Heures de réveil : 2h20, 4h42

CW : le texte peut heurter la sensibilité des personnes concernées, je m’efforce de faire au mieux pour que cela ne soit pas trop violent. J’en profite pour réaffirmer ma bienveillance envers toustes les protagonistes de l’affaire avant de commencer.

(Faut surtout que je me rappelle de ne boire rien d’autre que du café, ce matin, j’ai une prise de sang. Vu les automatismes que j’ai, c’est limite miraculeux que j’aie réussi jusque là.)

Je me suis tout de suite souvenue de ce dont j’allais parler ce matin.

Edit : ce billet aura une suite. Trop de choses à dire en une fois.

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En ce moment il y a une polémique sur un groupe Facebook de personnes atteintes de troubles psy, et c’est un sujet assez compliqué à adresser donc on va l’adresser.

Ce matin, on va parler des keurs, des câlins si consentis, des solidaire react (les « react » c’est ce qui a remplacé le like sur les posts Facebook, on a présentement un cœur, un « solidaire », un lol, un surpris, un triste et un fâché) et des « Pipous » (l’autre nom des Bisounours mais chez les gauchistes) en général, sous des publications-témoignages difficiles.

❤️ On va être bien claires dès le départ : je n’ai rien contre les manifestations de soutien, même si elles prennent la forme d’une réponse standardisée, sur les posts me concernant. Donc on respire, pas de « Pipou bashing » ici, d’ac ?

Oui alors donc bon quand même à un moment va falloir définir ce que c’est qu’un-e « Pipou » et de tout ce que ça englobe. Tu auras sans doute remarqué les guillemets autour du mot. Parce que je considère ce mot aussi péjoratif que certains qualificatifs employés par nos ennemis politiques. Tout comme les mots « woke », « cancel culture » ou « SJW ». Je suis pour la réappropriation de ces termes, je sais que c’est pas l’avis de tout le monde donc on va pas se lancer là dedans et je vais garder mes guillemets.

Un-e « Pipou » c’est une personne toute pleine d’empathie et/ou de bonnes intentions, une personne qui ressent fort la douleur et qui a envie que le monde soit plus câlin.
Ce sont par exemple les personnes qui mettent des cœurs et des messages qui disent juste « soutien » en commentaire sous des posts difficiles. Il y a des variantes, on a des messages qui parlent de chatons sans gluten, les câlins si consentis, etc.

❤️ Le principal problème est la standardisation des messages.
J’avoue que voir « soutien » ou « keur keur paillettes » sur un post dramatique, ça peut être agaçant. Parce que l’asymétrie entre le drame personnel qui se joue et le « keur keur » est de l’ordre du pansement sur une jambe de bois, concrètement. T’es là, t’es au bord du gouffre, on te dit « bisou » ça ne change rien.

Ou pas.


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Je suis coupable, absolument, de mettre des react « solidaire » quand je n’ai rien d’autre à ajouter de pertinent. Je le fais surtout chez les personnes que je connais, moins sur les groupes. C’est une manière de dire « Coucou je suis là, je pense à toi, j’ai rien de pertinent à dire donc je te fais signe comme ça ».

Lorsqu’on a eu, justement, ces emoji react, ça m’a beaucoup plu. Je suis une lurkeuse, c’est à dire que j’observe, je lis, je commente assez peu (je supprime un commentaire sur deux surtout…), je suis présente mais relativement silencieusement. Je fais peu de posts « à moi » mais je lis beaucoup les échanges et les commentaires.
Alors ça me permet de marquer mon passage. Je sais que tout le monde s’en fout, que je lise le truc ou pas, mais quand je lis quelque chose de touchant, je me dis que c’est pertinent et j’ai envie de montrer un soutien discret.

De la même manière, si j’ai un peu plus d’énergie, je vais faire une réponse gentille parce que je vois une personne en grande détresse et que j’ai envie d’apporter une petite brique rose à l’édifice. Précision : je fais à chaque fois un post le plus personnalisé possible qui montre que j’ai lu et compris le post. C’est important pour la suite.

Heureusement, j’ai dit au début que j’étais coupable. En réalité je n’ai pas vraiment à me justifier.

Bon, n’empêche…..ça a ses limites.
J’ai pu le voir dans mes propres moments abyssaux : rien ne peut me relever et les posts « pipou » me semblent mièvres à en pleurer. Je poste que j’ai envie de le foutre par la fenêtre et on me dit « soutien ». Dans mes moments de rage contre moi-même, c’est la cerise sur le gâteau. Dans ces moments là, je hurle intérieurement qu’on en a rien à foutre de ces « soutiens » et des « solidaire react ». Ça me semble totalement inutile et contre productif, car ça m’enrage et ça me déprime encore plus.

