Ce matin, je vais répondre à une interrogation que m’a faite une lectrice récemment, en MP. La réponse est trop longue pour ce pauvre messenger et la personne est d’accord. Let’s go.

On parle ici langue française et de sa « fétichisation ». Je ne dis pas que ma lectrice fétichise quoi que ce soit, d’où les guillemets. Les guillemets, c’est important. On parlait des mots sororité, adelphité, j’expliquais que je n’utilisais pas le mot fraternité par choix militant, et j’ai envie d’expliquer ce rapport au langage un peu particulier, de la vision de la langue française et du vécu des personnes qui utilisent le français depuis leur naissance.

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Quoi de mieux, pour commencer, par parler d’un commentaire me répondant sur un réseau social lambda, commentaire que j’ai eu beaucoup de mal à comprendre au départ.

« this looks like a horrible english to french translation on google. It’s all over the place. »
« On dirait une affreuse traduction Google de l’anglais au français. Ça prend toute la place »

Je répondais à une française en commentaire (à propos de Marguerite Stern) à un post que j’avais (mal) rédigé en anglais. Elle me répond en français, Marguerite Stern étant malheureusement aussi française que nous. Je réponds de manière élaborée en français. Et ce mec, en gros, ne supporte pas qu’on parle dans notre langue natale dans des commentaires. Il m’a aussi dit qu’être féministe c’était la version féminine de supporter Andrew Tate. J’ai un peu ricané et je l’ai laissé reposer un peu.
Puis je lui ai fait une réponse, en commençant par l’encourager à utiliser DeepL plutôt que Google trad. Ma réponse, entièrement en français, répondait à son objection point par point. Et là, il a disparu. Sûrement la puissance de ma logique implacable.

J’ai capté que le « all over the place » était destiné aux non-anglophones un peu partout dans les endroits où différentes cultures se parlent. Ces fourbes d’étazuniens ne supportent pas qu’on parle Français (ou allemand, ou coréen, dès que c’est pas anglais il y a des remarques).Ce n’est pas la première fois que je vois des anglophone se payer des non-anglophones en commentaires.

Parce que l’anglais, c’est la langue universelle des internettes. Et, si ma syntaxe en anglais est désastreuse (j’ai fait anglais en seconde langue, russe en première, et italien en troisième, je ne parle aucune des trois langues), mes années de lecture de documentation technique, de fansub de japanimation et de VOSTEN m’ont procuré une compréhension assez bonne de cette langue. En gros, je peux écouter un podcast entièrement tout en faisant autre chose, sans réaliser qu’il n’est pas en français.

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Cette petite mésaventure aux conséquences mineures (j’ai quand même fait un super pavé sur la différence entre les féministes et les masculinistes, hey) me permet d’aborder ma réflexion sous un angle différent. Je suis française (mon père était allemand mais a été naturalisé, légalement mes deux parents étaient français), je parle français, je le lis et manifestement, je sais l’écrire aussi.

Quand j’étais gosse, internet n’était qu’un rêve humide de geeks outre-Atlantique. J’ai donc lu et dessiné la majeure partie de mon temps libre.

Je lisais tout ce que je trouvais. Tout. Après avoir épuisé ce qui se situait à mon niveau, j’ai plongé dans les bibliothèques pour adultes. Je me souviens très nettement d’avoir rencontré le mot « persil » avant d’avoir appris la prononciation du mot à l’école. Je lisais des choses pas adaptées mais fascinantes. J’avais aussi un dictionnaire et une encyclopédie à portée de main. J’ai appris des mots, j’ai compris les figures de style sans savoir les nommer, je reconnaissais les styles des auteurs. J’ai lu à peu près tout Zola avant mes 14 ans, ça reste un de mes auteurs classiques préférés.

Je lis également très vite. Pas le mode « hyper lecture » des pros, parce que j’aime savourer ce que je lis, mais je suis en capacité de m’enquiller de larges quantités de texte. Enceinte, j’ai lu Game of Thrones, les 5 volumes de 800 à 100+ pages. 48h chaque tome, en comptant le sommeil et les pauses. Pas olympique, mais pas mal.

Il y a aussi un truc : je suis en capacité d’adopter un style littéraire soutenu ou un style « support technique », je peux écrire des mails commerciaux, des newsletter corporate, ce genre de choses. Je SAIS le faire. Je sais utiliser des super mots.

MAIS JE NE LE FAIS PAS.

