Heure de réveil : 5h44 (moi)

Hier, je me suis fait mon premier resto en terrasse au Raincy, c’était atrocement mauvais, je sais pas comment prendre le truc. Est-ce un signe ? Dois-je toujours rester à la maison ? Nan, c’était chouette, j’ai pris le bus, j’ai été voir des endroits moches où je ne veux pas habiter. Et mon rdv chez le psychiatre s’est bien passé, on m’a toujours pas enfermée 🙂

Ce matin je vais tenter un truc. Possible que ça rate, m’enfin, on sait jamais.

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On va parler pensée positive.
Attention, si je dérape et que je propose de vendre des cristaux ou des séances de joiethérapie, tu peux tirer à vue. C’est ce que j’aurais voulu. Je compte sur toi.

Hier soir, je disais à mon cher et tendre si mon poste de Chief Happiness Officer of Fun Games and Drugs était enfin créé dans sa boîte ou pas du tout.
Je peux faire une newsletter matinale quotidienne avant 7h30 du matin, c’est une compétence rare, nan ?

Là, il m’a rappelé que les entreprises adoraient les baby-foot et les séances de yoga (sur le temps de pause, bien évidemment, faut pas déconner), que je devrais participer à des *argh* séminaires et animer des ateliers à la c…des ateliers de renforcement de la cohésion d’équipe et tout ça.

C’est bon, tu m’as convaincu, je ferai pas ça de ma vie (Le monde est pas prêt pour une CHOFGD de mon calibre). Je l’ai échappée belle…
(Cela dit si tu me veux dans ton entreprise pour te faire une newsletter matinale, ça se négocie)

Oui, tant mieux, parce que ce genre de boulot me consumerait, et que j’ai de l’éthique.
J’ai acheté il y a quelques trop d’années « Happycratie » d’Eva Illouz (J’ai eu de bons retours pour ce livre, je crois que tu peux y aller), que je n’ai pas fini, parce que je l’ai lu au boulot et que ça m’a flingué le moral. Le bonheur est une industrie, une salariée heureuse est une salariée productive, forçons les gens à être souriants, ils deviendront heureux à un moment ou, du moins, il feront bien semblant.

Tu penses bien que tu m’injonctionnes au bonheur je te sors ma plus belle panoplie gothique, ma moue désabusée, mon sarcasme et mon nihilisme. Juste pour faire chier. Parce que personne ne peut me dire quel sera mon humeur du jour. Pas même moi. C’était une blague sur la bipolarité, sous tes applaudissements.


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D’où faut aller bien tout le temps, en fait ? C’est quoi cette arnaque ? On efface le malheur du visage des gens et il disparaît à tout jamais ?

Je ne sais pas si tu as regardé The Twilight Zone (la Quatrième Dimension).
Saison 3, épisode 8 : « C’est une belle vie » (1961)

Le pitch volé sur Wikipedia parce que prendre 10 ans à reformuler j’ai pas envie :

« Anthony Fremont est un garçonnet capricieux de six ans qui a un pouvoir extraordinaire : il peut faire disparaître les gens, les animaux et les objets, les envoyant « dans le champ de maïs ». Il a d’ailleurs vidé le village de ses voitures et de ses chiens. Par conséquent, tout le monde a peur de lui et le flatte continuellement pour ne pas le mettre en colère. Un soir, ses parents organisent une soirée télévision, dont Anthony fabrique le programme. En colère face à cette situation tyrannique, Dan Hollis, un voisin qui fête son anniversaire, se rebelle contre l’enfant, mais les autres invités terrifiés n’osent le soutenir, et Anthony fait disparaître Dan Hollis. La peur continue de régner. »

Une des injonctions du sale gosse est « SOURIEZ ! »

The Twilight Zone est un vieux machin qui donnait un aperçu du monde incisif et très pertinent, mais on le savait pas encore, en 1961, que ça allait vraiment se réaliser.
Moi je suis grave dans le champ de maïs par exemple. Je sais que je suis pas la seule y’a une meuf qui essaye de me faire des signes au loin mais je sais que c’est un piège.


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On m’a déjà forcé à sourire. Parce que « le sourire s’entend par téléphone » et que c’était un critère de notation des téléopératrices. Toute la journée, quoi qu’il puisse se passer dans ta vie, tu souris comme une vendeuse Sephora. J’ai mis du temps à me permettre de refaire la gueule au taff. Longtemps.

