Heure de réveil : 5h11
CW : gouffre existentiel

Chuis totalement ailleurs, full mode maniaque donc 75% de mon cerveau pense à ce que je vais pouvoir bien faire comme gros rangement au lieu de me reposer pendant que mari et enfant sont à la mer chez les beaux-parents à Ker Goulag.

Donc au lieu de me dire ouais pendant quelques jours je vais être tranquille, je me dis ouais encore une occase de me tuer le dos gratuitement !

Oui je me connais bien. Sans sucre, le café, merci.

☕☕☕

Ce matin, on va parler d’un truc sérieux et passionnant.

« Sonder Effect »
Je n’ai pas trouvé la trad FR, je suis preneuse si tu as.

L’Effet « Sonder » est peut-être lié à l’Effet de Sonde :

« L’effet de sonde est une altération involontaire du comportement d’un système, causée par une mesure effectuée sur ce dernier. Dans le domaine informatique, et plus précisément en débogage et profilage de code, les temps d’attente insérés par le débogueur peuvent mener à des résultats inattendus et rendre les applications défaillantes. Les tests non-fonctionnels tels que les tests de performance, de charge, de stress etc. peuvent également provoquer des effets de sonde dans le cas où l’application qui effectue ce test consomme elle-même beaucoup de ressources. »

(Wikipedia)

👉 Lorsque tu sondes quelque chose, tu influes sur ce que tu sondes. C’est poétique, je trouve. Lorsque je regarde un objet, il n’est plus le même car je le regarde et que je me fais une image mentale de cet objet. Alors, l’objet vit « dans ma tête » sous cette représentation arbitraire que j’en ai. Mais mon regard a eu un effet sur la représentation que j’ai de l’objet. Si je me trompe dans sa couleur ou si je ne vois pas l’autre face de l’objet, c’est que j’ai modifié cette représentation mentale en remplaçant les blancs par autre chose.

Mon café n’existe pas en dehors de moi. Si je n’étais pas là, si j’avais une autre cafetière (ce qui va arriver car elle est en fin de vie après 7 ans de bons et loyaux services), un autre mug, je n’aurais pas CE café devant moi. Je vais boire mon café tranquille et personne ne le verra, sauf si l’Enfant décide de se lever maintenant. Je peux boire ce café, nettoyer le mug, la cafetière et rajouter du café en grains, personne ne saura jamais que j’ai bu CE(s) (edit : 4) café(s)-là.

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Quelle importance ?

L’importance est celle que tu donnes à l’altérité. L’effet Sonder est l’intuition de la connaissance de l’autre avec un effet d’insignifiance assez puissant. Gros gouffre existentiel.

Lorsque tu te transportes dans la rue, tu croises des gens. Plus ou moins de gens, des gens différents, en fonction de là où tu vis, de la période de l’année et de l’âge du Capitaine. Chacune de ces personnes a une vie propre, a vécu un certain nombre d’années, respire, mange, pourrit ses toilettes plus ou moins fréquemment. Chaque personne est née, a été portée, a grandi et vit sa vie dans son propre monde.

🤔 Est-ce que tu t’es déjà demandé qui iels sont, comment iels vivent ? Moi, souvent.

Je ressens cet effet depuis que je suis très très jeune (6/7 ans) et j’ai été assez soulagée de savoir que ce que je percevait n’était pas un jeu de mon esprit. Ou pas. On est peut-être déjà toustes mort-es sans le savoir. La solitude que je ressentais m’amenait à ce type de question, mais cela ne m’a jamais fait peur.

Se demander ce que vit l’autre. Quelle est son histoire ? Où habite cette personne ? Est-elle une personne sympa ? Est-ce qu’iel regarde la télé, ou a des cadres photos de ses enfants sur les murs de l’entrée ? Est-ce qu’iel a une histoire familiale difficile ? A quoi ressemblent ses journées ?

Je ressens ça en allant chez les autres, aussi.
Je me rends compte que personne ne range ses affaires de la même manière que moi, que l’idée du bon goût est ultra variable, qu’il existe plein de recoins qui me permettent de connaître mieux la personne chez qui je suis.

