Partie 3 sur 4 dans la série Femmes domestiques


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Présentation du livre

Pour bien commencer : le Livre Le Ménage de Madame Sylvain est paru en 1918, ce qui le place techniquement hors du champ de notre recherche.

Cependant, Mme Marie Robert Halt, de son vrai nom Marie Malézieux Vieu, l’autrice, est décédée en 1908. On peut donc fortement supposer que l’édition a pu connaître des concours de circonstances et une petite guerre pour voir le jour. À moins que quelqu’un-e ait fait de la nécromancie avec le Dr Brennus, on sait pas.

Qui est Marie Robert Halt ?

Nous sommes donc dans le contexte raconté dans le précédent billet : forte instabilité politique et sociale, évolutions profondes de la société, guerres et révolutions. La République en est à sa troisième itération et la vie n’est pas simple.

L’Église perd en influence, la haute bourgeoisie se frotte aux milieux aristocrates : industriels et banquiers prennent le pouvoir. Les valeurs changent comme le monde, les certitudes deviennent nécessaires et les personnes hésitent entre la liberté de la République et le sauvetage d’âme promis par l’Eglise. Conservateurs et réactionnaires sont nombreux.

Comme on a pu le voir précédemment, l’image de la ménagère est née dans les années 1850. Pour renvoyer les femmes au foyer de manière efficace, il fallait apprendre aux filles à tenir une maison correctement. D’où les guides, romans, cours et bandes dessinées à ce sujet. Si la femme doit revenir au foyer, autant le faire correctement.

Cette planche d'images commentées présente la vie quotidienne de Marthe, une bonne petite ménagère, qui trime du matin au soir.

Marthe la bonne petite ménagère, circa 1870, Imagerie d’Épinal

 

Fleurissent donc des ouvrages destinés aux jeunes filles, à lire en classe ou chez soi.

Avec Marie Robert Halt, on est sur des livres scolaires. C’est une autrice reconnue, lauréate de l’Académie Française, dont l’œuvre a été largement diffusée au sein des lycées de filles dans le cadre de leur éducation morale, civique et ménagère. Elle propose aux institutrices des versions « prof » des livres, pour engager les différents sujets. Et c’est vraiment pas mal foutu.

Il est donc très possible que nos grand-mères ou arrière-grand-mères aient lu du Marie Robert Halt dans leur enfance.

Je n’ai pas pu m’empêcher de me demander dans quel monde ma propre grand-mère a grandi, et je comprends mieux la raideur qu’elle affichait sur ses photos d’enfance. La vie, c’est serious business, toutes les générations après nous sont rien que des enfants gâtés. Et c’est fondamentalement pas faux, attendu que certain-es d’entre nous ont été élevé-es sans coups, sans guerre, sans famine.

C’est donc un livre qui a été lu et relu par des centaines, peut-être milliers de jeunes filles scolarisées au début du XXème siècle. Ce type de lectures a donc été formateur pour des générations de femmes au foyer et leur a fourni les outils, les armes et le plumeau pour faire les poussières.

(les mentions abrégées et nombre de pages, tomes, ont été retirées pour améliorer la lisibilité) EN VENTE A LA MÊME LIBRAIRIE COLLECTION DE LIVRES DE LECTURE COURANTE POUR LES JEUNES FILLES L'Enfance de Suzette, illustré, à l'usage des jeunes filles du cours élémentaire, par Marie Robert Halt, lauréat de l’Académie Française. Suzette, illustré, à l’usage des jeunes filles du cours moyen, par Marie Robert Halt. Le Ménage de Mme. Sylvain, illustré, à l'usage des jeunes filles du cours supérieur, par Marie Robert Halt. Le Droit Chemin, (Enseignement moral et antialcoolique à l’usage des jeunes filles des cours moyen et supérieur.) POUR LES GARÇONS ET POUR LES FILEUR Premières lectures, à l’usage des garçons et des filles du cours préparatoire, par Marie Robert Halt. Deuxièmes lectures, à l'usage des garçons et des filles du cours élémentaire, par Marie Robert Halt. Écoliers et Écolières (leçons de morale et leçons de choses), lectures variées accompagnées de développements et de causeries sur la morale, l'histoire, la géographie, les sciences physiques et naturelles, etc., par Marie Robert Halt, à l'usage des garçons et des filles des cours moyen et supérieur. POUR LES GARÇONS Yvan Gall, le pupille de la marine, par Gabriel Compayré, ancien élève de l'École normale supérieure, docteur ès lettres, recteur de l'Université de Lyon, correspondant de l'Institut, illustré, à l'usage des garçons des cours moyen et supérieur, (Ouvrage couronné par l’Académie des sciences morales et politiques.)

L’histoire de Suzette et de la famille Sylvain

Suzette Dumay a perdu son prénom pour devenir Madame Sylvain. Sylvain, c’est le prénom de son mari. Suzette est le nom précédemment connu par toutes les jeunes filles mentionnées plus haut (L’Enfance de Suzette, Suzette), mais sa crédibilité ne fait pas le poids par rapport aux conventions sociales liées au mariage.

Suzette a eu l’enfance compliquée nécessaire pour fournir un bon matériau de base à l’autrice.

Elle a un frère aîné prénommé Jacques, et deux jeunes frères, François et Charlot..