Personnellement, je le vis globalement bien. J’ai mes moments de « la vie est absurde, pourquoi les gens font ça ? » mais sinon je n’ai pas de problème de fond avec le geste.

Ou pas.


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Ouais c’est encore un sujet où on va jamais réussir à se mettre d’accord.

Il y a deux choses à prendre en considération :
💚 Ton propre état mental
💚 L’état mental de la personne qui réagit

C’est parfois rangeant de recevoir ça, on l’a vu juste au dessus. Est-ce que ça peut aggraver la situation au delà de ton propre énervement ?
Meeeeh… On se sent souvent dans la plus pure des solitudes quand on va mal et le fait de voir des gens ne pas prendre la peine de se fendre d’un truc moins bateau peut être blessant. J’ai déjà été physiquement mal de recevoir ce genre de messages, pas souvent et ça m’est arrivé de me dire « Ah ouais, ok, en fait t’en as rien à foutre ».
Un simple « solidaire react » ou « soutien » ça peut causer du dégât.

Ou pas !
Parce que des fois, c’est précisément ce que l’OP (l’auteurice du post/ Original Poster) recherche. La situation est épouvantable, on ne peut pas faire grand chose, mais lire du soutien lui permettra de se sentir légitime et prise en compte. Ça peut faire du bien, ça fait même souvent du bien.

C’est aussi assez violent de se prendre du « t’es un-e Pipou » ou de lire « Je suis là pour casser du Pipou », surtout dans des milieux prétendument safe. Hier j’ai lu des trucs qui m’ont un peu laissée sur le cul. Je comprends la rage qu’on peut ressentir mais je comprends aussi la violence qu’on renvoie. La personne qui met un cœur marque son soutien comme elle le peut. C’est parfois déplacé, maladroit mais plein de bonnes intentions. Je sais qu’on s’en fout, de l’intention, que c’est le résultat qui compte, mais je comprends ces réactions.

En général, quand je fais un post, je like/commente chaque réponse. Je peux ne répondre que par un cœur, mais j’ai lu le message et c’est ma manière de dire « je t’ai prise en compte, je t’ai lue, merci ». C’est à mon sens tout l’intérêt de ces emoji.

Lorsque la fonction « react » est sortie, j’étais ravie mais je me suis souvenue de 1984, de la novlangue et de la simplification à l’extrême de la communication. Et c’est vrai que le « like » a remplacé BEAUCOUP TROP de choses. On ne réfléchit plus, on réagit (react). On ne dit plus « je suis d’accord », on like.

Je me suis fait totalement piéger dans le truc parce que ça me permet d’être présente sans forcément ajouter un commentaire. Sauf que je te le rappelle, je supprime souvent mes commentaires avant même de les poster. Je ne me trouve pas pertinente, pas aidante, je me dis que ça fera de la lecture pour rien. Alors j’envoie un « solidaire » react faute de mieux.

❤️ C’est en ça que je comprends bien les réponses courtes et les « solidaire react ». Des fois, on a envie d’apporter quelque chose sans avoir vraiment quelque chose à ajouter. On est aussi dans un monde où le compteur de like est primordial. J’ai parfois le réflexe de faire +1 parce que je sais que ça peut compter.

Lorsque je lis un post douloureux avec un seul like dessus, ça me fait de la peine de voir la personne dans la solitude, alors j’en ajoute un parce que moi aussi je suis une Pipou.


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C’est chiant, cette histoire, parce que je suis des deux côtés de la barrière.

Je suis la Bisounours du Bonheur qui veut que tout le monde ait de la joie et je suis aussi la meuf acariâtre enrobée de polaire qui va dire « mais à quoi ça sert de me répondre ça, sans déconner ? ».

Je n’ai pas souvent le réflexe acariâtre, je sais que je n’ai pas ressenti cette rage sur cette page, par exemple. Sur mes posts difficiles, je suis contente quand on m’envoie des petits mots. Des petits mots parfois maladroits mais ça ne fait rien, j’apprécie.
Mais ça m’est arrivé, oui, de me dire « merde je suis en train d’expliquer que j’ai envie de me foutre en l’air et on m’envoie des chatons sans gluten, WTF ».