Ce que je prends pour une certaine forme de normalité n’est qu’une valeur totalement abstraite et subjective. Non, on est pas obligé de mettre tous ses couverts dans un range-couvert, oui des gens ont encore des Senseo chez euxlles (😱) et des personnes adorent la rhubarbe alors que c’est fondamentalement abominable en plus d’être dangereux, en ce qui concerne les feuilles.

Amateurices de jardinage bonjour.
(Oui c’est un sous entendu hors charte)

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Puis finalement…nous sommes à peu près le même tas d’atomes.

Ma vie a autant de valeur que la tienne, et je ne saurai jamais ce qu’il se passe dans ta tête. La tête de cette personne qui marche, vit, respire tout comme moi. Cette personne est née, comme moi et va mourir, comme moi.

Qu’est-ce qui me rend particulière ? Pourquoi est-ce que je me sens si différente du reste du monde ? Parce que c’est moi qui ai la caméra à l’épaule pour filmer le road movie qui dure depuis ma naissance ?

Ce qui me distingue des autres, c’est seulement la conscience de moi-même. Je pourrais avoir un super talent que ce serait pareil : je reste le même tas d’atomes à une louche près. Je suis l’héroïne de ma vie.

Et jamais je ne saurai ce que c’est que de voir la vie à travers d’autres yeux [insérer ici blague sur les greffes de cornée], je ne peux que tenter d’imaginer comment est la vie des autres.

🕹 C’est une impuissance fondamentale : voir au travers d’autres yeux. On peut avoir des images de ces vies sous forme de livres, films, musique, représentations graphiques, mais là encore…on regarde avec la subjectivité de l’auteur-ice, et, autobiographies comprises, on ne SAURA jamais réellement ce que ça fait que de vivre 75 ans dans la peau d’un-e auteur-ice qu’on aime.

Tout comme personne ne pourra jamais savoir ce qu’on ressent précisément.


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Ces réflexions ont été motivées par ma solitude et l’incompréhension face au harcèlement scolaire. J’ai été peu harcelée mais je l’ai été assez violemment.

🤔 Pourquoi cette personne s’en prenait à moi ? Qu’est-ce qui faisait que je « provoquais » ces mouvements de recul et de détestation ? J’étais bizarre, oui, mais je ne me trouvais absolument pas bizarre.

Et, moi, je ne comprenais pas du tout quel était l’intérêt d’emmerder les autres. Je faisais mes trucs, sans emmerder le monde, et on s’en prenait à moi. Pourquoi ? Qu’est-ce qui les motivait ? Je ne comprenais pas qu’une simple atypicité suscite toute cette violence. Même avec les années, j’ai beaucoup de mal à comprendre le harcèlement.

Mais, moi, continuais-je dans mes réflexions, je me trouve normale. Mais les autres ne me trouvent pas normale. Qui a raison ? Eux-lles ? Moi ? Les deux ?
Puis pourquoi s’en prendre à moi ?

Je te jure, ça m’a occupée assez longtemps avant de comprendre. Un jour, j’ai compris que notre cerveau fabriquait tout ça. Que mes sens me permettaient de ressentir, oui, mais que le parfum du glaïeul ne sera jamais le même que celui que je sentais dans le jardin de mes grands parents. Ce glaïeul, et le lilas devant, m’ont permis de comprendre ça. Certaines personnes détestent l’odeur du lilas alors que cette odeur spécifique me renvoie à mes jeunes années, avant que l’arbre meure, avant que le glaïeul meure, avant que mes grands parents meurent aussi. C’est une odeur qui me fait pleurer, de joie de ce souvenir-là, quand j’allais couper des fleurs de lilas et qu’elles sentaient, fort, dans le salon de chez ma Mamie. J’y pense et j’ai les larmes qui viennent, je peux penser aux personnes sans pleurer, mais lilas et glaïeul sont l’objet du détournement de mon deuil. C’est une autre histoire.

Jamais, pour personne au monde dans tout l’univers l’infini l’au delà et tout ça, jamais personne ne pourra comprendre précisément ce que je ressens lorsque je passe près d’un glaïeul ou d’un lilas. Il m’arrive, souvent, de m’arrêter dans la rue, sous l’arbre, de fermer les yeux et de laisser les parfums me rappeler ces souvenirs. Mes souvenirs.