Son père Denis est un fermier bien avisé, sa mère est décédée lorsque Suzette avait 9 ou 10 ans.

Elle et Sylvain ont quatre enfants : Marguerite, Paul, Pierre et Madeleine.

Ludivine, une veuve du voisinage, travaille chez eux. Elle a deux enfants : Lisa et Vincent.

Le fils de Vincent (un bon à rien) est nommé Tiennet (un bon à rien aussi)..

Jacques est marié à Cécile, leurs enfants sont Claude et Françoise. Cécile vient d’une bonne famille et on apprend au début de l’ouvrage qu’elle a touché un héritage important. 15 000 frs ( 67 155€ actuels).

Plus tard, on apprend que François veut épouser Lucie, la fille de l’institutrice. Qui nécessitera les conseils de Madame Sylvain parce que sinon y’aurait pas de livre.

Au fil de l’histoire, Marguerite grandit, François et Lucie se marient, Jacques et Sylvain font un gros investissement en Amérique qui leur fait perdre leur fortune à tous les deux. Madame Sylvain aura pourtant prévenu son mari, mais elle n’a aucun pouvoir sur les finances. Son intelligence et son bon sens leur permettront de sortir de l’ornière tandis que Cécile vivra mal son déclassement. Ensuite, tout le monde meurt, car nous sommes presque 120 ans plus tard.

Et encore, je ne t’ai pas parlé de Louis et ses enfants, hein ? Les Valon, les Delorme ?Je connais tout du Madame Sylvain Cinematic Universe, maintenant !

Un roman d’apprentissage

Madame Sylvain sait tout. Elle apprend à sa fille comment tenir un foyer, sa basse-cour, comment coudre, broder, cuisiner, choisir ses aliments, faire ses comptes, enfin, la totale.

Tout ceci se situe dans un roman qui suit une trame narrative. Cet aspect a orienté mon choix d’étude, car s’ils en disent beaucoup sur leur temps, peu d’ouvrages d’économie domestique nous présentent un paysage de la France des années 1900 en bonus.

Et, effectivement, j’en sait désormais beaucoup plus sur la manière de vivre au quotidien dans un rôle assigné à une femme. Dire que c’est éreintant ne ferait pas honneur à la MASSE de charge mentale qui repose sur ces épaules fatiguées.

On est là sur la V 1.0 de la femme domestique ou « tradwife ». Même si mon lave-vaisselle m’a fait des misères, j’ai envie de lui déclarer ma flamme. D’abord, il n’y a pas d’électricité ni d’eau courante dans chaque domicile. C’est plus souvent le cas en ville que dans les campagnes. On cuisine à la cheminée ou au poêle dont le feu doit être nourri en permanence. Les pommes de terre viennent du jardin, on les a donc plantées, cultivées, récoltées, nettoyées et préparées.

Lors d’une excursion à Paris, la tante de Suzette lui dit « Vous, paysans, vous ne nous amenez pas suffisamment à manger ! » Car la majorité des victuailles présentées sont importées. Suzette répond que hey ho, c’est pas si facile. On vient de découvrir les pesticides et l’engrais, la production commence tout juste à s’industrialiser. Et puis vous gaspillez tout le temps ! Faut pas gaspiller !

Et cette pauvre Marguerite boit les paroles de sa maman, bien évidemment. Car c’est comme ça qu’on transmet.

Le monde de Madame Sylvain

Un monde plein de dangers

On sait peu de choses de l’extérieur, de la ville et de l’Étranger. L’Algérie est mentionnée, mais l’Afrique n’est qu’un grand pays super loin. Les Amériques semblent plus civilisées à nos protagonistes, comme le veut ce livre qui est un livre de son temps. C’est à dire un livre profondément raciste, où la pensée eugéniste et nationaliste tiennent bonne place. Je ne vais pas mettre de citation ou de capture d’écran sur ce point, c’est se faire du mal pour rien, les formulations sont abominables et on a un exemple un peu plus bas.

L’autre danger, ce sont les hommes. Coureurs, menteurs, ivrognes, le choix d’un mari est une étape cruciale. Marie Robert Halt, dans Battu contre des Demoiselles (je déconne pas), raconte une histoire de flirt et de mariage, dans lequel le beau mâle arrogant est pris au piège du mariage avec son amie d’enfance. L’homme est coureur, mais l’astuce des demoiselles le neutralise pour de bon en le casant avec l’une d’entre elles. Le mariage est donc bel et bien un piège, hein ?

L’ultime danger, c’est la maladie et surtout l’alcoolisme. Les descriptions de personnes alcooliques sont particulièrement imagées et grotesques. L’alcool se voit sur le visage, il ruine les familles et les vies. Et il est vrai que l’alcoolisme était un fléau, bien plus qu’aujourd’hui. La France reste un des pays les plus consommateurs d’alcool au monde…

Le travail de la maman sera donc d’éviter ces écueils et de suffisamment prendre soin de sa famille pour les préserver. Car on sait bien que si tu deviens alcoolique, c’est la faute à maman.

Et si tu trébuches, tu n’as qu’à t’en prendre qu’à toi-même !

 

Sagesse de l’une, bêtise des autres

Marie-Robert Halt adopte plusieurs personnages-repoussoirs afin de donner l’exemple et sanctionner les erreurs. Ces personnages sont absolument unidimensionnels et caractérisés par leurs défauts. Même si cela va en dépit du bon sens, même si les situations sont improbables, même si personne ne réagit de cette manière, nos figurant-es s’en tiennent à leur rôle.