Jeune Fille lisant – Fragonard

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Attention, ceci est un twist.

J’ai rapidement trouvé ma propre langue sexiste. Et je ne dis pas ça à partir du moi, maintenant, mais la fille que j’étais dans les années 80/90 le voyait et s’insurgeait déjà à l’école devant l’accord en genre et en nombre.

Sur une pièce de 100 personnes, s’il y a 99 femmes et 1 homme, on genre au masculin.

J’étais outrée, mais j’étais en CM1 je crois, je n’allais certainement pas m’offusquer en public.

Pour moi, ça a été la première offense. A partir de là, le moi-enfant a décortiqué avec un regard critique les lectures qui me passaient sous la main. J’ai commencé à observer ce qu’on disait des femmes, la manière dont elles apparaissaient, avec les outils de mon âge, c’est à dire pas grand chose. Mais j’ai cherché à construire ma pensée littéraire par rapport à ça et le reste de ma scolarité, j’ai continué à chercher, à essayer de comprendre comment une si belle langue pouvait être aussi sexiste. Pourquoi le langage était un outil de domination. Laisse tomber quand j’ai découvert ce bon Jean-Jacques Rousseau…

Ma prof de Français de seconde était une femme formidable, elle voyait bien que j’étais apte, même si je n’étais pas trop trop d’équerre à ce moment-là de mon adolescence. Elle a rapidement saisi que j’étais capable d’écrire, me donnait conseil et suggestions, me conseillait des lectures. C’était un des seuls cours que je suivais avec presque assiduité.

Puis j’ai fait Lettres, parce que forcément, j’ai fait un cursus littéraire. Je suis tombée sur un prof réputé dans un lycée réputé que je venais d’intégrer. Ce prof était presque comique. Il nous parlait toujours de manière ultra-verbeuse, faisait des jeux de mots trop intelligents pour nous, se moquait de notre manque de répondant. Je l’agaçais prodigieusement car, pour finir, je ne venais plus que pour les devoirs. Je l’agaçais car j’arrivais à avoir une moyenne plus que correcte en n’allant pas en cours. Je lisais les bouquins chez moi, je faisais mes fiches de lecture, mes explications de texte, mais ce type était insupportable. Il a même réussi à rendre Queneau (les Fleurs Bleues) ennuyeuses. Si ennuyeuses que j’ai racheté le livre, bien plus tard, pour le relire et conjurer le sort.

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A ce moment-là, j’écrivais déjà. Je jetais souvent mes écrits, je me trouvais inepte, mais j’essayais. En fait, je m’ennuyais avec le français littéraire.

C’est mon père, qui écrivait lui aussi, qui m’a parlé de néologismes pour la première fois. Il avait inventé un mot pour désigner mes grands parents, un mot dont je ne me souviens plus, mais un truc très insultant. J’ai gardé l’idée de néologisme, j’ai jeté le reste. Après tout, ces gens qu’il détestait s’occupaient de moi, EUXLLES.

J’ai aussi pu lire certaines de ses nouvelles, et j’étais fascinée. Allemand de naissance, il n’avait appris à parler, lire et écrire le français qu’à 11 ans vers 1948, trouvé par un policier français, errant dans un parc. Ses parents n’avaient pas considéré l’idée de le scolariser. Mon père pleurait en parlant de sa scolarité de petit boche dans une France d’après-guerre. Je sais que sa peine n’était pas feinte, il a été victime de trucs effroyables en France. C’est une des seules fois où je l’ai vu pleurer sincèrement. On sentait le trauma remonter.

Et pourtant, quelle réussite ensuite ! Réussite relative, mais, hey, chercheur en Géologie au CNRS, ça claque. Il avait une maîtrise impeccable du français, mais ses textes avaient un style très particulier. Bien sûr, ça m’a influencée. J’ai réalisé qu’on pouvait bien parler français et faire l’iconoclaste quand même.

Alors je me suis dit, merde, je vais faire ça. Je vais écrire comme je pense, comme ça me vient, je vais jouer avec la personne qui me lira, faire des rappels, filer des métaphores idiotes, utiliser des analogies complètement pétées, jouer sur la musicalité des mots et des phrases en utilisant un langage pas châtié.

J’aime pas l’idée de châtiment, de toutes façons.

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Tout ça, là, plus haut, c’est destiné à expliquer ce qui arrive ici. Tout était lié depuis le début, et je ne digressais pas, HA !