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C’est quand une copine d’école m’a dit « je déteste le lilas » que j’ai commencé à comprendre. Elle n’avait peut-être pas de grands parents avec un lilas dans le jardin ? Comment ne pas aimer cette odeur ? Je lui ai demandé. Elle m’a dit qu’elle n’en savait rien, mais j’ai capté quelque chose, un bout d’information.

Mon amie était née, elle avait été élevée, avait grandi, dans un système totalement différent du mien. Peut-être que chez elle, le lilas invoquait des souvenirs douloureux ?

Moi, c’est la coriandre. J’ai le gène à la con qui fait que certaines saveurs/odeurs sont altérées. Pour moi, une feuille de coriandre (idem avec la violette) peut gâcher tout un plat. Le goût de la coriandre me donne envie de me nettoyer la langue. J’en ai parlé à ma maman, qui n’a pas vraiment pris ça au sérieux parce que tout le monde aime la coriandre. Mon mari aussi ne comprend pas du tout ce dégoût et j’ai été hyper soulagée qu’on trouve que oui, c’est bien « un truc » existant.

(Remettre en doute les goûts des autres fait partie des choses que je ne fais plus, à cause ou grâce à cet exemple)

Le goût de la coriandre est donc VARIABLE.
C’est le même goût, ce sont les mêmes molécules aromatiques, mais le goût est différent pour chaque personne. Pourquoi ma version de la vie serait la bonne ?

🍃🍃🍃

Partant de là, le monde a totalement changé de forme. Je devais avoir dans les 10 ans et je m’efforçais de ne pas trop regarder les autres. J’étais curieuse donc je regardais quand même.

Je me demandais « Tu as mangé quoi, ce matin, au petit déjeuner, toi ? » ou « Cette coiffure est tellement réussie, jamais je ne saurai faire ça » (prophétie auto-réalisatrice), puis les questions intérieures se sont normalisées.

Lorsqu’on me laissait entrevoir une vie différente, je m’en gavais. J’ai encore en mémoire la plupart des maisons de mes amies de primaire, comment les choses sont agencées, quelles couleurs sont utilisées, y a-t-il de la déco ?

Et surtout : chaque personne a une vie qui lui est propre. Pas plus, pas moins.

Si on sort des théories de la simulation, chaque vie a la même valeur que la mienne, connards compris. Chaque personne que je croise ou avec qui j’échange me regarde avec ce regard intérieur, en se posant peut-être les mêmes questions.

☠️ Une infinité de vies sur une planète de plusieurs milliards d’années avec pour seule garantie celle de notre mortalité. Notre seule certitude est celle que nous allons mourir, tôt ou tard.

Alors finalement, j’ai réalisé que mon existence n’avait que le poids que je lui donnais. Que je n’étais rien, à l’échelle du monde, que je n’étais moins que rien à l’échelle de l’univers.

Chacun-e est lae protagoniste de sa propre vie. C’est moi, l’héroïne de ma propre histoire. Mais, cette histoire, si je ne la raconte pas, elle disparaîtra avec moi.

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C’est en lien avec une trend plus ou moins récente, celle des « PNJ » (NPC effect in english, issu de 4chan1)(C’est ABSOLUMENT dans la vibe politique de libertariens de merde de 4 chan donc je le cite à titre informatif, je ne l’utilise pas)
Les PNJ sont surtout présents dans des jeux de rôle. Le PNJ c’est le Personnage Non Joueur. L’aubergiste qui te demande en boucle si tu veux une chambre à 10 pièces d’or la nuit, le personnage assis de manière louche sur un banc et qui te file une quête annexe à réaliser, le pêcheur immobile depuis 78 ans sur le bord de sa rivière, qui te salue à chaque fois avec exactement la même phrase.

Les PNJ sont « non existants » et n’ont que la substance qu’on cherche à leur donner. Ils n’ont pas de vie, pas d’histoire, ils sont utiles à TA propre histoire et n’existent que pour toi ou ton groupe de jeunes aventurièr-es parti-es poutrer du dragon.

« Are you an NPC ? »
« Est-ce que tu participes à ta vie ? »

Cette idée, pas nouvelle parce que 4chan est pas non plus un haut lieu de culture, me rappelle celle de l’indifférence glaciale que certains tueurs ont pour leur victime. Je pense à ça en premier, oui, on fait c’qu’on peut. Ce que je sais sur le sujet c’est que les victimes sont réifiées/objectifiées la plupart du temps. Comme des poupées géantes qui seraient les PNJ du tueur. Il est plus facile de tuer en deshumanisant.

