore prise. Mes textes. Mon lieu de vie. J’estime ne pas à avoir de prise sur ma famille mais je suis co-responsable de l’éducation de l’Enfant. Je peux aussi ne plus me soigner, c’est ma seule prise sur ma santé. Je peux quoi, encore ? Je ne sais pas.
🌺🌺🌺
Bon.
On fait quoi ?
J’en sais rien. Je vais tenir un jour de plus, quand j’aurai posté le billet, je vais aller ranger un peu, lave-linge, lave-vaisselle. Nettoyer la table et le plan de travail. Puis tout le reste. Parce que, ça aussi, c’est une petite anxiété qui en cache une plus grande. Lorsque je change la litière des chats, je ne pense temporairement pas au monde qui va imploser ni à mon enfant inadapté et jamais compris. Je ne penserai pas à ces douleurs habituelles, à mon errance thérapeutique qui recommence. Je ne penserai pas à mon père qui meurt sans doute à petit feux dans le même EHPAD où a fini sa mère. Ni à mon chat qui tousse. J’ai tellement de choses à me cacher que ma maison est bien entretenue. Ma Mamie serait fière. Je me demande ce à quoi elle pensait échapper, tiens.
Des tâches ménagères, pour oublier. Pitoyable 🙄
Foutue lucidité.