Heure de réveil : 4h17 (pfff)

TW/CW : suicide, viol, meurtre, sans description

Comme on pouvait s’en douter, j’en ai pas fini avec la méchanceté. Y’avait trop de mots. Donc on va essayer de fouiller ailleurs, dans les implications et embranchements de la méchanceté comme outil et posture idéologique.

Tu l’as sans doute compris si tu me lis avec assiduité (j’ai maintenant une newsletter, zéro excuse !) ou si tu es tombé-e là dessus par hasard, mais j’ai en cours une réflexion sur l’utilisation des traits antisociaux et leur valorisation dans les médias et la société.

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On préfère les méchants dans les films. Le Joker. Le psycho d’American Psycho (qui est mille fois pire dans le livre, just sayin’), les gens qui font de l’humour « noir » et les edgy boys qui pensent que provoquer les gens ou les trigger c’est super fun.

« Expérience sociologique » est le terme qui m’a fait revenir à ce sujet. Je matais du drama sur des gens que je ne connais pas et je suis tombée sur le pendant nerd d’Astronogeek et Acermendax, un type assez épouvantable, aux propos que je ne peux même pas rapporter ici, et qui a pensé sauver la mise en disant « haha c’était du troll tout du long, je vous ai bien eus !!! »

Deux points se relient ici et c’est intéressant. Cette propension qu’ont les dominant-es à faire des « blagues » juste pour tester nos limites. Je suis fondamentalement convaincue qu’une bonne partie de ce qui est appelé second degré ou humour noir sont en réalité des tests. On teste si notre point de vue divergent est accepté en le faisant passer pour une blague. Je te le dis tout de suite, je suis une féministe killjoy qui relève tout et s’il y a UNE chose qui me dit « c’était pas une blague » c’est ça.

« Est-ce que je peux joker transphobiquement et rester dans la communauté ? » pour ensuite ouvertement se montrer transphobe si la réponse est à la hauteur des attentes.

Genre je fais des vannes sur le suicide, j’y peux rien vu que ce sujet occupe une chambre dans le palais mental de mes horreurs, mais un jour, j’ai blagué avec la mauvaise personne, tout en étant concernée par mes propres propos. J’ai trigger cette personne, je l’ai décelé immédiatement, je me suis confondue en excuses et j’ai réalisé que non, c’était clairement pas drôle en vrai. Car mes vannes n’en sont pas vraiment. Je fais encore des vannes de ce type, mais uniquement avec des personnes dont je sais que ça ne leur rappellera pas une situation déjà vécue ou si je sais que la personne est très peu sensible aux triggers. Ou, si la personne est également suicidaire, la plaisanterie permet de souffler, de se projeter dans le pire en étant compris-e et écouté-e par une tierce personne elle aussi concernée.

La différence, ici, c’est que je ne dis pas « va te suicider » aux gens quand je ne les aime pas. Parce que c’est tout sauf drôle, que je ne connais pas leur potentiel dans le domaine et tout ça.

Dire « va te suicider » à une personne suicidaire, c’est méchant. C’est jamais drôle, c’est uniquement un exercice de pouvoir et de domination, voire de silenciation totale, sans (avec) mauvais jeu de mo(r)ts. Qu’est-ce qu’on se marre.

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Ici, on va parler un peu de ce qui a été relevé en commentaires sur FB (les coms sont super intéressants sur le dernier billet) à savoir la problématique de situer la méchanceté dans la diversité de ce qui est moral/éthique ou pas.

Exemple : tuer une personne, c’est mal. C’est dans les tabous humains. Pourtant, certains pays appliquent la peine de mort pour les meurtriers. Mais une personne qui tue pour se défendre et a les moyens de le prouver sera rarement condamnée à mort (même si ça dépend de sa couleur de peau et de son genre). J’ai l’histoire assez abominable d’un père qui a tué l’agresseur de son fils dans un lieu public, la scène a été filmée, le type a été entendu par la justice mais il n’y a pas eu de peine de prison pour lui, alors qu’il a tué en dehors du cadre de la justice. Est-ce qu’un père dévasté par le chagrin, la trahison et la haine est moral quand il tue l’agresseur de son fils ? Pour moi, non. On est pas sensé-es se substituer à la justice. Sauf que la justice, en cas d’agression sur enfant, on sait ce que ça donne : de la déception et un apitoiement soudain pour l’agresseur. Les procès concernant la pédocriminalité sont insoutenables à regarder au vu des justifications données. Mais c’est pas le sujet, hop, on revient au propos, merci.