Ainsi, nous commençons par Ludivine.

Telle que décrite dans les lignes de Marie Robert Halt, Ludivine est vieille, bête, sans esprit pratique. Son petit-fils Tiennet est sale, mal élevé par négligence et perdu pour les activités intellectuelles. Et j’adoucis beaucoup le portrait navrant de ces deux-là. 

80 - LE MÉNAGE DE MADAME SYLVAIN [...]manque rien ? dit Ludivine en arrêtant Marguerite au passage. — « Oui, cette fois, ça va, répondit en riant la fillette, qui mit lestement les choses en place, et il ne manque que les coquetiers..., le sel..., le couteau à pain. Pour son triple oubli, la vieille Ludivine leva trois fois les bras d'étonnement. — « Oh I voyez un peu, j'avais pourtant bien fait attention I Décidément, je n'y arriverai jamais ! Il faut être habituée à tout cela dès l'enfance. On ne m'a rien appris, je n'ai jamais mangé que sur les genoux, et mes parents aussi ; le reste à l'avenant. »

Genre, là, Ludivine, qui a l’âge du père de Suzette, ne sait pas mettre la table. Car une adulte ne peut rien apprendre de plus que ce qu’on lui a enseigné durant son enfance. Le message est appuyé, évident, presque une insulte à notre intelligence.

Ne t’en fais pas, on a aussi sa belle sœur Cécile à critiquer de manière passive agressive. Jacques a épousé une femme riche mais égoïste, paresseuse, exigeante, dépensière, et qui élève ses deux enfants de manière incorrecte. Trop gâté-es, on leur passe tout, ce sont des sales gosses.

Cécile, sur ces mots, se rengorgea un peu. « Vous comprenez, papa, qu'il nous est bien permis, après l'héritage de quinze mille francs que nous venons d'ajouter à notre bien, de prendre les belles manières, et do tenir notre rang I » Sans répondre à ces singulières paroles, M. Dumay, Sylvain et Suzette regardèrent Jacques, qui haussa les épaules. La pauvre Cécile, tout engouée de son héritage de quinze mille francs, croyait à sa supériorité de dame riche comme à la haute distinction de la cuisinière de Paris. Elle n'en voulait pas démordre. Qu'y faire pour le moment? C'est ce que signifiait clairement le haussement d'épaules de Jacques, qui sortit avec Sylvain pour donner au bourriquet la provende qu'il avait bien gagnée. Les enfants les suivirent dans le jardin et s'y mirent à jouer. Quant à Cécile, elle conduisit Suzette à la cuisine pour qu'elle y contemplât la Parisienne et ses grandes manières.

Ce qui est incroyable, et incroyablement rageant, c’est que Maman Sylvain a TOUJOURS raison et que toutes les autres qu’elle et Marguerite ne font QUE des erreurs qu’elle reprend gentiment. J’avais envie de la gifler assez fort, à la fin. Je sais que ça tient de la fable, qu’il faut apprendre des trucs aux enfants, mais merde, elle m’a crispée pendant des jours.

Plus ça va, plus je me dis que je peux comparer sa figure à celle de la Vierge Marie : on n’est plus dans le rationnel, ici.

 

Épilogues des personnages

Pour que les exemples soient encore plus criants, nous avons droit à un véritable épilogue moralisateur. Les actes ont des conséquences, une mauvaise éducation peut s’avérer irrécupérable ou mortelle.

Ici, personne ne s’amende. Le jeune frère François, qui a été l’enfant à problèmes de la famille Dumay, devient un beau jeune homme après avoir été éduqué par sa sœur Suzette. Le décès de leur mère lui aura rendu raison, je ne sais pas.

Je me permet de cacher les épilogues par un spoiler, afin de préserver ceuxlles qui auraient envie de lire ce livre et qui ne me lisent pas depuis la newsletter (désolée). On ne sait jamais. 

Montrer le texte

Famille Sylvain

  • Marguerite veut devenir institutrice.
  • Pierre prépare son entrée à l’école d’agriculture pour reprendre l’exploitation familiale.
  • Paul travaille bien et veut faire de la mécanique comme l’Oncle François.
  • Madelinette est « la joie de la maison », elle lit, écrit, et sait compter.
  • L’aïeul est vieux mais va bien.

Famille « Bois Maillard » (Jacques et Cécile)

  • Jacques a repris la direction de sa famille, mais trop tard.
  • Cécile est désormais soumise et défaite
  • Claude est un tyran pour sa mère, car il a été trop gâté.
  • Françoise devient une bourgeoise superficielle.

François et Lucie

  • François a bien réussi professionnellement
  • Lucie lui a donné deux enfants (c’est l’ensemble du suivi, oui)

Ludivine et Tiennet

  • Cette pauvre Ludivine a fini par rendre son dernier soupir sans avoir revu son fils.
  • Tiennet est désormais dans la famille Sylvain et on l’élève aux travaux des champs (pas d’école pour lui, on dirait).

La fin est prévisible dès l’apparition de chaque personnage. Marie Robert Halt veut probablement montrer que les actes ont des conséquences et elle le fait en taillant dans le vif sans aucune pitié ni compassion. Les jugements sont sévères et sans appel.

