TW : violences psychologiques, remontées traumatiques.
Je ne parle pas fort du tout et j’ai une présence plutôt douce, je pense, et un peu directe/maladroite quand il s’agit des codes sociaux. Je vais dire « Allez, c’est le moment où je vous jette dehors ! » au moment bizarre où tout le monde se pose un peu la question. Tendance pieds dans le plat absolue.
Hier, j’ai compris une partie du pourquoi je veux être invisible et ne parler que par écrit.
Je sortais de la douche, et, je sais pas. Je l’ai vu. Mon agresseur de moi enfant. Il me hurlait dessus « TA GUEULE ! TA GUEULE ! TAIS TOI !!! ». J’ai vu tous les détails de son visage, les détails que j’avais oubliés. Le grain de sa peau, son nez, sa bouche hurlante et ses yeux noirs, ses cheveux moins sombres que dans mes souvenirs. Pas mal de flashs se sont ensuite empilés et moi j’étais là, dans ma serviette de bains, à la serrer de toutes mes forces, souffle coupé. Je me suis sentie vriller comme rarement et mon impulsion du moment impliquait du carrelage et mon visage.
Alors je me suis raccrochée comme je le pouvais. J’ai pensé aux copaines et iels m’ont laissée vider mes mots. C’était un des moments les plus traumatisants de ma vie qui est revenu comme au premier jour. Comment j’ai pu oublier ça ?
💥 « Ne parle pas, ça ne sert à rien, personne ne te croira, on sait que tu es une menteuse »
💥 « Tu parles trop. Tais toi. »
💥 « Tu parles trop fort. Tais toi. »
💥 « Tu prends toute la place, espèce de truie »
💥 « Tu es sûre de t’être lavée ? Parce que tu pues comme une truie »
💥 « Si tu parles, je te tue et je t’enterrerai dans le jardin, juste sous l’arbre, là »
💥 « Tout le monde serait soulagé de ta mort, tu sais ? Ils font semblant de t’aimer mais en fait tu es un fardeau »
💥 « Tu sers à rien, dégage »
Je me souvenais d’un virage au niveau de mon expression de moi et de ma présence, vers 8/9 ans. Il y a eu un point de bascule et j’ai commencé à me taire en souffrance. Sauf que personne n’a fait attention à ce détail. J’avais encore des moments de vie comme avant, mais je me faisais tuer s’il l’avait vu.
💥 « Tu es ridicule »
💥 « Tu es grosse, personne ne veut de toi »
💥 « Tu t’es vue ? »
💥 « Il n’y a que moi qui te supportes, tu sais ? Les autres font semblant. »
💥 « Tu es un déchet, tu ne mérites pas qu’on t’écoute »
💥 « Tu te crois intelligente ? Tu te crois maligne ? Tu es la plus stupide gosse que j’aie jamais vu, arrête de croire ce qu’on te dit parce qu’on a pitié de toi »
Les phrases s’accumulent, les lire d’un trait me retourne le bide (je ne peux pas les relire en fait), et c’est ce que j’ai subi si longtemps. L’injonction à l’invisibilité. Ne pas briller, ne pas parler, ne pas être. Surtout, vivre dans la peur, intense, constante.
Parfois, après une sortie/repas de famille/autre, j’avais le résumé de mes erreurs. Je n’étais pas punie sur le coup, mais dans le calme précaire de ma maison. Il passait les choses en revue, ajoutant parfois des détails plus anciens, pour me convaincre petit à petit que je n’avais pas de légitimité dans mon existence.
Il s’est comporté avec moi comme un conjoint pervers et manipulateur. J’étais gaslightée en permanence, mein gott. Mes affaires étaient fouillées, chaque élément compromettant m’étant volé puis rendu, de préférence publiquement. Il plaçait des objets inconnus dans mes affaires. « Où est-ce que j’ai eu ça ??! »
Les choses se déplaçaient, disparaissaient.
💥 « Tu es complètement folle, ma pauvre fille ! »
Il me disait des choses, me donnait des consignes, puis faisait comme s’il m’avait dit le contraire. J’étais punie. Punie. Punie. Rien n’allait.
Quoi que je fasse, quoi que je dise, j’étais punie.
Et il SAVAIT tous mes faits et gestes.
Presque.
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Oui parce que je suis folle mais tenace.
Mon père m’a appris plusieurs trucs bien, dont le sabotage et l’idée que la liberté était le bien le plus précieux au monde.
Alors je sabotais tout ce que je pouvais.
Et j’ai développé des techniques pour que mes secrets ne soient pas retrouvés. Je codais mes écrits, je dessinais en symboles ce que j’avais à dire. Je me créais des cachettes, je retenais les choses par cœur. Mes dessins n’allaient pas dans la poubelle de la maison, je les plaçais dans mon manteau pour pouvoir les jeter dans une corbeille dans la rue.
Je plaçais des « pièges » pour savoir si mes affaires avaient été touchées en mon absence, pour vérifier si j’étais bel et bien folle. Je ne l’étais pas.
Je reprenais le pouvoir discrètement, en silence, obstinée et déterminée à ne pas lâcher le dernier bout de liberté que j’avais.
😞 Comment j’ai pu oublier ça ???
(Parce que c’est ce que j’ai fait avec mon ex-partenaire violent. Je reprenais le pouvoir en silence. J’ai été jusqu’à avoir un arrêt maladie de 3 semaines en faisant semblant, tous les matins, d’aller au boulot. Il ne se doutait de rien, et ça me redonnait la force de continuer. Si je pouvais lui mentir là dessus, alors je pouvais le faire partir.)