❤️ En revanche, je n’ai aucun mal à croire que d’autres personnes que moi puissent très mal vivre ces manifestation de soutien qui semblent factices et standardisées. J’en ai lu et relu et re-relu la manifestation hier et comprends le truc.
Parfois, ça peut faire plus de mal que de bien, mais pas tout le temps, sinon ça ne serait pas amusant.

Imagine, tu sors un morceau de ton âme, tu le poses là, ça te coûte énormément, ça te demande beaucoup d’efforts, de sortir tout ça. Et on te dit « soutien ». Soutien, sans rien derrière. Juste « soutien ». C’est léger, oui. Limite vexant.

Quelque part, ça nous renvoie à notre solitude perpétuelle, au manque de sens de nos vies, à la futilité même de l’existence. On appelle à l’aide et rien n’arrive. Juste un foutu emoji qui sert à rien. On en est à ce type d’échange qui ne nécessite qu’un appui long sur une icône. Chez moi, ça creuse encore plus le vide existentiel de penser à ça.
Est-ce que nos amitiés sont factices ? Et si tout le monde s’en foutait et répondait ça par politesse ? Et mon importance dans le monde serait-elle vraiment nulle ?

J’ai une réponse à la dernière question : oui.

❤️ Sur le reste…on va pas se mentir : on ne sait plus communiquer comme avant, ma bonne dame. Moi, l’écrit, ça me va, je suis très contente qu’on ne communique plus comme avant. Je parie qu’on disait ça du téléphone qui dénaturait les rapports sociaux. Ou lorsque les machines à laver individuelles ont remplacé le lavoir.

Sauf qu’au temps du télégramme, c’était tellement galère qu’on prenait le temps de bien formuler ce qu’on voulait dire. On prenait le temps parce que c’était galère.
Là en 0,27 secondes tu peux envoyer une tartine de 3000 mots sur Facebook et le monde entier sera en capacité de le voir. Est-ce qu’on communique moins qu’avant ?
Je ne pense pas, mais les modalités de communication ont radicalement changé. Aujourd’hui, un « like » a une valeur, parfois marchande. Le pouce bleu a remplacé tout un pan de notre manière de communiquer. Est-ce mal ? Pas forcément. Je sais toujours écrire des lettres à la main malgré le mail, tu vois ?

Lorsque je lis les trucs de boomer alarmistes sur ces sujets, j’avoue, j’avoue tout, je me marre comme une baleine.
Non, on ne va pas vers une déliquescence de la culture à cause du like. Dire ça c’est dire « Le mot OK est une menace pour la langue française ! ». On utilise ce mot depuis un bail, personne n’est mort-e. Enfin, si, forcément, des gens sont mort-es depuis, mais pas à cause du mot « OK ».

BREF. Je vais pas faire un billet dans le billet, ça ira.


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On comprend la violence que peut représenter un « soutien » ou un « solidaire react » quand on est au fond du trou.
Mais se prendre du « pipou » dans la gueule ça doit pas faire du bien non plus. On fait ce qu’on peut. Tout le monde n’a pas le temps, l’énergie ou les ressources pour faire une réponse construite.

❤️ Quand j’ai lu « Vous servez à rien avec vos reacts de merde » je me suis sentie visée et blessée. Je me foire souvent mais j’essaie d’être aidante, c’est ce qui me conduit dans la vie. Je fais ce que je peux. Certain-es de mes ami-es ont des pathologies extrêmement lourdes, je fais ce que je peux au moment où j’ai le temps pour apporter ce que je peux. Des fois c’est un bête chat bleu en MP pour dire coucou, des fois c’est un gif mièvre, une image mignonne, un petit mot.

Je ne peux pas lutter contre la mort, tu vois ? Alors je fais ce que je peux pour que la vie soit sympa avec ceuxlles que j’aime.

Voir « ton soutien on en a rien à foutre » ça m’a blessée, ouais. J’ai trouvé ça injuste et violent.

Une fois ma réactance calmée, j’ai réfléchi, et en fait…bah je sais pas. Je sais pas quoi faire. Je comprends qu’on puisse trouver les réactions « pipou » vides de sens et contre-productives à certains moments. Mais je sais que les personnes qui font ça ne sont pas des monstres non plus.


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A mon avis, ce serait bien qu’on se mette d’accord sur les modalités de communication avant de se planter encore.

Personne ne peut trop savoir ce dont l’autre a besoin, en fait. On ne peut pas dire qu’à un certain niveau de gravité on ferme sa gueule si on a rien d’autre à apporter, parce que ce niveau de gravité n’existe pas.