Dans beaucoup de cultures, le duel a pu avoir cours jusque récemment. On pouvait tuer un adversaire suite à une offense, dans un certain cadre. Oui, les duels furent réglementés avant d’être interdits, ce qui veut dire que tu pouvais plus ou moins régler tes comptes « à la loyale » sans trop de problèmes.

Si tu dis que tu aurais aimé qu’Hitler soit assassiné, c’est globalement plutôt bien accepté.

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On est ici dans ce qu’on appelle le contrat social : les règles pour vivre ensemble sans que ça dégénère trop. Tu vas me dire que vu la gueule du monde c’est pas très efficace, mais ça permet quand même de poser un cadre, culturel, autour de ce qui est acceptable ou pas. Aux Philippines, on peut légalement t’enfermer et t’exécuter pour un deal de drogue. Au Portugal, les drogues sont légalisées. Grâce aux efforts conjugés de toute la droite et du fascisme, la loi légalisant l’IVG aux US a récemment été cassée. L’IVG est d’ailleurs un bon sujet sur l’éthique mais c’est pas le moment. On peut aussi parler de la chasse aux personnes homosexuelles par différents pays.

Bref : un truc légal ici sera passible de mort ailleurs. Tabasser une personne trans sera super bien vu dans certains espaces alors qu’il faut être la pire des raclures pour s’en vanter. Tout comme le type que j’évoquais en parlant de la normalisation de la violence masculine, celui qui a tué sa femme puis paradé dans la rue pour s’en vanter (je passe les détails).

Est-ce qu’il y a une morale universelle ? Je ne pense pas, mais je peux me tromper. Une éthique universelle serait plus envisageable car l’éthique va au delà de la morale en étendant la réflexion sur ce qui se fait ou pas au niveau « naturel » (oui, je sais, la nature, la culture, d’où les guillemets, je raccourcis car beaucoup à dire)

Tu peux parfaitement aimer les animaux…et en manger. Moralement, la consommation de produits animaux ne pose pas vraiment de problèmes car « on doit bien se nourrir ». L’éthique dit « Oui mais est-ce que c’est vraiment un truc à normaliser ? Est-ce qu’on peut faire autrement pour faire cesser la violence envers les animaux ? ».

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Alors maintenant, on fait quoi, si la méchanceté dépend du contexte ?

Un businessman ascendant requin qui réussit en piétinant les autres est en général bien accepté par le monde néolibéral. J’ai vu passer beaucoup d’articles sur la psychopathie du pouvoir : une personne sans scrupules ira plus loin et la méchanceté paye. Je ne suis pas forcément convaincue par des articles parlant de psychopathie, étant donné que le terme (avec celui de sociopathe) ont fait plus ou moins place aux troubles de la personnalité antisociale combinée avec d’autres comorbidités. Mais ma propre expérience du monde du travail valide cette thèse à 100%. A croire que le manque d’empathie est une qualité enviable chez les dirigeant-es.

Un milliardaire peut avoir un pouvoir de nuisance très élevé (Bill Gates) mais une image super cool (Bill Gates).

Et puis les méchants des films sont souvent plus idéalisés que les gentils qui sont trop lisses. On aime catharsiser sa propre violence et c’est compréhensible. Mais idolâtrer un Christian Bale à la batte de base-ball qui tue des femmes, en fait, c’est fondamentalement pété. Les personnages à l’écran font ce qu’on ne peut pas faire : voler, tirer des lasers avec les yeux, être bien maquillé-e au réveil, savoir replier une carte routière du premier coup. Ce genre de trucs, mais aussi s’adonner au pire du pire « pour de faux ».

L’exemple qui ne me revient pas en tête car heureusement je n’ai pas regardé ce film, c’est « Irréversible » de Gaspard Noé. Il y a une scène de viol insoutenable qui dure beaucoup trop longtemps genre 15 mn. Pourquoi ? Oui, tu veux montrer le mal, mais c’est une justification à la vengeance du Protagoniste (c’est à dire absolument pas la victime, qui sert de prétexte), le vieux coup de l’homme dont la femme a été endommagée et qui part en guerre au lieu de rester avec elle pour la soutenir.