Les leçons de Madame Sylvain

Leçons d’hygiène et de médecine

Madame Sylvain est une femme de bon sens. Elle sait par exemple que les chambres doivent être aérées tous les matins et que les poussières se logent dans les poumons. Elle évite ainsi toute fioriture inutile dans cette pièce, mais aussi dans les autres.

On évoque ici la théorie des germes dans une double page assez intéressante : 

22 - LE MÉNAGE DE MADAME SYLVAIN [C’est Sylvain qui parle][...pous]sières de plusieurs provenances et il y a constaté la présence d’un nombre considérable de microbes meurtriers de notre espèce : microbes de la phtisie, du choléra, du typhus, de la diphtérie. « Le docteur en a conclu que ce sont autant d’ennemis qui dorment sur les meubles et dessous, dans les coins, derrière les cadres, sur les parquets des chambres, dans les rideaux, sur les étagères, et que ces ennemis, il ne faut pas s’amuser à les réveiller, à les disperser à coups de plumeau ou de balai; sinon, les voilà errants, et, dans leur course vagabonde, mis en passe de rencontrer le terrain qui seul leur manquait pour croître, multiplier et empoisonner. Ce terrain, c’est notre organisme qu’ils se chargent de détruire » De l’air d’un homme qui vient de trancher une grande question, Sylvain regarda sa femme, puis Mme Valon, et enfin Mlle Lucie, pour juger de l’effet produit par sa lecture. (Image et description d’un médecin et d’un microscope) 23 - LES POUSSIERES « Bien, dit Mme Valon, j’avais entendu parler de cela déjà : aux dernières vacances, mon fils Georges m’a cité des faits observés par lui-même, dans ses études médicales, et notamment celui-ci : une dame d’une méticuleuse propreté vint un jour sa tête envahie par la teigne, maladie du cuir chevelu qui fait tomber les cheveux « Or, cette maladie est causées par un champignon microscopique bien connu, et elle se développe surtout dans la chevelure des gens malpropres, vivant sans hygiène; « Intrigué, Georges fit une enquête et finit par découvrir que la literie d’une famille atteinte de la teigne avait été battue et refaite dans un terrain vague, voisin de l’habitation de cette dame. « L’étrange accident était expliqué : un germe du champignon morbide, emporté avec la poussière de la literie, puis chassé par un coup de vent dans l’appartement de la dame, avait suffi. « Les poussières sont si bien les véhicules des germes dangereux qu’à Paris il vient d’être interdit de cracher dans les omnibus et les bateaux, les crachats pouvant contenir des microbes qui, desséchés, mélangés aux poussières qui voltigent dans l’air, se propageant facilement.

Dans l’ensemble, les conseils donnés sont de bon sens. Il y a des imprécisions, des fausses croyances, mais le livre promeut la « vraie » médecine et se veut rationaliste. On est dans de l’anti-Brennus (Les Philtres). La psychosomatisation est évoquée, pas dans ces termes, mais on fait le lien entre le moral et la santé et c’est pas si mal foutu.

Ne prends pas ça pour un guide de survie, on reste dans une période où on se soigne au mercure. Prends plutôt ça comme un signe de l’évolution des croyances et des progrès de la médecine. 

On y apprend par exemple à faire bouillir les liquides avant consommation. Et ça, c’est Pasteur et c’est tout récent. Pourquoi c’est si intéressant ? Car l’usage de ce type de procédé dépend alors entièrement de la mère de famille. Apprendre à une mère à stériliser l’eau des biberons fait diminuer la mortalité infantile.

Cela relève d’un problème de l’époque : si la médecine moderne est relativement bien acceptée chez les classes dites supérieures, les médecines traditionnelles et les croyances ont encore largement cours dans les campagnes et dans le milieu ouvrier. La femme domestique sert donc à transmettre le savoir institutionnel et à faire adhérer à cette médecine nouvelle. Son rôle social est bien plus important que de juste mener son foyer.

Ainsi, Madame Sylvain se permet une seule fois de reprendre son mari, et ce sera au sujet des poussières. Elle ne peut rien dire contre la ruine financière, mais les poussières, c’est SON domaine.

Petit bonus, les consignes pour la rougeole, tirés de Suzette

« Heureusement la rougeole n’est pas une maladie grave. Des tisanes chaudes de fleurs de mauve, de tilleul, ou de feuilles d’eucalyptus, et surtout la précaution de se tenir au lit chaudement, voilà les principaux remèdes. Elle ne devient dangereuse que si les petits malades commettent l’imprudence de se découvrir et, par suite, prennent froid »

Éducation des enfants

On est rapidement mis-es dans l’ambiance avec les personnages de Claude et Françoise, les enfants de Jacques et Cécile. Ces deux-là sont proprement insupportables. Un enfant bien, c’est un enfant bien dressé. Le mot est employé dès la page 7 :

« Heureux bébé ! Déjà dressé par l’usage d’une alimentation saine, soignée, proprement servie, à exercer son sens du goût et à manger délicatement ! La maman se garde bien de la bourrer de ces cuillèrées trop pleines qui débordent de la bouche et rendent l’enfant glouton et malpropre »
(Le Ménage de Madame Sylvain)

L’enfant, chez Marie Robert Halt, n’est qu’une extension de ses parents. L’enfant doit obéir, écouter, se tenir droit. Il n’est pas fait mention de châtiment corporel, mais on se doute bien de ce qu’il doit se passer quand l’enfant n’est pas suffisamment bien « dressé ».

