Après Skibidi Toilet, j’ai envie de parler de l’horreur (le genre culturel, pas la vie) et surtout, l’horreur à destination des enfants.

J’ai commencé Stephen King à 10/12 ans et c’était une des meilleures choses qu’il ait pu m’arriver à cette période. Je lisais énormément, mais ça, ça a été l’épiphanie.

Un peu plus tôt, je lisais les nouvelles de Roald Dahl. Tu vas me dire que c’est pour enfants, Roald Dahl, à ceci je te réponds non, il a aussi fait des nouvelles d’horreur et des nouvelles « pour adultes » assez olé olé. Les éléments d’horreur sont d’ailleurs disséminés dans ses oeuvres pour enfants : qui n’a pas tremblé de peur devant l’intensité de Sacré Sorcières, été délicieusement effrayé-e par James et la Grosse Pêche ou, plus classiquement, pensé que Willy Wonka était un gros psychopathe ?

Willy Wonka c’est quand même un mec qui a asservi toute une tribu du Lointain, qui a fabriqué son usine en devenant richissime sans jamais redistribuer, qui a organisé un concours piégé et s’est amusé à torturer des enfants désobéissants. Charlie est super pauvre et vit juste à côté de la chocolaterie, alors non, Willy Wonka ne connaît pas le ruissellement, lui non plus. C’est là toute la subtilité des personnages de Roald Dahl : ils ne sont jamais unidimensionnels. Sauf les « sales gosses » dont le descriptif littéraire est beaucoup plus violent que ce qu’il en est dit dans les films. Dahl est CRUEL avec ces enfants qui ne se comportent, à ses yeux, pas assez bien. Willy Wonka a monté ce concours pour trouver un enfant exceptionnel et élimine les autres sans pitié, c’est PAS un gentil dans l’histoire. C’est une figure à la fois merveilleuse et inquiétante qui a les pleins pouvoirs sur son territoire.

Au-delà des classiques, on a aussi eu, enfin moi, la bibliothèque verte et le Club des Cinq. Des histoires de mystère, des enquêtes surnaturelles, des moments palpitants où tu ne te demandes pas pourquoi 5 gamins vont enquêter dans un manoir hanté. Où sont leurs parents ? On s’en fout. Le Club des Cinq vit des aventures et c’est tout ce qui compte.

Au -delà du delà des classiques, on a les comptines et les contes pour enfants. On en a parlé ici précédemment. On parle cannibalisme dans « Il était un petit navire », d’agressions sexuelles dans « À la pêche aux moules », et laisse tomber la chanson de Saint Nicolas qu’on apprenait à chanter quand on était gosses : le boucher coupe les enfants en petits morceaux, les met à saler dans un tonneau, Saint Nicolas arrive, réassemble les gosses et tout est bien qui finit bien.

🐙🐙🐙

Des éléments d’horreur, il y en a partout dans les productions culturelles pour enfants. Et ce n’est absolument pas une question de générations, d’où l’intro à rallonge. Les contes de fées ont toujours existé et les Frères Grimm n’étaient pas des rigolos.

Je ne vais certainement pas aller aussi loin que « La Psychanalyse des contes de fée » de Bettelheim, mais ces contes ont un but. On ne fait pas peur aux gamins juste comme ça. Non. On leur apprend que la vie, c’est de la merde, et de la merde dangereuse.

Je n’ai pas de terme qui correspond à « Cautionary Tale », on peut dire « Fable d’avertissement » mais c’est assez nul. Le Cautionary Tale, c’est une fable destinée à faire passer un message difficile au travers une histoire, réelle ou fictive. Les contes et fables n’étaient pas uniquement à destination des enfants : les récits ont été édulcorés avec le temps.

Pour résumer : si je raconte à mon fils de 8 ans l’histoire d’Émile Louis ou de Dutroux, il va flipper sa race. Ce qui est le but recherché, car je ne veux pas qu’il monte en voiture avec des gens. Il sait aussi qu’il faut viser l’entrejambe ou les yeux, hurler et se débattre le plus fort possible pour alerter les potentiels témoins. Mais je ne lui ai pas parlé d’Émile Louis : je lui ai livré une version édulcorée de ce qui se passait, parfois, si on se laissait choper par un adulte. Je n’ai pas envie de le traumatiser, d’autant plus que les occasions pour lui de se faire enlever sont quasi inexistantes. Mais, on ne sait jamais : il faut qu’il sache que ça arrive. Il sait aussi que j’ai été victime, même s’il n’a pas les détails graphiques.

Les fables servent à ça. Si tes parents t’abandonnent dans la forêt, ne trace pas ton chemin avec du pain (en plus c’est gâcher), utilise des cailloux blancs. Et, oui, les parents peuvent abandonner leurs enfants dans la forêt, au fait, je serais toi, je ferais pas trop trop le malin. Plus que ça, c’est la pauvreté qu’on décrit et qu’on explique. On parle des dangers de cette pauvreté, des extrémités auxquelles les adultes peuvent avoir recours. Ma première idée de la pauvreté extrême, c’était Hansel et Gretel. J’ignorais que des enfants n’avaient pas à manger. J’ai posé mille questions, j’étais bouleversée et ça m’a fait réfléchir très longtemps. Pour en arriver à la conclusion que la sorcière gâchait de la nourriture en ayant une maison en pain d’épice, puis c’était pas bien réaliste, tout ça, pour faire cuire des murs en pain d’épices faut un four super grand, et où elle stocke ses matières premières, et si ses murs deviennent rances et quand il flotte ça doit pas être une expérience incroyable. La sorcière devait être collectivisée en terrine et ses ressources partagées.