Je sabotais. Je me suis mise à voler dans les affaires de mon prédateur. Je me suis mise moi aussi à déplacer des objets tout en jouant l’étonnée. Plus j’avançais en âge, plus j’allais loin. Le point d’orgue pour moi a été de laisser ma clé sur la serrure, l’empêchant de rentrer dans la maison et ignorant ses hurlements et coups de sonnette rageurs.
Il me l’a fait payer, mais j’ai fait celle qui n’était pas là. Mais non, je n’ai pas mangé à la maison, ce midi, j’étais avec mes copines, c’est ce que j’avais dit ce matin avant de partir, pas vrai ?
Comment j’ai pu oublier ce moment où j’ai lu la rage impuissante de celui qui voit ses propres armes se retourner contre lui ?
C’était peu avant son départ, j’avais 12 ans et j’avais vaincu, au moins un peu. Je ne savais pas à quel point j’avais pas vaincu mais le sentiment a été appréciable.
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Puis ses yeux.
👁🗨 Le regard qui dit « Toi, quand on va rentrer à la maison, tu vas le regretter »
👁🗨 Le regard qui dit « Je veux te tuer, là, maintenant, j’en ai la possibilité »
👁🗨 Le regard qui dit « Tu te tais sinon je te ferais taire pour toujours »
Hier j’ai revu ses yeux et c’était d’une violence insoutenable. 30 ans après, j’en ai été pétrifiée jusqu’au fond de mon âme.
Comment une gosse peut survivre à ce regard ?
➡ En fermant bien sa gueule.
➡ En étant diplomate.
➡ En dénouant les conflits.
➡ En prenant sur elle.
➡ En pensant aux rebonds si elle désobéit.
(Punir juste la victime c’est nul, faut punir tout le monde à cause de la victime, c’est bien plus clivant).
Pas parler trop fort, quand on a une tendance à la logorrhée, c’est impossible. Chacun de mes bulletins scolaire comporte la mention « bavarde ». Tôt ou tard, je me plantais et j’ouvrais la bouche. Sanction immédiate ou en différé, mais sanction quoi qu’il arrive. Pas parler. Chut. Tais toi, tu vas encore avoir des problèmes.
J’ai survécu comme ça jusqu’à son départ, sauf que c’est resté. Je me trouve ennuyeuse, pas pertinente, centrée sur moi (ça c’est pas faux cela dit). Heureusement pour nous, le côté bavard a repris le dessus, au moins sur cette page.
J’avais d’un côté le « moi » tel qu’il s’exprime aujourd’hui : librement, positivement.
Et de l’autre cette terreur sans nom que j’ai revécue hier.
Alors toute ma vie, j’ai tenté de me faire taire sans succès. Parler est un danger. J’avais peur qu’on m’entende et qu’on comprenne ce qui se passait la nuit dans ma chambre.
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Au fil du temps, j’ai développé l’écrit. Par écrit, je gère. J’ai écrit et brûlé ma première nouvelle durant cette période. Je sais m’exprimer bien mieux qu’à l’oral malgré mes 10 ans de boulot au téléphone avec des clients. D’ailleurs j’ai fait pas mal de mails « corporate » pour mes différents responsables, parce que c’est un truc que je sais faire.
🔇 Mais si tu me rencontres, un truc va te frapper : je parle très doucement. Je sais avoir de grands éclats de rire mais si je parle normalement, personne ne m’entend. En groupe, je peux finir par ne plus du tout parler parce que je n’entends personne (trop de bruits mêlés + petite perte auditive + concentration) et que personne ne m’entend. J’ai passé des heures comme ça à faire semblant de comprendre ce qu’on me disait sans être en capacité de relancer la conversation, faute d’avoir entendu et demandé à ce que ce soit répété.
J’ai cherché très longtemps la raison pour laquelle je ne savais pas faire porter ma voix autrement qu’à l’écrit et je crois que j’ai enfin compris. C’est comme un mauvais génie qui s’est greffé sur ma personnalité et qui va prendre le pas dès qu’il le peut. Mais là j’ai sa tête dans le viseur.
J’avais oublié toutes ces phrases qui sont revenues en un seul bloc (sans déconner c’était atroce, je fais la mariole mais j’écris pas, là, en étant joie et bonheur, au contraire, je sais que j’aurai du mal à me relire). Là, je retrouve du sens, des explications, je me souviens.
⛔⛔⛔
On a restreint ma parole, et pas que cette ordure. Les femmes parlent trop selon les connards.
🗯 « Les belles filles ne parlent pas autant : sois belle et tais-toi »
🗯 « Arrête de bavarder ! »
🗯 « Tout le monde s’en fout de ce que tu dis, stop. »
Alors ça finit comme ça. Avec l’esprit guerrier mais la voix éteinte.
Malgré tout ça, je me trouve chanceuse. J’ai su me sortir de l’ornière et si j’ai « débloqué » ce truc hier c’est que c’est nécessaire à ma reconstruction et que j’ai besoin de clefs pour aller plus loin. J’ai les outils et le recul, je n’aurais sans doute pas été en mesure d’encaisser le choc avant. Mon subconscient a dû capter que c’était le bon moment pour envoyer la purée.
Et j’ai eu la chance d’avoir ces ressources pour saboter et résister. Ça a développé des trucs pas cool (période kleptomane et exhibitionniste notamment) mais franchement, ça pourrait être pire.
Donc j’ai de la chance, puis ça explique mon angoisse existentielle à l’idée de publier mes textes, ma propension à vouloir absolument fermer la page et le refus de faire de la pub pour ce que je fais.
Va me falloir un moment, je crois. Je ne peux pas me relire une seconde fois donc s’il y a des fautes, elles seront pour la postérité. C’est trop difficile pour le moment.