Pourquoi insister autant sur une scène ? L’impact est là, même en 2 mn. Juste la scène avant l’agression me trigger, perso, j’ai pas besoin de voir ça. Je ne suis pas cinéphile, mais j’ai lu à peu près tous les points de vue sur ce film et je ne sais toujours pas ce qui a motivé ça, à part l’edgyness ultime. « Hon hon je montre des trucs super graves qui seront gravés sur vos rétines ». Shock value. Mais en vrai, il fait un film et gagne de l’argent en filmant une agression abominable, tout comme les réalisateurs qui partent sur du revenge movie. On a fait du mal à TA femme, tu vas tuer le méchant en te rendant toi-même méchant mais ta méchanceté est « justifiée » par l’outrage que tu n’as même pas subi personnellement. De mon point de vue, c’est le pire poncif filmique. On justifie la violence grâce au malheur d’une femme ou d’un enfant ou d’un chien, des personnes vues comme faibles, fragiles, à défendre. Alors le héros tue plein de gens et on trouve ça super.

Note pour plus tard : faire un article sur la violence féminine dans la fiction (même si ça a été déjà abordé dans les fiches de lecture de « Elle doit être folle »).

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« C’est bon d’être méchant » et de transgresser. Dans les films. Faire une crasse à un-e collègue est jouissif, mais pas éthique pour autant. Est-ce que ton propre plaisir mesquin vaut la crasse en question ? Non, mais dans un monde où la méchanceté est valorisée, c’est plus difficile de répondre.

Dans tous les cas, se décréter méchant-e n’est jamais gratuit et toujours un moyen d’asseoir un rapport de force par insécurité ou désir de nuire. Et j’ai énormément de mal avec ça. Cela signifie que tu te places hors du contrat social en toute impunité, que tu annonces une permission auto-accordée de faire du mal sans attendre de sanction et sans même envisager qu’il puisse y en avoir une. Après tout, tu avais prévenu.

La méchanceté affichée est une posture de repli dans l’agression, si cette phrase veut dire quelque chose. Faire du mal préventivement, c’est pas signe d’un super bien-être en dedans toi, chaton, même si certains actes ne seront jamais punis.

Puis merde. Le côté edgelord me tanne tellement !!!

Edgelord c’est le mot pour « Personne se décrétant méchante et antisociale pour critiquer tout et tout le monde qui lui revient pas sans attente de conséquence ». Au pire, tu diras que c’était une expérience sociologique ou une blague. So much fun avec les gens qui ne t’ont rien demandé. Je tombe parfois dans cette catégorie avec mon intérêt pour le macabre. J’ai vu/lu/vécu/entendu tellement de trucs glauques que j’y suis désensibilisée, et avant, je faisais des vannes vraiment, vraiment moches. L’autocollant « bébé à bord » sur un frigo me fait toujours rire, j’avoue. Pourtant c’est vraiment pas drôle, mais je ricane et je me sens méchante de ricaner. C’est le changement en moi qui a fait que j’ai cessé de rire ouvertement sur ce genre de truc. Mes propres limites sont loin, mais pas celles des autres. Faire une telle vanne et être lue par une personne touchée par le deuil périnatal, c’est tout de suite moins amusant.

« Quand tu essaies d’être un edgelord dark et tourmenté. Mais qu’à l’intérieur, tout ce que tu veux c’est faire des bulles et chasser des méduses. »

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Le truc c’est que…j’aime la violence. Pas en tant que telle, quoique. C’est un sujet qui me fascine d’autant plus que je me sais capable de violence (ce qui m’a sauvé la vie, parfois) et de méchanceté. J’ai un goût très prononcé pour la musique très brutale, en évitant de lire les paroles parce que le déni et la musique. Je viens d’ailleurs de linker un titre de Hatebreed qui dit en gros :

« A new life begins!
Destroy everything(x3)
Obliterate what makes us weak
Destroy everything(x3)
Decimate what threatens me
Cleanse this world with flame
End this, cleanse this
Rebuild and start again
Obliterate what makes us weak
End this and embrace the destruction
End this to embrace new life (new life)
Even an empty threat deserves a response you won’t soon forget
I must destroy everything that tries to infect
Even an empty threat deserves a response you won’t soon forget
I must destroy everything that tries to infect »

Trad :

« Une nouvelle vie commence !
Tout détruire (x3)
Oblitérer ce qui nous rend faibles
Tout détruire(x3)
Décimer ce qui me menace
Nettoyer ce monde avec des flammes
Mettre fin à tout cela, nettoyer tout cela
Reconstruire et recommencer
Oblitérer ce qui nous rend faibles
Mettre fin à cela et embrasser la destruction
Mettre fin à cela pour embrasser une nouvelle vie (une nouvelle vie)
Même une menace vide mérite une réponse inoubliable
Je dois détruire tout ce qui tente d’infecter
Même une menace vide mérite une réponse inoubliable
Je dois détruire tout ce qui tente d’infecter »

Cette chanson me met en joie. En puissance. Et ça apaise et attise à la fois ma propre colère. Pourtant, à priori, tout détruire c’est pas très très sympa. Tout cramer, c’est fondamentalement mal mais j’étais contente en voyant le Fouquet’s en proie aux flammes. Alors…ben c’est difficile de dire que la force cathartique ne fait pas de bien.

