Heure de réveil : 5h28 (ankylose)

J’ai passé la journée d’hier à râler entre le lit et le salon, à traîner la patte comme une malapprise. Ma famille ne le sait pas encore mais c’est parti pour la même journée 🥳

C’est dans des moments comme ça que je mesure ma chance. Parce que sans les anti-TNF, je faisais une dizaine de crises comme ça par an, sur plusieurs jours. J’estime donc avoir de la chance.

Et ce matin on va parler de handicap et d’eugénisme, parce que j’ai lu trop de choses inimaginables récemment. Je veux en parler depuis un moment et c’est sans doute le bon : je suis en plein dans la Maladie et j’en chie ma race.

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Si j’ai été longtemps childfree, c’était pour ne pas transmettre mes sales gènes à un enfant qui n’a rien demandé. C’est une raison valable mais problématique, car ça revient à dire que mon fils n’aurait pas dû naitre, car, effectivement, j’ai deux trois tares congénitales.

Le mot te choque ?
Moi aussi il me choque. Lire certaines personnes exprimer leur avis, en pure bienveillance bien sûr, sur les « personnes qui ne devraient pas faire d’enfant » me blesse et en blesse sans doute d’autres.

C’est comme le « permis pour faire des enfants » pour interdire aux « cassos » de se reproduire. Des parents pauvres maltraitent leurs enfants, sauf que des parents riches aussi. La précarité est un enjeu mais ce n’est pas L’Enjeu.
Oui, je suis plus que fâchée en lisant encore une affaire d’enfant tué par ses parents. Mais je suis surtout fâchée car bien souvent, les services sociaux sont au courant sans réel moyen d’action. Les procédures sont longues et on préfère souvent laisser les enfants avec leurs parents pour ne pas « briser le lien ».

🍃 En mai 2013, le petit Gabriel Hernandez était massacré par sa mère et son beau-père, après des années de violences physiques. Et pour la première fois, les travailleurs sociaux ont été inculpés car la situation avait été rapportée plusieurs fois au préalable, notamment par l’institutrice du petit Gabriel.
Iels n’ont pas été condamnés et je trouve que cette décision est juste, car ce ne sont pas ces personnes qui gèrent (mal) le budget de leur employeur. Je ne dis pas qu’elles sont innocentes, parce qu’il ne faut pas déconner, plusieurs savaient mais n’ont pas déclenché de procédure spécifique et ça doit faire un paquet de nuits blanches.
Ce que je dis c’est qu’on a un problème qui dépasse largement le cadre de 3 ou 4 travailleurses sociaux et de deux parents qui « n’aurait pas dû faire d’enfant ».

Peut-être que si elle avait été mieux suivie, la mère de cet enfant aurait pu arrêter sa fuite en avant dans la violence.

Peut-être que si les personnes du monde en savaient plus sur la contraception, peut-être que si elle était légale, tout comme l’IVG, on pourrait avoir un vrai choix éclairé sans considérer chaque nouvelle grossesse comme un fardeau supplémentaire. Et on aurait la liberté de faire des enfants, ou pas.


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Pour moi, y’a pas de « permis » à avoir : beaucoup de grossesses ne sont pas désirées ou mal vécues, subies ou niées. C’est en amont qu’il faut travailler. Chercher à comprendre les mécanismes de la violence infanticide et chercher à les enrayer plutôt que de dire « Han les déchets, faudrait un permis pour faire des gosses vu certains, ho ho ho »

Dire ça c’est dire en filigrane (ou pas) que les pauvres ne devraient pas faire d’enfants. Alors que la violence bourgeoise catho, ces gens qu’on encourage au contraire à faire le plus d’enfants possibles, ça n’existe pas. Au delà d’un certain seuil de revenus, tu as le permis à enfants direct avec ton crédit d’impôts.

Xavier Dupont de Ligonnès n’était pas particulièrement précaire et il a massacré toute sa famille. Gilles de Rais et Elisabeth Bathory étaient des nobles qui à eux deux ont décimé entre 300 et 1200 personnes. La richesse et la noblesse n’empêchent pas la bassesse.

🤷‍♀️ Mais personne n’a dit de Xavier Dupont Truc qu’il n’aurait jamais dû faire d’enfants. Et pourtant, il a tué.

Déjà, c’est un homme, et on ne dit pas ça aux hommes. ALORS QUE BON certains papas auraient malheureusement dû suivre deux trois cours avant de se lancer dans l’aventure en restant sur le bas côté à encourager Mamoune.