Quand j’ai commencé à travailler en entreprise (2001 mein gott) c’était, à mon avis/impression subjective non sourcée, que les gens souriaient moins. On avait un peu plus le droit de faire la gueule. Puis y’a eu la déferlante du positivisme outrancier avec des titres formidables qu’on peut inventer par dizaines, regarde :
« La Joie en Vous : trouvez la voie de votre Bonheur »
« Au secours, le coin de ma bouche retombent ! »
« Chirurgie plastique ou training positif ? »
« Les 5 pensées Aztèques »
« Manipuler les manipulateurs de manipulateurs. »
« Les méditations guidées du Bien-Être Hormonal »
« Injoignable, libre et heureuse » (j’ai un faible pour celui-ci)
« Apprivoisez votre lapine de garenne intérieure »

…et je ne vais pas évoquer toutes ces conneries qu’on vend aux entreprises.

J’ai toujours, en bonne gothique que je ne suis pas, écumé les rayon ésotérisme et développement personnel de toutes les librairies. Après j’ai compris que c’était du vent (pas tout mais une grande majorité) mais je continue à aller regarder. Et il y a vraiment eu un virage, que j’ai du mal à dater (2010 ?) : d’un coup, ces livres un peu confidentiels faisaient la tête de gondole, que ce soient à travers les romans « feelgood » (« Mange, Crie et Aime » « Le premier jour du reste de ta vie de merde ») ou via des publications nous promettant [insérer ici random bullshit bien-être] en seulement 8 étapes.

D’un coup, le coaching est devenu habituel. Fallait s’entraîner au bonheur, la solution était en nous depuis le début et on ne l’avait pas vue ! Pour en savoir plus, c’est 19,94€ et ce sera dans mon prochain livre « Comment aller mieux sans aller mieux : mes astuces de vie ». -16% avec le code « Onvatoustescrever ».
Sinon pour 14,99€/mois tu as des applications de bien-être, c’est formidable, non ?
On m’a proposé de « diminuer mon anxiété et ma dépression » sur Android en seulement 12 jours et pour seulement 87€, la dernière fois. Magique. Tous ces médicaments, et la solution était là, à ma portée, depuis le début !

On te dit qu’il faut travailler sur toi pour aller mieux. Si tu vas pas mieux, t’as pas bien lu le bouquin. Relis le bouquin. Achète un autre bouquin. Les autres y arrivent toutes, mais PAS TOI, tu fais pas d’efforts. Ah ouais non toi t’es vraiment atteinte d’une pathologie mentale, oups, pardon, c’est râpé.


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Le fait de réaliser un Miracle Morning (un miracle du matin, mais je connais, je fais déjà, j’y suis, là) ou d’éliminer les fanes de carottes de ton alimentation ne va pas faire remonter ton taux de sérotonine, mon petit chat.

La pensée positive est très aidante lorsqu’on est malade chronique, j’en sais quelque chose. J’ai la chance de cet optimisme car il m’aide à surmonter les torrents d’incompétence qui m’ont fait vaciller plusieurs fois. On parlait psycho-somatisation vers décembre 2020 sur cette page il me semble, on est en plein dedans. Un même symptôme ne sera pas du tout vécu de la même manière selon ton état d’esprit.
Pour autant, est-ce qu’on doit obliger toutes les malades à être enjouées et pétillantes ? Non. Parce qu’on doit les soigner en premier lieu. Tu auras beau être pétée de joie, si tu ne soignes pas ta blessure elle s’infectera. Tu vois le problème ? On ne maîtrise pas les facteurs extérieurs, c’est un leurre que de se persuader qu’avec la bonne attitude la vie sera sympa avec toi. Et ça peut être dangereux car ça peut inciter des personnes à cesser leurs traitements. Mais on va pas attaquer ce morceau ce matin.

Tu peux te sentir mieux. La plupart des conseils qu’on trouve dans ces bouquins sont pas déconnants : s’écouter, prendre du temps, vivre lentement, améliorer sa communication et tout ça, c’est même plutôt de bons conseils. Sauf que je viens de résumer en quelques mots trouzmille mètres cubes de papier imprimé.
Les ingrédients sont les mêmes, la recette un peu différente, et t’auras acheté 5 bouquins pour le réaliser. Ces livres ne sortent pas en poche alors fais péter le PEL.

Alors que quand t’en as raz le cul, et ben t’en as raz le cul, t’as envie que le monde sache que t’en as raz le cul parce que t’en a raz le cul.

« Allez, souris à la vie » « Positive ! »

Et si t’as envie de faire la gueule ? On fait comment ? On te met dans le champ de maïs d’Anthony Fremont. T’avais qu’à pas éprouver des émotions.