Techniquement, je sais lire à peu près tout ce qui me passe sous la main, y compris Silvia Frederici. Je lis des études, des essais, des textes obscurs, parfois ça me semble hors de portée, mais j’y arrive.

Quand je lis Bourdieu, par exemple, je me dis « Merde, pourquoi utiliser 50 000 mots alors que tu pourrais résumer ta pensée en 2 lignes ? », c’est quelque chose qui reste pour moi du domaine de l’obscur. Je n’ai jamais compris comment se vouloir « pour toustes » et utiliser des phrases alambiquée pouvait se conjuguer. Mon idée des sciences, c’est de les rendre abordables, intelligibles au plus grand nombre. Pourquoi, alors, se faire des remparts de verbiage, si ce n’est dans un geste d’exclusion, même involontaire ? Alors oui, d’accord, tu as appris plein de mots, tu veux le montrer, c’est super, mais penses-tu aux personnes sans le capital culturel requis pour te lire alors même que tu décris le capital culturel comme une inégalité primaire ?

ENTERS LE MILITANTISME

Lorsque j’ai découvert l’écriture inclusive, j’étais ultra partante. C’est toujours compliqué pour moi qui aime le rythme et la musicalité des phrases qui se répondent, mais dans le principe, c’était révolutionnaire. J’ai ensuite pris connaissance des subtilités sexistes pointées du doigt, j’ai reconnu ce que j’avais à peine réussi à élaborer dans mon coin bien avant. Je n’étais pas si folle : ma langue natale est une langue qui a été rendue profondément sexiste. Tu savais qu’au Moyen-Age, on féminisait les noms de métiers ? L’étymologie ne commence pas aux Lumières. Il y avait un monde, avant. Un monde où les femmes travaillaient, étaient artisanes ou médeciennes. J’ai lu récemment que « depuis la nuit des temps, l’homme va chercher subsistance et la femme reste au foyer » et ça m’a fait marrer. Non, d’accord, j’ai râlé en premier lieu, j’ai ri ensuite. Comme si les femmes avaient découvert le travail en 1850…

En en apprenant plus sur l’histoire féministe, j’ai découvert que les mots étaient importants. La langue a été « refondue » entre la Révolution et aujourd’hui, cet accaparement de l’Académie Française sur le Verbe, se déclarant autorité sur le monde des mots, a été un outil avant tout oppressif.

Exclure les personnes du savoir, des mots, changer le sens, les règles grammaticales, tout ça n’est plus entre nos mains. Un groupe de vieux mecs se rassemble de temps en temps pour ajouter des mots au dictionnaire. Parfois, il en sort des choses intéressantes, comme l’entrée du pronom « iel » dans le Robert. Mais ces gens sont les gardiens d’une langue qui nous a échappé.

L’usage fait le dictionnaire. C’est pour ça que, contrainte et forcée, j’utilise désormais parfois le mot « digital » à la place de « numérique », car l’usage fait le dictionnaire. J’essaie d’être cohérente. Si « iel » est dans le dico, je peux faire un effort. Par contre, pour « KPI » ou « ROI » vous pouvez aller vous faire rincer les yeux au formol. Merci.

La tenue officielle de l’Académie Française.
Note l’usage du mot « spencer ». Non, rien, c’est drôle.

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Il y a quelques mois, j’ai rencontré une personne née en Hongrie, anglophone, mais qui avait une passion pour la langue Française. La première question qu’il m’a posée était « que penses-tu de l’Etranger de Camus ? ». Alors j’ai chopé le PDF, je l’ai relu rapidement, et j’ai répondu « Le colonialisme c’est vraiment de la merde ». Il n’était pas prêt à cette réponse. Comment un ouvrage aussi emblématique m’amenait à  une telle réponse ? Je ne voyais donc pas les figures de style, l’ambiance, le désespoir ?
Si, si, je les ai vus, t’en fais pas. Mais je n’ai pas éprouvé d’empathie pour Meursault qui se la coulait douce en Algérie et qui tuait un mec sur la plage « à cause du soleil ». Parce que je connais l’histoire coloniale de mon pays mal-aimé, que je sais ce que signifie un fonctionnaire blanc en Algérie, que ma lecture est ancrée dans ma culture. Je ne peux pas lire l’Etranger de Camus en oblitérant ce passé colonial. Pour moi, ce court roman est une lecture à plusieurs niveaux, mais je ne vais pas faire une fiche de lecture sur l’Etranger (je peux, cependant, j’ai pas mal bossé dessus pour répondre à cet ami hongrois).