Je n’ai jamais (ça a pu arriver, je dis pas) lu/vu/entendu un seul mec dire qu’il ne voulait pas d’enfants pour ne pas transmettre ses saloperies. Ils existent sans doute. Mais y’a autre chose, que j’ai remarqué : les groupes de childfree comme les groupes de parent-es sont en très très très vaste majorité composés de personnes en capacité de porter un enfant. Ça n’intéresse pas les mecs cis.

Est-ce un autre pan de ce dossier à rallonge ? Absolument, mais tu connais la chanson, on va pas la refaire à chaque fois.
Le monde est oppressif.


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Dire que mon fils n’aurait peut-être pas dû naître c’est dire que je n’aurais pas dû naître, finalement. C’est dire que ce monde oppressif n’acceptera pas ce handicap, alors à quoi bon ? Pourquoi lutter ?

Alors on ne refile pas ses gènes et on ne perpétue pas l’espèce. Et ça je peux mille fois le comprendre étant donné que je pensais de la même manière avant.

Sauf que j’ai réfléchi mon, mes handicaps.
Je me suis dit que si mon fils montrait des troubles rhumato, je le croirais sur parole et je serais très vigilante là dessus. Je me suis dit que je serais attentive, et je le suis. Prise à temps, avec un vrai traitement, c’est une pathologique avec laquelle on peut vivre. Et prise beaucoup trop tard et mal soignée pendant des années, ça donne moi. Suis-je un déchet ? Certes non, je ne te permets pas.

👉 C’est en retournant la question que j’ai eu ma réponse : suis-je indésirable ? Faut-il abréger mes souffrances immédiatement ? Fallait-il m’euthanasier dès les premiers symptômes ?

J’ai rien contre le suicide, tu sais bien, mais j’ai posé la question à mes proches. Suis-je un si gros fardeau ? Dois-je « faire quelque chose » ?

Manifestement, je suis toujours en vie. Malade, pétée de partout, en boule de souffrance par des moments comme ce moment, idéal pour écrire un texte qui parle des maladies génétiques graves.


🦥🦥🦥

Non parce qu’en plus, laisse tomber, mon père est sans doute atteint d’une pathologie psy multipliée par les milliards de traumas (épigénétique FTW), mon petit frère est autiste, ma demi-soeur est schizophrène, je suis bipolaire, et ça c’est que de mon côté de l’arbre. Je n’ai pas tous les tableaux mais ma belle-mère serait atteinte au moins de polyarthrite et elle est psychanalyste (j’espère vraiment que c’est pas transmissible, ce truc).

Et si tu regardes bien, tu as au moins un ascendant qui a un souci de santé héréditaire. De la tension. Du diabète. Des troubles du rythme cardiaque. Des pathologies mentales. Tu es peut-être aussi porteurse d’une pathologie transmissible sans le savoir.

Alors j’ai plusieurs questions :
– La maladie n’est pas souhaitable, les gens malades sont-ils à éliminer ?
– Quel type de maladie ? Est-ce que si on a un souffle au cœur ou les pieds plats on se voit retirer son permis à bébés ?
– Est-ce que la situation financière est prise en compte ?
– Doit-on demander un pedigree ou les avis d’imposition ?
– Qui délivre les permis ?
– Comment fait-on pour empêcher les gens d’avoir des enfants ? On les stérilise de force ?

Tu la sens, l’haleine fétide du fascisme qui s’approche lentement de ton visage pétrifié par la peur ?

Moi, oui 💀


🐢🐢🐢

Dans un autre lieu, dans un autre moment, j’aurais pu être déportée et « internée ». Pour beaucoup, visiblement, mon existence est problématique.

Ça peut passer par des professionnels de la santé qui disent « et avec tout ça, vous avez décidé de poursuivre la grossesse ? Wow. », ou des professionnels de santé qui refusent de délivrer à une femme enceinte des médicaments pourtant validés par le CRAT (Centre de Référence sur les Agents Tératogènes) alors qu’elle est en train de crever de douleurs. J’avais qu’à réfléchir avant.

Après tout, je l’ai choisi, non ?

Je ne le regrette pas un seul instant ❤️

Il est arrivé un moment où j’ai compris qu’en vrai, j’ai réussi à vivre jusqu’ici. J’aime bien ma vie, mes proches, j’ai fait des choix qui me correspondent et finalement, même si les maladies ont joué un rôle, ce n’était pas un rôle unijambiste.

« Tu aurais pu faire tellement de choses » et c’est vrai que j’avais de bonnes cartes en main au départ. Sauf que sans la maladie, il y a de fortes chances que je sois devenue une pure connasse imbue d’elle-même et dispensée d’une quelconque réflexion sur la vie car elle aurait gagné.