« M. Dumay estimait que les grandes personnes, ayant des idées à échanger, ne peuvent céder la parole aux enfants qui, eux, ne savent que faire du bruit; qu’il importe de leur donner, de bonne heure, des habitudes de silence, de respect, de tenue et que les parents assez faibles pour souffrir leur tapage, leurs caprices, et même pour y applaudir, font d’eux des égoïstes, des vaniteux et des sots. »
(Le Ménage de Madame Sylvain p.62)

Il arrive même parfois qu’un enfant malade ou blessé soit livré à lui-même, pour lui apprendre. Lui apprendre quoi d’autre que ses proches ne sont pas fiables ? Je ne sais pas. Mais ça lui apprendra.

Claude et Françoise sont des exemples d’enfants mal élevés. Jamais corrigé-es par un père trop effacé au profit de sa femme, ces deux là font n’importe quoi. L’autorité est nécessaire, encouragée, même.

Et…c’est tout. Le volet éducatif, comme dans beaucoup d’autres ouvrages de l’époque, n’est pas plus développé que ça. On considère que les enfants doivent obéir, sinon !

 

Lorsque la jeune Suzette doit expliquer pourquoi elle va à l’école dans L’Enfance de Suzette :   

Petite Suzette écrivit : « Je vais à l'école pour apprendre les choses utiles que je ne sais pas ; j'y vais pour apprendre à bien conduire mon ménage quand je serai grande. » « Très bien, petite Suzette, dit l'institutrice ; ajoute qu'on va encore à l'école pour apprendre à agir, en toute chose, moralement, c'est-à-dire avec droiture et avec bonté. » Puis elle donna un bon point à Suzette.

Donc, tu es un enfant, tu obéis. Il n’y a pas d’alternative. Et tu acceptes qu’on te forme à être une personne que tu n’es profondément pas. Le tout est de bien faire semblant, je crois. Qui est aussi pur-e dans son coeur ? Pas moi !

Un contrôle continu dans un contexte tendu

Dans les années 1900, chaque erreur peut coûter une fortune et rien n’est régulé (perte du placement en Amérique, achats de contrefaçon). Il faut donc rester sur ses gardes en permanence, prendre les meilleurs conseils et tout se passera bien. 

Ici et là, on commence à avoir ces notions de régulation par des autorités compétentes (étatiques). On se rend bien compte que le début de la mondialisation apporte son lot de mauvais produits. La Chine est d’ailleurs évoquée, et critiquée, pour ses produits à bas prix. La prochaine fois que ton beau-père te parlera des Chinois, tu pourras lui dire qu’il est resté en 1908 et que c’est pas joli-joli.

En tout cas, il faut garder l’œil ouvert. Ce qui est à bas prix suscite le doute, ce qui est considéré comme luxueux est tout bonnement rejeté. Pas de fioritures, pas de bibelots qui prennent la poussière, tout est pratique et fonctionnel.

Le progrès est quelque chose de très fantasmé : il apportera une solution à tous les problèmes médicaux, techniques et sociétaux. Madame Sylvain est très enthousiaste à l’idée d’un lave-linge ou de l’eau courante, on peut la comprendre.

Le contrôle a aussi lieu sur les corps, qu’il convient de conserver propres, purs, sains. La vanité sera en revanche sanctionnée, et j’en profite pour placer ceci, qui mélange ignorance, racisme et « supériorité » blanche (CW : les jeunes filles sont comparées à des indigènes sans éducation)

[...]ta misère et ta sottise ! Mange donc, avant tout : quand tu auras l’indispensable, tu penseras, si tu le veux, à l’inutile. Non, non, répond la vanité, attifons-nous d’abors ! Et c’est la vanité qui a le dernier mot. Les explorateurs ont cité certaines peuplades, sauvages, qui, décimées par le froid et les privations, s’occupaient, non à s’abriter et à se vêtir, mais à se barioler le corps de tatouages de couleur, à s’orner de bracelets et à se coiffer de plumes d’oiseaux. Aussi mouraient-ils comme des mouches. Beaucoup de gens civilisés ne se montrent pas plus sensés que ces primitifs. Combien de femmes et de jeunes filles, dans les grandes villes, s’achètent plusieurs robes par an, plusieurs chapeaux, des ombrelles, des éventails, des bijoux, des dentelles, et, pour se procurer ces vaines et dispendieuses futilités, se privent du strict nécessaire ! Elles s’abstiennent de manger à leur faim; si bien qu’elles s’affaiblissent, s’étiolent, jusqu’au jour où fatalement, la plus légère maladie, les trouvant sans force de résistance, toutes prêtes pour [que ?] la mort, les emporte. (Image d'illustration des """sauvages""" en question avec une légende difficilement lisible)

Les enfants malades, « malformés », « nerveux », sont simplement cachés des autres. On en croise un ou deux, toujours décrit-es comme laid-es, difformes, etc. C’est leur faire charité que de jouer avec euxlles.