Il était un peu choqué que je « salisse » un chef-d’œuvre comme celui-ci avec tant de désinvolture. Il était presque outré, blessé. Et ça a empiré lorsqu’il m’a parlé du Petit Prince. Excellent livre au demeurant, romantique, émouvant, mais aussi…meh…la rose. Le personnage de la rose sous cloche m’a évidemment rappelé à la vision de la féminité et ça ne m’a pas plu. Ça reste un chef-d’œuvre, mais mon expérience de lecture est modifiée par mon militantisme. Je sais mettre mon féminisme de côté, j’ai lu ce livre à mon fils et j’ai même la superbe édition pop-up du livre. Mais quand même.

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Et c’est là, le nœud du problème.

J’apprécie la culture de mon pays, j’ai lu des romans incroyables, magnifiques, j’ai voyagé avec mes auteurs classiques, j’ai découvert la vie des gens d’avant, j’ai appris des mots, j’ai compris l’importance de la sonorité de ceux-ci. Le Bonheur des Dames m’a bouleversée.

Mais je porte un regard très peu complaisant sur les gardiens des Arts et des Lettres. Je pense que l’Académie Française est une escroquerie en costume rigolo. Je pense que le dictionnaire a été rédigé par les dominants, que les règles de grammaire ont été taillées pour l’exclusion des « autres » (les femmes). Le langage a été détourné petit à petit pour en faire un outil de domination.

Tu ne comprends pas ce que tu lis ? Le français n’est pas ta langue maternelle ? Alors beaucoup de savoir te sera à jamais inaccessible, tout comme la documentation technique de Bootstrap me le serait si je ne comprenais pas l’anglais.

Je pense que le savoir DOIT être accessible à tout le monde et que faire des phrases alambiquées ne le rend pas accessible. On a là un superbe gatekeeping des familles : si tu ne sais pas comprendre tel ou tel auteur, tu es dehors. Cela concerne les Lettres, mais aussi l’Art, les Sciences Humaines et, évidemment, les Sciences Avec Des Chiffres. On protège notre savoir et on le rend presque mythique.

Je pense aussi que la langue doit évoluer, tout comme elle a évolué durant les 1000 dernières années. Le pronom « iel » est dans le dictionnaire, maintenant. Comme quoi, on a encore des soubresauts d’intelligence. La langue doit refléter la société, pourquoi se figer sur les Lumières et se dire qu’on a atteint là le pinacle du Verbe ? Je sais qu’on a le sosie de Napoléon au gouvernement, mais quand même, merde, les gars…

Donc je dis sororité, je dis adelphité, je n’utilise pas le mot fraternité. Liberté, Égalité, Fraternité ? Je ne connais et n’expérimente, vaguement, que le premier. Vaste blague portée au fronton des mairies et des préfectures. Je ne suis le frère de personne.

J’aime mon pays, en fait. Mais quand je vois qu’on hisse des drapeaux bleu-blanc-rouge sur la place au coin de ma rue, j’ai la nausée. Je sais qu’on fait la chasse aux « étrangers », je sais qu’on ruine les tentes des migrant-es à Calais, je sais qu’on expulse des mineurs, je sais qu’on laisse les gens crever dans la Méditerranée, je sais qu’on tue des jeunes dans la rue en toute impunité, qu’on laisse sans solution des familles précaires, qu’on traite les personnes en situation de handicap comme des déchets. Je suis en colère. Je ne peux absolument pas être d’accord avec ça. La levée du drapeau marque, dans mon esprit, un pas de plus vers le fascisme le plus brutal.

Tout ça, je le ressens car je suis née dans ce pays. J’ai une conscience aigue du passé colonialiste et du présent pas glorieux. Lorsque je lis un texte, je regarde la date de parution initiale, pour contextualiser ce que je vais lire. J’ai d’ailleurs fait une fiche de lecture sur un bouquin d’Alain Juppé trouvé dans une boîte à livres. Livre de 1995, c’est à dire durant les manifestations étudiantes, les dernières manifs qui ont porté leurs fruits. Lire ce livre sans cette référence-là, sans connaître le contexte d’écriture, peut donner une autobiographie peu intéressante au rythme poussif. Le lire en sachant ce qu’est devenu Alain Juppé ensuite rend l’exercice beaucoup plus intéressant.