Oui, j’ai mal. Oh sa mère, j’écris depuis 2h et je suis déjà en train de me demander si je vais continuer longtemps comme ça.
Pire, je suis en situation de handicap physique ET je suis atteinte de troubles de l’humeur !

Pourtant, je suis toujours là et même si j’ai toujours des idées suicidaires, ma vie n’est vraiment pas si mal. Je sers à quelque chose. Je suis utile et j’apporte ma contribution au monde.


🦈🦈🦈

Le handicap est-il à éradiquer ?

Bon, je ne te le cache pas, ça va être hyper chaud d’éliminer toutes les formes de handicap via l’eugénisme. D’autres formes de handicaps apparaîtront, immanquablement.

👉 Le handicap est indésirable, mais pour qui ? Pour les malades ou pour les valides ?

🤔 C’est si pénible que ça, de vivre aux côtés d’une personne défectueuse ?

Qu’est-ce que ça implique, alors ? Que les personnes en situation de handicap posent un problème au delà de leur position ? Que la présence de ces personnes remet en question les modèles sociaux ? Non parce que, sans déconner, j’ai l’impression que ça fait surtout chier les valides, de devoir s’adapter à nos différences et divergences.

Et à mon avis, c’est ptet ça, le cœur du problème.

L’acceptation de la différence.

Au delà de la douleur potentiellement ressentie, douleur qui NOUS appartient, la pire chose à vivre au quotidien c’est les gens « normaux » qui pensent qu’iels sont la normalité. Parfois, iels se pètent une jambe ou ont un pépin de santé et on les entends nous dire « Ah oui en fait c’est pénible ».

No shit, Sherlock…


🌱🌱🌱

Si on me demandait maintenant de garder cette vie ou d’en choisir une sans mes saletés, je garderais la mienne. C’est ma vie, je l’ai construite comme ça, elle est imparfaite et vraiment pas évidente, mais c’est ma vie (J’espère que tu as Bon Jovi en tête maintenant).

Eliminer le handicap c’est en réalité éliminer les personnes en situation de handicap. C’est un peu problématique.

Alors, tu vois, je ne le porte pas en étendard, mais je n’ai pas honte d’être bipolaire ou spondylarthropathe. On vit avec. C’est pas amusant à un seul moment (sauf en hypomanie 🤭) et on vit avec.

Pire, on se construit avec la maladie (et je conchie les personnes qui disent « tu n’es pas ta maladie » ou « tu es ta maladie » parce que c’est vraiment tout ignorer de la notion de construction de la personnalité et ce genre de trucs que de dire ça), elle nous apprend beaucoup de choses, nous fait réfléchir autrement nos problématiques quotidiennes et nos objectifs de vie. Sans ça, je ne serait pas du tout la même personne.

🧱 Je ne suis pas heureuse d’avoir aussi mal.
Mais je sais que la maladie m’a apporté des choses, parce que rien n’est strictement négatif. Je sais repérer les personnes qui ont besoin de s’asseoir dans le bus. Je suis bienveillante avec les personnes en situation de handicap visible, sans être Dame Patronnesse non plus.
Je sais ne pas poser les mêmes questions que les personnes valides : « Alors, ça fait mal ? Ohlala je pourrais pas ». Je sais aussi que mon corps est fatigué, j’ai su remplacer mes activités sociales qui nécessitaient un déplacement par d’autres choses. Je me suis fait des compagnes de douleurs, aussi, ces potes avec lesquelles on se comprend. On a rien à dire, on a pas à décrire la douleur, on SAIT.

Je sais aussi quand mon âme atteint ses limites, je sais détecter les signes de déréalisation et les signes d’une crise à venir, je connais la plupart de mes mécanismes toxiques et je sais travailler dessus. Si une personne fait une crise à mes côtés, je pense être en mesure de lui venir en aide. Je sais me taire quand il ne faut pas poser de question, aussi. Parfois.


🦚🦚🦚

Bien sûr, que c’est indésirable. La douleur est indésirable. Sauf que tant qu’on aura un système nerveux, on aura mal, toujours, forcément. Tant qu’on aura un cerveau, on sera fol-les.

Les anomalies font partie du vivant.
Aucune espèce n’est totalement exempte d’anomalies génétiques (ptet les organismes unicellulaires, j’en sais rien, je suis toujours pas prof de Bio), certaines mutations ont fait qu’on en est là, d’ailleurs.