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Je dis ça, j’ai épousé un râleur compulsif.
De temps en temps j’entends des jurons dans une autre pièce de la maison. Je ne me précipite plus parce que je connais le truc, c’est sans doute un micro-poil de barbe qui fait ses trucs et ça entraîne une frustration légitime et sonore.

Quand je suis pleine d’espoir en l’avenir, il se demande si il aura une retraite (t’en auras pas). Quand un imprévu arrive, je suis soudain pleine d’intérêt, il prépare sa convention obsèques.

Pour moi c’est très mystérieux, je ne te le cache pas.

Et surtout, ça me fait décorréler la santé mentale du positivisme 🤔

Je pense au suicide presque chaque jour mais je suis sautillante en recevant mes cartes amiibo pour Animal Crossing (la joie en même temps). J’ai des phases extrêmement sombres, je SUIS extrêmement sombre (je ne regarde plus YouTube depuis le PC car les vignettes font flipper l’Enfant), et pourtant, je sautille en battant des mains de temps en temps. Oui je pousse de petits cris de joie aussi. Beaucoup de choses me mettent en joie. Je sors sur le balcon, je regarde les fleurs sauvages dans la cour, je suis contente.

Donc une personne déprimée peut être positive. D’accord. Ça m’aide pas, ça, je viens de dire le contraire. Bon. Alors c’est pas ce qu’on cherche. Mais qu’est-ce qu’on cherche, au juste ? Parce que la pensée positive c’est un peu vague. Je peux être optimiste et penser à la mort au même moment.
Si on décorrèle l’optimisme et le positivisme du bien-être et du bonheur ça nous dit quoi ? Qu’une personne déprimée peut être optimiste, qu’une personne pessimiste peut être neurotypique, qu’une personne déprimée peut être pessimiste….ça veut rien dire en fin de compte. C’est un trait de caractère, rien de plus. Un trait de caractère pas forcément bénéfique en plus : si on ne craint pas le danger, on y va, droit devant. Pourquoi en faire une Vraie Valeur de la Vie et se plaindre des gens qui râlent ?

C’est pas plutôt question de finalité du coup ?
Le bonheur ? La joie ? Le bien-être ? La paix intérieure ? D’accord, c’est légitime.
Tu as mille manière d’être en joie.

« Je me sens bien »
C’est quand, ta dernière fois ? Pour moi c’était hier quand j’ai chopé un nouveau soin visage à la vitamine C en soldes. J’ai eu un bref moment de satisfaction d’avoir à la fois fait tourner l’économie et trouvé un nouveau produit à pas cher. Je suis futile ? Fuck yeah ! 🤘
Quand je sens l’odeur du Monoï, du lilas, des jacinthes, l’odeur de la pluie, d’un parfum que j’aime, j’ai un moment fugace de joie irrépressible.
Quand mon fils vient me faire un câlin le bonheur-o-mètre explose.

Je sais ce qui me rend heureuse, même brièvement. Je me fais des shots comme ça de temps en temps. Puis je me rappelle que tout est foutu, mais c’était chouette. Alors je le refais.

Ce que je veux dire c’est que c’est important d’interroger tes motivations en profondeur avant de commencer tout ça. Parce que oui, tu peux commencer tout ça, t’as d’ordres à recevoir de personne, surtout pas de moi. Certaines de ces publications contiennent de vrais bons conseils, et chercher le bien-être c’est tout sauf futile. Si tu en ressens le besoin, fais-le. La question sur les motivations est en revanche indispensable à mon sens. Pourquoi ? Pour qui ?
La démarche doit venir de toi, pour toi, tout à fait égoïstement à mon avis. Et surtout, elle peut se faire gratuitement. Tu n’as pas forcément besoin d’acheter « Ma vie en mieux : itinéraire d’une enfant blasée » à 24,95€ pour ça.

J’ai cherché l’image la plus con possible, j’ai pas été déçue.

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L’optimisme est un trait de caractère, je ne suis pas sûre qu’il existe une méthode pour rendre toutes les personnes optimistes, et je ne suis pas non plus sûre que cela soit souhaitable.