On a donc un mélange de déterminisme social transcendé par une éducation idéalisée, un peu d’eugénisme, sur un fond religieux-mais-laïc. J’en rigole, mais les lectures ont été pénibles en réalité.

La Morale de Madame Sylvain

Un livre républicain

 Depuis Jules Ferry, en 1881, l’instruction primaire est obligatoire pour les enfants de 6 à 13 ans. Cette mesure permet d’imposer une école laïque et de permettre une alternative à l’enseignement religieux. Beaucoup d’enfants continueront cependant à travailler. Mais pour de nombreuses jeunes filles, l’instruction est une libération. Elles peuvent désormais être diplômées, leur savoir est sanctionné par une reconnaissance officielle de la République et ça en jette un max.

 

Dans L’Enfance de Suzette, les situations de vie sont très souvent comparées à une idéalisation du Moyen-Âge comme période barbare. La féodalité est mise en contradiction avec la République.

« Cela même, nous ne pouvons pas le faire; nous sommes des serfs, nos personnes appartiennent au sire de Coucy comme tout le reste, comme les arbres de sa forêt et les pierres de son donjon… »
Jacques et la petite Suzette s’écrièrent à la fois :
«Ah ! Quel triste temps que celui-là ! »
M. Delorme reprit :
« C’est le temps de la féodalité. Notre pays, alors, au lieu de former une seule nation comme aujourd’hui, était partagé entre un grand nombre de maitres, les seigneurs, féodaux, qui, pour défendre leur portion de territoire, bâtissaient des forteresses, des donjons comme celui-ci, où ils amassaient des armes, exerçaient des soldats.

L’Enfance de Suzette

 

L’engagement républicain de Madame Sylvain est très net. Elle décrit les bienfaits de la République dès qu’elle le peut, notamment lors d’un voyage de quelques jours dans un autre département, où elle explique à toustes ce que représentent les limites départementales et comment fonctionne la douane avec un enthousiasme un peu forceur.

Une fois arrivée à destination, elle se rend à la mairie pour aider sa protégée, Lucie, à trouver un logement en ville. Tous les avantages et bénéfices du système sont longuement vantés.Le système fonctionne, et s’il fonctionne, c’est qu’il est parfait. Quiconque a déjà cherché un appartement saura que ça tient de la science-fiction..

 

Dans un autre de ses ouvrages, j’ai pu trouver cette note de bas de page : 

Lire à l'appendice : 1. Mendicité, interdite avec raison dans notre pays, n'aura plus sa raison d'être quand les oeuvres de mutualité seront plus développées.

On a là une Foi chevillée au corps pour la République.

Une Foi, oui, même si on n’évoque l’Église à aucun moment. Mais le portrait de Maman Sylvain relève presque de l’icône religieuse. Les arts ménagers sont réellement établis en tant qu’Arts, après tout, une mère de famille de bon sens ne peut QUE faire réussir et prospérer sa famille.

 

Maman Sylvain se veut charitable, bienveillante, avisée, sérieuse, attentive, toujours prête à rendre service mais sachant dire non, préservant ses enfants à tout prix, bienfaisante et encore mille autres qualités qui la rendent agaçante à en crever.

 

Une femme absolue

La figure de la mère est bien sûr omniprésente chez Marie Robert Halt. Sauf les mères des personnages principaux. Je pense que la maman de Bambi n’aurait eu aucune chance avec elle. Sur 8 romans, 6 présentent des personnages orphelins. Et c’est normal : sans maman, il faut tout apprendre.

Les femmes sont rangées dans plusieurs catégories :  

  • Les modestes et les extravagantes;
  • Les vertueuses et les égoïstes;
  • Les sérieuses et les alouettes;
  • Les bien mariées, les mal mariées;
  • Les provinciales et les Parisiennes.

 

Il ne suffit que d’un critère négatif pour que la Femme devienne imparfaite et donc à rééduquer. La caractérisation des « mauvais » personnages est excessive, presque gênante. 

 

La Femme connaît aussi plusieurs âges : 

  • demoiselles : âge vulnérable durant lequel on se choisit un mari;
  • femmes mariées : maîtresse de maison, elle doit faire des enfants;
  • vieilles femmes ou veuves : au service des autres, car sans enfant et sans mari.

Toutes ces petites catégories sont bien rangées et cloisonnées. Aucun des personnages n’a de réelle profondeur, même Suzette ne présente pas de caractère. Chacun est à sa place de personnage et accomplit le rôle que son autrice lui a assigné.

Et j’ai lu vraiment beaucoup de livres de Marie Robert Halt. Vraiment.

Aucun personnage n’a d’âme mais tout le monde a une fonction.

Cela reste un livre d’école, d’accord. J’ai 42 ans et pas 6, d’accord. J’ai une bonne culture littéraire et ce type d’écueil sur la caractérisation des personnages me rebute.

Et puis, je vis en 2024. J’ai eu accès, très jeune, à des dizaines de livres (souvent ceux de ma Mamie), j’ai pu cultiver mon esprit littéraire à mon aise car je ne travaillais pas, enfant, admettons.

D’ailleurs, au sujet du travail…Marie Robert Halt n’est pas fan du travail salarié pour les femmes. Cela les éloigne de leur foyer. En dernier recours, elle conseille les travaux d’aiguille à domicile.