Le monde évolue, les maladies en font partie, qu’elles soient génétiques ou environnementales, attrapées ou toujours là.

On peut souhaiter ne pas être malade, on peut souhaiter que son enfant ne le soit pas, mais ça n’empêche pas des enfants en situation de handicap de naître de deux parents valides.

Bah ouais.
On ne peut pas toujours éviter le danger.

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Et si mon fils se révèle lui aussi différent ?

Il l’est déjà donc c’est déjà ça en moins à réfléchir. Cet enfant a une mère avec une bonne connaissance de ses pathologies. Je sais qu’à partir de 15 ans, il faudra faire attention aux signes avants coureurs pour la spondylarthrite, je connais les signes du TDAH et on est dans le circuit pour le diagnostic.

▶ Dans les années 60, les personnes comme moi finissaient en fauteuil. Aujourd’hui, lorsque les malades ont accès à un traitement, le fauteuil est rarissime. On s’en sort de mieux en mieux et il y a de plus en plus d’outils pour vivre avec.

▶ Dans les années 60, j’aurais peut-être fini à l’asile. Aujourd’hui, j’ai un traitement qui me permet de vivre mes troubles de l’humeur et je suis suivie.

▶ Dans les années 60, mon petit frère aurait fini lui aussi chez les fous. Aujourd’hui, il sait qu’il est autiste, il peut vivre sa vie sans être obligé de travailler. Il sort, il a des ami-es, toute une vie à lui.

La vie est compliquée, oui.
Mais la vie est TOUJOURS compliquée. On a toujours un truc qui fait que sur un ou plusieurs points précis, on galère, et ça, personne ne peut le prévenir totalement.


🥨🥨🥨

Moi, je préfèrerais un monde sorti du capitalisme patriarcal plutôt qu’un monde lisse où tout le monde va bien.

Un monde où tout va toujours bien, c’est une de mes définitions de l’enfer. Si personne n’a jamais de problème, personne ne développe de personnalité et tout devient comme dans les pubs Ricoré. Blanc. Plat. Mort. J’aime bien la Ricoré pourtant.

Moi, je préfèrerais un système où on pratique réellement l’inclusion. Un système où on serait plus empathique, où notre valeur ne serait pas déterminée par la force de travail ou nos possessions matérielles.

Un monde où les personnes neuroatypiques puissent être comprises, dans un univers moins formaté et plus créatif.

Je sais que mon enfant va en chier, et je serai là pour lui. Sa communauté sera là pour lui. C’est à mes yeux important qu’il apprenne que sa maman est malade, qu’il y a des personnes qui sont malades, que ce n’est pas une honte, que ce n’est pas une « tare » à éliminer, que ça ne fait pas de lui ou des autres un indésirable.

👉 Et si nous, on changeait de regard ? Et si on se disait que nos gosses vont de toutes façons prendre pleine poire le réchauffement climatique au lieu de craindre un mauvais jet de dés génétique ? Et si on améliorait le système de soins au lieu de repousser à tout prix la maladie ?


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Ça me rend assez triste de lire des personnes qui pensent qu’elles devraient s’abstenir de faire des enfants parce qu’elles sont en situation de handicap ou neuroatypiques. Comme je dis au tout début, j’ai eu cette réflexion, donc j’ai bien le truc en tête. Je peux le comprendre. Quand l’Enfant a eu très mal à la hanche à Noël dernier, je me suis effondrée dans mon coin en pensant que ça y est, c’était la spondylarthrite qui montrait une forme juvénile inédite.

Oui c’est dur et non, je ne regrette toujours pas. J’ai sous les yeux un enfant de 6 ans qui développe une personnalité bien à lui, un enfant qui commence à lire, qui sait écrire à tâtons, qui est présentement en train d’incarner un monstre nommé « le Cakanark » qui grogne dès qu’il voit quelque chose de mignon et qui tire la langue pour faire peur à ses prédateurs. Il a ses difficultés, il en aura d’autres, c’est notre rôle de parents que de l’aider à avancer en veillant sur lui.

Ce genre de discours me fait du mal, car ça remet en question ma propre existence. Moi, ça me dit que si on avait pu prédire mon cas à ma mère, je ne serais peut-être pas là. C’est ce qui alimente pas mal de mes pulsions suicidaires. Si j’étais pas malade, alors…alors j’en saurais rien vu que je ne serais pas là.

Toi, par contre, tu n’aurais pas cette page sponsorisée par Humira, Théralithe, Tramadol, Laroxyl, Xanax, Prozac, sans oublier le célébrissime Doliprane.