« Mais oui on peut ajouter un étage à ce bâtiment, pas de souci ! »
(Les ingés du Sampoong Department Store)

« La chute libre sans parachute est la meilleure expérience que j’aurai jamais vécue »
(Et la dernière)

« Un plan épargne retraite ? Pour quoi faire ? 🙄 »
(Moi)

« Mais non, tout va bien se passer, envoyez la musique ! »
(Le capitaine du Titanic)

Mon optimisme béat est en partie dû à mon manque de considération pour ma propre vie. Je m’en fous. La mort arrivera quand elle arrivera, j’y peux rien, t’y peux rien, autant prendre les choses sympathiquement. Ma survie m’importe peu, j’ai le luxe de pouvoir être étourdie et souriante.
T’imagines quand même ? C’est un mal-être existentiel profond qui me rend optimiste parce que « chie d’dans » comme on dit dans l’est de la France. Chuis foutue, autant en profiter.
C’est une épouvantable contradiction parfaitement logique. Je sais sourire sur commande (sauf pour les photos) et pourtant, je porte un lourd fardeau 🥺

Je pense surtout que si j’avais épousé quelqu’un comme moi, on serait à la rue. J’ai l’optimisme béat, le côté « mais non ça vaaaaa » et je suis bien contente quand mon dulciné a prévu les cas d’urgence.

Son pessimisme nous a sauvé bien des fois, en réalité.

Même si c’est chiant de vivre avec un (deux, le petit prend le pli) râleur(s), je me dis que j’ai de la chance d’avoir à mes côtés une personne capable de prévoir les difficultés. Ça veut pas dire que je fais rien pendant les coups durs, j’ai une plutôt bonne gestion du stress dans les moments de panique (parce que je sais que tout va bien se passer 🤷‍♀️ ). On forme une bonne équipe.

C’est chiant cette affaire. Je sais plus où je vais.

Le bonheur à 2,99 (frais de port non inclus) d’occasion sur Amazon. De rien.

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Tout ça est plus complexe que « Sois heureuse je te l’ordonne ».
J’ai beau, pour le coup, coller entièrement au moule de la meuf souriante, ça me tanne qu’on réclame à tout le monde d’être heureuse. Ça me fait chier que les vendeuses de chez Sephora me sourient. Parce que je sais qu’un sourire ça se fabrique, que rien n’est si simple que ça. Moi j’aime bien les faire sourire en étant sympa avec elles, j’ai pas envie d’une courtoisie en carton-pâte.

On renforce l’artificialité des rapports sociaux tout en se demandant pourquoi les gens sont si isolés dans leur tête. Tout devient de plus en plus factice et je suis désolée, je suis désolée, mais quand je lis « CNV » (Communication Non Violente) j’ai des montées de stress assez intenses. Je sais que c’est important de travailler sur les modalités de communication. Mais pas au point de rendre artificielle et sur-pensée chacune de nos phrases. On est pas des enfants. Et j’aurais pu dire PNL ou les autres techniques sur le marché.

Des fois ça m’arrive de blesser avec des mots, oui. Et tu sais ce que je fais ? Je vais m’excuser. Ça marche aussi bien et ça entraîne souvent des discussions intéressantes qui n’auraient pas eu lieu avec un dialogue formaté.

Bref.

Le monde est à chier, voilà.
Y’a 7 milliards de raisons pour que le monde soit à chier.

C’est tellement dérisoire de nous obliger à montrer un bonheur de façade pour faire plaisir au patron alors que le monde est en train de crever et nous avec. Oui, mais on crève en musique !

Alors fais la gueule.
Ou pas. Mais t’as le droit de faire la gueule, sérieusement. Te cache pas, on le sait, que la vie c’est de la merde. Lâche-toi, râle un grand coup (tu peux t’exprimer librement en commentaires pour râler sur tout ce que tu veux, c’est gratuit et ça te fera du bien), trépigne, éructe. On ne peut pas gommer toute négativité, c’est ni possible ni souhaitable. Abuse pas non plus (surtout si tu es mon mari, tu as déjà atteint ton quota jusque 2034). Mais, ouais, ça fait du bien d’éructer un grand coup, parce que la vie c’est chiant et que le monde est chiant et que les gens sont chiants et que les chats sont chiants, le boulot est chiant, les transports sont chiants, tout est relou et naze. La vie fait chier et c’est précisément son job.

En gros tu fais comme tu le sens et j’ai pas de conclusion à ce billet autre que :

De toutes façons on va toustes finir en purée, tu fais bien ce que tu veux de ton visage.

Tu sais quoi ? Ça fait 6 fois que je relis mon billet en me disant « mais si, tu voulais modifier un truc mal exprimé » et il est déjà tard. Alors je vais le poster en l’état, puis on va dire que ça va aller, ça va toujours, non ?