VISITE AU JEUNE MÉNAGE. 203 [...]plus de 700 francs..., que dis-je ?... plus de 1200, en comptant la nourriture. À votre place, je n'hésiterais pas. — « François et moi nous n'hésitons pas non plus, répondit Lucie; nous choisissons la maison qui me propose les 60 centimes par jour; en effet, tout en travaillant, je pourrai rester dans mon ménage. — « Très bien ! approuva maman Suzette ; que devient un ménage sans la ménagère? — « C'est notre avis à tous les cieux. « Mais, même en ne nous préoccupant que des chiffres, reprit Lucie, avec ces 1200 francs nous y perdrions encore. François devrait aller manger au dehors. Et songez à ce que coûte cette manière de vivre ; à peu près le double de celle de la maison, sans compter que la nourriture est beaucoup moins saine. « Joignez à cela les dépenses de toilette que ne peut éviter l'employée de magasin ; puis, le prix des journées qu'il faut payer à la blanchisseuse, à la raccommodeuse, à la lemme de journée, si l'on ne veut pas laisser tout le ménage à l'abandon et vivre en plein dans le désordre et la malpropreté. « Vraiment, 60 centimes par jour gagnés chez moi, soit 200 francs par an, me donneront un profit beaucoup plus clair et plus certain que 1200 francs gagnés au dehors. « Et je ne parle pas des douces joies du foyer, de la vie de famille, qui fait la moralité des unions, et permet d'élever sainement les enfants. Au foyer seul est la véritable place de l'épouse, de la mère. « Je ne peux penser sans un serrement de cœur à ces pauvres femmes que Ie malheur, la misère, Ia faim de leurs enfants chassent vers les usines, les fabriques, les ateliers, tandis que la triste maison est abandonnée et que la famille achève de se perdre ! »

Une charité bien ordonnée

Sur ce point, j’en ai plus trouvé dans Le Droit Chemin (1902), un livre d’éducation morale. Le livre commence par une petite fille (orpheline) qui est peinée des personnes qui dorment dehors.

Heureusement, la République est là. Une fois que tout sera bien mis en place, la mendicité n’aura plus lieu d’être (cf. plus haut), nous dit Marie Robert Halt. J’ai envie de dire qu’on l’a trahie un tout petit peu. 

« Cette précaution que prennent les parents sans fortune, ceux au moins qui peuvent se permettre cette dépense, ne coûte presque rien quand il s'agit d'assurer un nouveau-né, les compagnies d'assurances comptant avec les risques de mortalité de la première enfance, qui sont malheureusement très grands. « Les sous de poche si souvent gaspillés par les enfants, qui courent les échanger chez l'épicier contre de fort mauvais bonbons, ces sous de poche, nous les avons versés à une compagnie d'assurances, et ils nous ont aidés à payer l'intérêt annuel de ces millo francs, si précieux à l'heure où l'on va fonder une nouvelle famille.» Sylvain et Suzette regrettèrent de n'avoir pas pris encore, eux aussi, pour leurs filles, cette précaution élémentaire; mais l'oubli pouvait être réparé.

Je suis aussi surprise d’avoir trouvé dans le livre Battu par des demoiselles tout un volet religieux de Marie Robert Halt. L’histoire se situe au Royaume Uni et parle des églises protestantes. Il est fait état de désolation de la morale dans un extrait intéressant : 

[…]John Wesley, qui enflamma les pauvres.
Et en Angleterre, il faut être à ce point respectable que, grâce à son mépris, l’Eglise établie voit revenir à elle, chaque année, bon nombre de parvenus de cette secte Wesleyenne ; ceux-ci, une fois millionnaires, se défaisant vite de leur foi enthousiaste, de leurs « braillardises », de leur égarement et de leur bonhomie pour prendre rang dans le monde de l’archi-respectabilité.
Mme Higgins, au milieu de sa troupe de fidèles, tous artisans, petits marchands ou petits rentiers, eut un geste d’orgueil à la vue de la splendeur de sa table.

Tu te demandais d’où venaient les télévangélistes ? Tu te demandais si c’était un phénomène récent ?

Concernant la charité, cet extrait du Droit Chemin est très parlant : 

2. L'asile George Sand. Pendant que le cœur de M"° Primevère vibrait, ainsi qu'on l'a vu, d'une fraternelle pitié pour les déshérités du monde, sur un autre point de la capitale, l'asile municipal George Sand ouvrait ses portes à sa clientèle de femmes sans abri. Elles se pressaient d'entrer. Il y en avait de vieilles et de jeunes; de propres et de sordidement vêtues ; de tristes et déjetées; d'autres, au contraire, presque enjouées, portant sur le visage ce masque d'indifférence qui décèle comme une sorte d'assoupissement moral et l'extinction des sentiments d'honneur (1) et de dignité (2). Hélas ! Le plus grand nombre d'entre elles semblaient être des habituées de ce lieu. Le pain de l'aumône, on le sentait, avait perdu pour elles son amertume; elles le préféraient même au pain fièrement gagné par le travail et qui coûte au pauvre tant de peine. La directrice de l'asile, une femme d'âge mûr, d'as-pect plutôt austère, vêtue d'une robe brune et coiffée de bandeaux où brillent déjà quelques fils d'argent, inter[...] LIRE À L'APPENDICE : 1. Honneur. — 2. Dignité. Ces deux sentiments doivent être délicats et très élevés chez la jeune fille et chez la femme.