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C’est pour ça que j’écris comme je parle. Mon but n’est pas de m’enfiler 3514 mots de bon matin pour l’amour de l’art, non. Je veux parler à des personnes, expliquer des concepts rendus inintelligibles le plus simplement possible. Je ne fais pas de livre, ici, je te parle et je te tutoie. C’est à toi que je m’adresse, pas à des connards en costard qui se pensent plus intelligents que la punk à chats que je suis. Mon langage est destiné au parler. Pas à la Pléiade.

En tant que militante, mon langage doit refléter ce que je pense pour transmettre le savoir le plus fidèlement possible. Les mots sont importants, alors j’utilise l’inclusif, les néologismes et je détourne certaines autres règles plus ou moins librement.

L’utilisation du mot « adelphité » au lieu de « fraternité » n’est pas forcément une marque d’un français littéraire soutenu et étymologiquement correct. C’est un geste militant, tout comme dire « toustes » ou « ceuxlles ». Je me permets ceci car je sais que j’ai une certaine culture langagière et je me fais une joie de tout piétiner.

Je ne piétine pas la langue française, je piétine son utilisation comme un outil oppressif. La langue française appartient à quiconque peut la parler.

J’ai vécu un an à la Réunion. Après quelques mois, je comprenais le créole réunionnais. Et j’ai passé des moments incroyables à chercher l’origine des expressions. Je demandais aux concernés d’où venaient les mots, et on m’expliquait, et c’était fabuleux. Voilà une utilisation contestataire et admirable du langage où « l’argent braguette » désigne les allocations familiales. Le créole est un langage de résistance, un langage que les métropolitain-es ne comprennent pas, qui permet d’échanger entre soi en se moquant des dominants.

Je n’ai pas parlé créole. J’aurais pu, mais ce n’était pas mon langage à moi. Et j’ai posé la question à mes référents-créole : ouais, j’aurais eu l’air con. J’ai continué à parler français tandis que la bande des tontons et des voisins s’essayaient à des expressions plus complexes pour voir si je suivais.

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Pour finir là où j’ai commencé, je comprends cette « fétichisation » du français. Vu de l’extérieur, si on lit les auteurs classiques (les femmes n’existaient pas encore à l’époque), le français est une langue mélodieuse, harmonieuse, extrêmement riche. Une langue très exigeante avec une grammaire remplie d’exceptions, une langue difficile à conquérir. Je dis ça en ayant fait 7 ans de russe. Pour mes profs de russe, le français et l’allemand étaient des langues beaucoup plus compliquées que le russe. Ma première prof était née en Pologne et avait appris le russe lorsque ses parents sont revenus de Sibérie. Elle parlait couramment le polonais, le russe, l’allemand, l’anglais et le français. Elle trouvait le français extraordinaire et a épousé un français (qui est aussi devenu prof de russe et que j’ai eu l’année suivante).

Oui, c’est une langue riche et fabuleuse. Une langue riche et fabuleuse que j’ai le privilège de pouvoir fouler au pied pour en faire un outil de propagande militante.

Je comprends que le français puisse fasciner les personnes dont ce n’est pas la langue maternelle. Le russe m’a tout autant fascinée. Je suis une brêle en langues vivantes, mais quand même. Le russe est une langue magnifique et lorsque j’ai été à Saint Pétersbourg en 1996, ça m’a changée.

Tu sais, ce qui m’a changée ? De voir des gosses picoler de la vodka dans la rue à 10h du mat. De voir les immenses tours d’habitation à perte de vue. De ne pas avoir d’eau chaude car la mairie coupait tout à partir du 30 juin, mais chez les pauvres uniquement. J’ai fait un malaise dans le Palais de Catherine II de Russie, j’ai visité le musée de l’Ermitage, tout ce rococo m’écœurait, finalement, car je voyais bien comment ma correspondante vivait au jour le jour. Cette expérience n’a pas eu l’effet voulu sur moi : ouais, les musées, c’est chouette. Mais, dites, on laisse vivre les gens comme ça au pays de Pouchkine et Dostoïevski ?

Je n’ai pas d’autre conclusion que : le langage est vivant, abusons-en ! Tu fais des fautes d’orthographe ? N’en aie pas honte, moi aussi j’en fais. Tu es dyslexique ? Je ferai l’effort de te comprendre. C’est ton message qui m’intéresse, pas ton niveau en français.

La langue est un outil puissant, alors utilisons-là sans vergogne.