🦆 J’ai grandi en cherchant l’empathie et le lien à l’autre, d’autres ont grandi à l’opposée : deshumanisant toute autre forme de vie pour ne pas souffrir de leur indifférence. Une indifférence à leur indifférence, en quelque sorte, un outil pour se couper des autres, souvent un dispositif de protection complètement compréhensible.

S’imaginer que chaque autre personne a une vie tout entière en dehors de notre regard est vertigineux. Et si les autres nous font du mal, c’est plus simple d’en faire des monstres que de bêtes humain-es…comme toi et moi. Déshumaniser autrui n’est pas forcément un truc de serial killer, hein. Des personnes autistes ont pu m’expliquer que oui, c’était plus facile comme ça.

Et puis de toutes façons personne ne peut encore contrôler ce que tu penses. Donc tu peux envisager l’autre comme un alter ego ou un objet, c’est pas trop mon problème tant que la deshumanisation ne cause pas de dommages. Pis chuis pas flic non plus donc en fait tu fais bien ce que tu veux 🤷‍♀️

Ce que je veux dire c’est que c’est complètement ok, à mon sens, de ressentir le NPC effect. J’ai du mal à conceptualiser, mais je peux totalement le comprendre.

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Enfin non, je ne peux pas totalement comprendre, car mes clés de compréhension n’appartiennent qu’à moi.

Au delà de l’aspect philosophique ou du jeu de la pensée, il y a cette solitude qui me tue. Jamais personne ne pourra exactement ressentir ce que je ressens, ce qui me laisse seule face à mes sentiments et, surtout, face à l’idée de ma propre mort.

Cette angoisse que je peux ressentir est unique. Personne ne sait à quoi je pense lorsque je pense à l’échéance fatale. Est-ce que je suis triste ou impatiente ? Est-ce que j’ai vraiment peur ?

🌼 C’est un des ressorts existentiels du Sounder Effect. Finalement, peu importe qu’on objectifie l’autre ou qu’on cherche à entrer dans sa peau : tout est vain, personne ne nous comprend et on va crever.

Mon existence est ridicule, insignifiante, dispensable. Si je n’étais pas née, le monde aurait vécu sans moi, sans savoir mon absence. Personne n’aurait rien su, et moi non plus car je n’aurais pas d’existence.

Je trouve ces questions absolument fabuleuses. Loin de provoquer une angoisse chez moi, la réflexion me pousse à faire de mon mieux pour avoir une signification, une petite incidence sur le monde.
Je dis ça car je suis en phase haute, le moi déprimé a un tout autre point de vue. Si je suis dispensable, alors…

Mais, surtout, la solitude. L’idée insupportable qu’on est (plus ou moins) seul-es dans nos corps. La pensée qu’on pourrait ne jamais avoir existé, qu’on aurait peut-être même préféré ne jamais exister. Si je ne compte pas, à quoi bon ?

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Phase haute ou basse, hypomanie ou profonde dépression, ça ne change pas ma vision du monde. L’issue que j’y trouve est différente, mais cette sensation d’être entourée de personnes avec des vies dedans elles ne me quitte jamais.

C’est ce qui fait que je refuse le terme de « monstre » pour les criminel-les, et que je suis fondamentalement contre la peine de mort.

On est ni monstres ni déesses ou dieux surpuissant-es. On est juste nous. Pitoyables, mortel-les, limité-es, avec notre histoire, nos traumatismes, notre éducation, nos habitudes. Puis on va mourir, aussi, ça c’est important. Comment gère-t-on cette échéance ? Est-ce qu’on doit obligatoirement avoir une Rolex ou découvrir le sens de la vie avant ses 50 ans ?

Et l’angoisse ? Quels moyens pour supporter cette angoisse ? Se sentir microscopique et insignifiant-e est assez anxiogène, non ?

Est-ce qu’on essaye juste à s’occuper en attendant la mort ?

Et d’abord, est-ce que tout ceci est bien réel ?

  1. https://en.wikipedia.org/wiki/NPC_(meme) []