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Je pense que c’est ce que TU fais avec ta violence et ta « méchanceté intrinsèque » qui compte. Je suis parfois violente avec mes peintures. Je les ruine, je les déchire, je détruits parfois des heures de travail sur un coup de rage. J’ai eu des pulsions de pure méchanceté, et j’ai parfois été vraiment méchante même si ma constante nécessité d’approbation fait que je camoufle mes velléités vengeresses la plupart du temps. Je comprends qu’on puisse avoir envie de nuire et de détruire.

Mon souci, c’est la valorisation qui est faite de cette edgyness. Qu’on porte aux nues le Joker (ou Batman, le milliardaire inutile), même s’il a « ses raisons », qui diffèrent en fonction de la lore (on a plein de versions de sa genèse et le personnage lui même joue sur ce mystère, dont évidemment le « on a tué ma femme ») me dépasse. Oui, on vit dans une société. Mais est-ce bien nécessaire de tuer ou blesser des personnes qui ne sont pas responsables de ta vie et qui ne t’ont rien demandé ?

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L’autre souci, c’est que, souvent, la gentillesse est vue comme une qualité de personnes idiotes tandis que la méchanceté est le génie du mal. Cf. Rick et Morty où la morale est nette : si t’es intelligent, t’es méchant. Si t’es moins méchant, t’es naze et une victime. Attention, j’adore Rick et Morty, je trouve cette œuvre assez grandiose, sauf que j’ai perçu ce cadrage assez rapidement et que ça m’a sortie de la « morale » qui transparaissait. Je ne me ferai tatouer aucun des personnages, par exemple. Si, si, pour moi c’est un critère, je te promets.

Quand on est gentil-le, on est « trop bon trop con ». Et « on ne vit pas dans le monde des Bisounours » mais dans un monde injuste et violent. Injuste et violent, car on tolère l’injustice et la violence si elles se placent dans un cadre acceptable moralement. Ce qui a pu être normal autrefois ne l’est plus toujours, désormais. Ce qu’on peut faire en temps de guerre, on ne peut pas le commettre en temps de paix, normalement. Et aujourd’hui, dans un monde de violence économique et sociale, être perçu-e comme « woke » est une faiblesse au lieu d’être un ensemble de critères éthiques désirables. Faut être un loup pour l’homme et toutes ces conneries. Faut dominer, quitte à écraser.

Perçoit-on réellement cette violence-là ? On parle des employé-es Amazon qui souffrent au travail, mais on commande toujours sur Amazon. On sait que le monde est violent, mais on fait avec, en rendant la méchanceté acceptable. On passe les plans de licenciement et l’enrichissement insensé du 1% en étant non seulement dans la résignation, mais parfois dans l’envie.

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Mon avis, qui m’est propre, c’est que de se revendiquer méchant-e, c’est aussi adhérer au néolibéralisme et à la loi du plus fort. Ça va bien plus loin que d’avouer faire des crasses à des personnes, c’est une affirmation politique. C’est dire qu’on ne respectera pas les règles et qu’on a peu de chance d’être puni-e pour ça dans un monde favorisant la violence. C’est dire qu’on ne fera pas l’effort de se retenir pour les autres, sauf éventuellement par peur de la loi, et donc que leur existence même n’a que peu de valeur par rapport à notre propre désir de liberté.

Je vais finir en disant qu’un homme cisgenre qui me dit « je suis un bad boy agrougrou » m’envoie le signal « j’en ai rien à foutre des autres » plutôt que « je te fais peur », même si j’ai peur de la violence potentielle que portent ces propos. J’ai vécu une relation de violence avec un mec qui avait annoncé la couleur mais que je pensais, connement, pouvoir réparer. En fait, non, il était juste fragile et méchant pour masquer cette fragilité. Maintenant, j’ai presque de la pitié pour les gens qui se déclarent méchants, car je sais ce que ça cache.

J’ai dit presque. Parce que les autres, c’est aussi important que ta propre gueule et que si tu captes pas ça, on a pas grand chose à se dire.

Et je préfère écouter de la musique violente ou regarder du contenu horrifique plutôt que de fomenter des plans maudits pour anéantir mes ennemi-es.