Je vois deux options :
💚 Préciser qu’on ne souhaite pas de réaction standardisée si on poste
💚 Ecrire des messages plus personnalisés si on répond (et si on le peut)

Si personne ne précise pas « pas de keur svp » les gens vont mettre des keurs. Précisons-le.
« Je sais que cela part d’une bonne intention mais je ne souhaite pas recevoir ce type de message »

Et y’a un truc dont il va falloir recauser, aussi : la standardisation des messages.
Parce que oui, c’est simple, c’est facile, mais j’ai l’impression d’avoir lu un million de fois « câlins si consentis ». Je COMPRENDS, je SAIS pourquoi on dit ça. Mais la formule perd un peu plus de sens à chaque repost. Il va être nécessaire de nous interroger aussi sur nos réponses à la détresse.

« Câlins si consentis » c’est l’équivalent de la tape sur l’épaule qui dit « Là…là…ça va aller ». C’est adorable mais…pas super utile. Moi, quand on me tape sur l’épaule en me disant ça, j’ai tendance à sortir la machine à sarcasme avant de me souvenir que je suis sympa. Après, je me souviens que je suis sympa et ça va mieux.

Je suis plus sensibles aux « vraies » réponses, avec des mots et tout ça. Mais je n’ai rien contre les « solidaire react » parce que si on les supprime et que plus personne ne répond en soutien de peur de dire une conneries, on va pas y arriver.

Après tu fais comme tu le sens. Sur cette page, tu fais bien comme tu veux, c’est apprécié dans tous les cas. Mais c’est possible que d’autres personnes vivent super mal ces réactions simples, je n’ai aucun mal à l’imaginer.

Encore une fois, j’ai zéro solution, juste conscience du problème. Les deux pistes évoquées plus haut ne sortent pas de mon chapeau, c’est ce que j’ai retenu des échanges et suggestions que j’ai pu lire hier.

❤️ De mon côté, je vais faire plus attention à mes réponses. Le « solidaire react » je n’ai pas envie de l’abandonner, je ne l’abandonnerai pas. Je ne le pose jamais sans le penser et c’est discret, ça ne prend pas toute la place en commentaires, c’est juste un bête emoji, en fait. Donc ça, je garde.
Mais je vais faire un effort sur les réponses que je fais. Avec les ami-es dont je me sens proche, la question ne se pose pas : je sais qui n’aime pas les cœurs, je sais si la personne recevra positivement ma participation à son marasme personnel. Sur les groupes, je vais faire plus attention.

Par contre, si tu n’aimes pas ces réactions, précise-le si tu le peux, plz. On ne peut pas deviner à l’avance. On ne peut pas savoir si notre manifestation silencieuse te touchera ou t’énervera.


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C’est chiant, hein, les problèmes sans solution ?

Je retiens quand même un truc : « Casser du Pipou » c’est blessant. Je ne me sens pas forcément labellisée « pipou » mais merde. Quand même. Je suis d’accord pour dire que parfois on lève les yeux au ciel. Je suis d’accord pour dire que des fois c’est perçu comme de la violence, ces réactions sans substance, mais renvoyer ça c’est ne pas faire beaucoup mieux que les droitistes qui nous appellent des Bisounours parce qu’on veut un monde vraiment juste.

« Pipou » c’est un terme que j’utilise pour la toute première fois à l’occasion de ce billet. C’est bizarre parce que je suis encore sur Dewey (dans Malcolm) qui fait « Poupipoupipoupipou ». Mais pour moi c’est un terme très péjoratif, qui plus est utilisé dans le milieu militant.

❤️ Je ne sais pas à quel moment la gentillesse est devenue indésirable. Sans doute depuis que la vie est dure. Je ne peux pas ne pas faire le parallèle entre « Pipou » et « Bisounours » et c’est ça qui me chagrine. On en est à inventer des termes pour mieux se fracasser entre militant-es, quoi. Moi, ça ne me met pas particulièrement en joie, même si je comprends le problème (cf. les 2912 mots précédents).

Du coup ton avis m’intéresse. Est-ce que tu connaissais cette problématique ?

Si tu es concerné-e (que tu aies posté des messages d’appel à l’aide ou que tu répondes à ce type de message)et si tu veux en parler, en quoi ces réactions te blessent ?

Comment pouvons nous faire pour mieux communiquer sans avoir à devenir médium extralucide ?