La Charité est encadrée par la République mais gérée par des sœurs dans ce livre. La bonne personne à aider garde la tête haute face à l’adversité, n’hésite pas à demander de l’aide mais dispose de suffisamment d’honneur pour ne pas en abuser.

Si on te donne de quoi rebondir, il faut rebondir. Sinon, tu passes du côté des indésirables. 

On a vraiment tout ce côté religieux qui reste très pesant sur les personnages. Les qualités relevées par Marie Robert Halt sont toujours des qualités liées à la religion : pureté, vertu, abnégation…

En gros, les vertus morales sont des vertus religieuses, mais tout le reste relève de la rationalisation moderne.

Quelles sont les vraies leçons de Madame Sylvain ?

L’éducation ménagère est une chose, l’éducation morale et l’instruction civiques en sont une autre. Là dessus, on peut donc dire que les personnages positifs sont des parangons de vertu.

Surtout, la volonté permet d’adopter les bons comportements ou de supprimer les défauts…dans l’enfance. La mauvaise éducation est la racine de tous les maux. Et qui éduque ? Maman et la République.

Dans plusieurs extraits (ici Le Droit Chemin), on trouve des questions en fin de texte. Le Livre de la Maîtresse contient des indications et des pistes de discussion en classe.

Par exemple : 2e causerie : Qu’est-ce que l’honneur ? Qu’est-ce que la dignité ? Ces deux sentiments unis conviennent-ils au caractère de la femme ? Ne sont-ils pas pour toute femme de bien un devoir ? Pourriez-vous citer à ce sujet un mot du roi Louis XII sur la reine Anne de Bretagne, sa femme ? Qu’est-ce que la bienveillance ? Ne devons-nous pas nous efforcer de la pratiquer envers nos semblables ? Qu’est-ce que la curiosité ? Quand la curiosité devient-elle un défaut ? Ce défaut ne passe-t-il pas pour être très répandu parmi les femmes ? Pourquoi devons-nous soigneusement l’éviter ?

3e causerie : Qu’est-ce que le courage ? Quel nom donnez-vous à cette vertu, quand elle s’élève plus haut que notre devoir ? Citez un jeune héros de notre histoire qui donna un magnifique exemple de courage patriotique. Que faut-il faire pour entretenir en notre cœur cette force indispensable ? Quel est le penchant de notre nature opposé au courage ? Qu’est-ce que la confiance ? Est-il permis d’avoir confiance en soi-même ? Dans quel travers l’exagération de ce sentiment peut nous faire tomber ? Ne devons-nous pas nous examiner sévèrement avant de nous accorder à nous-même notre propre confiance ? Qu’entendez-vous par le devoir ? Le sentiment de notre devoir n’est-il pas la base de notre progrès moral ? Qu’est-ce que la reconnaissance ?

En gros, ce qui devait se passer c’est qu’une des élèves lisait le texte à voix haute, puis l’institutrice posait ces questions. L’exercice est intéressant, mais à une question ne correspond qu’une seule réponse. Il n’y a pas d’ouverture à la réflexion ou d’écoute des questions des élèves. Comme on l’a vu, les enfants sont là pour être dressés, pas écoutés. Il n’y a qu’une seule bonne manière de se comporter et les losers sont rapidement mis de côté.

Cette éducation est destinée à protéger l’enfant des dérives du monde moderne en le formant aux subtilités de la morale, qui doit guider chaque choix de vie. L’éducation ménagère, elle, permettra à toute la famille d’éviter certaines maladies et favorisera la survie des enfants.

« Et je voudrais, mon fils, voir mes enfants de Bois-Maillard ressembler à ceux de Fragicourt ! »
Jacques avait écouté, la têle basse. Il répondit douloureusement.
—« Hélas mon père, je ne m’abuse pas sur le compte de mes enfants et je suis encore plus navré à leur sujet que vous pouvez l’être… Pour nous élever, vous eûtes ma mère, et pour élever les siens, Sylvain a Suzette. Moi, j’ai Cécile… Père, reprit-il, les yeux mouillés, il m’en coûte de parler, d’accuser ma femme que j’affectionne, mais Cécile est aussi une enfant gâtée et volontaire. Vous l’avez vue, tout à l’eure, avec sa grande cuisinière de Paris qui, en cuisine, ne sait rien de rien. Cécile, quoique capable de m’écouter sur bien des points, ne veut rien entendre lorsqu’il s’agit de l’éducation de nos enfants. Hier encore elle me disait : « J’ai bien été gâtée, moi I Est-ce que j’en vaux moins pour cela? Et si Françoise et Claude, une fois grands, me « ressemblent, seront-ils tant à plaindre? » Elle est aveuglée par le sentiment maternel, profond et touchant sentiment, mais qui n’est supérieur que si la raison l’accompagne. »

En gros : c’est maman. C’est maman qui dirige la maison et assure la survie de la famille, c’est maman qui éduque, qui soigne et qui, ultimement, porte absolument toute la charge domestique. Maman doit donc être parfaite, car le comportement de ses enfants lui sera reproché.

Dans ce monde, on naît sans en avoir le choix, mais nos parents nous façonnent. Aucune condition ne justifie de ne pas se comporter de manière irréprochable.

Pile, tu gagnes

Face, je perds.

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