Oui, j’ai été élevée par des gauchistes.

🦄🦄🦄

Alors, qu’on hurle devant Poppy’s Playtime, Garten of Banban, 100 Doors ou, de manière plus classique, devant Five Nights At Freddy’s (FNAF), ça n’a pas vraiment de sens. Comparé aux Frères Grimm, Garten of Banban c’est Pipou à la plage.

La subtilité c’est que ces expériences sont plus immersives : on joue à ces jeux.

Mais…………bah pas forcément, en fait.

Les jeux d’horreur, surtout indé, dépendent des YouTubers. Si ManlyBadassHero (j’adore ce type, j’ai une passion pour ses commentaires) décide de jouer à « Home Safety Online », je connaîtrais le jeu sans y avoir joué. Et c’est un excellent jeu, d’ailleurs. Il y a une véritable synergie entre Let’s Players et éditeurs de jeux. Un jeu indé totalement méconnu pourra connaître la gloire si Manly en parle à ses 1,8 millions d’abonné-es. Sans Youtuber, les jeux indés ne sont pas joués, pas montrés.

Les enfants, finalement, jouent peu à ces jeux. D’abord parce qu’il faut les acheter. Les enfants sont certes plus malins que nous à leur âge, mais nous, on sait pirater des trucs et pas eux. Puis, paye tes jaquettes : tu vas vraiment acheter un jeu d’horreur à ton enfant ?

Moi, je ne sais pas. On mate ensemble les vidéos, mais je ne suis pas sûre qu’il soit prêt à jouer dans l’immersif de ces aventures qui pervertissent tous les codes. Ici, plus c’est mignon, plus tu te méfies. Si une peluche te sourit, elle veut te bouffer le bras, c’est sûr et certain. On regarde donc dans le confort de nos fauteuils, à distance des méchants.

🐧🐧🐧

Les modalités narratives ont évolué, et nous avec. J’aimerais qu’on ne soit pas hypocrites sur ce coup-là : les productions cinématographiques et littéraires ont grimpé d’un cran dans le descriptif. Cela ne concerne pas tout le monde, mais la mode des « torture porn » (Saw, Hostel, A Serbian Film…) ne date pas de 1870. La société était un peu plus violente, en 1870, on pouvait certainement assister à des exécutions en place publique si on habitait au « bon » endroit. C’est comme si les vases communiquaient : la société est un peu moins violente, les productions culturelles le sont plus. C’est une hypothèse soutenue par absolument rien mais ça en jette. Notre société EST violente, entendons-nous bien, mais la violence est beaucoup plus intimement liée aux autoritarismes politiques de tous bords qu’à des exhibitions d’entrailles en pleine rue à 9h du mat. La violence est presque feutrée, par moments : ces 20% d’inflation SONT une violence, mais on ne la perçoit pas forcément dans toute son intensité.

On ne va pas en forêt abandonner nos enfants, quoi.

Ou moins.

Les jeux d’horreur sont, globalement, une bonne chose, à mes yeux. Pas tous, il y a des prods assez pétées (Hello Neighbor et ses arcs de moins en moins convaincants, la faiblesse narrative de Garten of Banban est flagrante, même s’ils s’améliorent avec le temps…) ou carrément exploitatives (C’est le principal reproche, plutôt justifié, fait à Garten of Banban).

Ça, on pourra en parler en détail si tu veux, car on n’a pas du tout été explorer l’intérieur de ces jeux. Mais là j’ai pu l’temps.

J’ai remplacé l’image de Chucky par celle-ci, suite aux réclamations de l’enfant

🦇🦇🦇

Qu’on le veuille ou non, nos bébés grandissent. Je sais, je sais que c’est à la fois cool (l’autonomie) et chiant (l’autonomie), mais on ne peut pas lutter. Iels grandissent, et avec un monde complètement perverti, où rien n’est vraiment authentique, où tout peut être un piège, où la pression sociale est extrêmement forte.

L’autre jour, je disais aux potes que ce que j’adorais, chez Stephen King, c’est tu peux être une meuf en situation de handicap et tabasser le méchant à la fin. Il y a peu de héroïnes et de héros exemplaires, chez King. Chacun-e a des failles béantes, chaque personnage est mortel, les romans sont sans pitié. La force pure n’est pas toujours utile, c’est souvent en élaborant des plans ingénieux que les personnages s’en sortent. Même si les personnages sont des enfants (Ça, Bazaar, Stand by Me), iels peuvent vaincre et s’en sortir. La puissance n’est pas que la brutalité de la méchanceté, elle est bien plus subtile. Je n’ai pas souvent vu de personnages en situation de handicap physique, psychique (ou addicts) chez d’autres auteur-ices. J’allais dire « d’horreur et de fantastique » mais en fait, non, tout court.

Stephen King m’a rendue forte face aux horreurs que je vivais. Ses romans ont été des impulsions de vie et de révolte, chez moi. L’héroïne n’est pas forcément jeune, belle, souriante, dynamique, blonde et pleine de vie. Non. Elle peut être aussi détruite que moi et quand même s’en sortir.

🦜🦜🦜

Nos enfants ont besoin de se préparer à ce qui les attend, c’est ce qu’on me dit constamment en me reprochant de trop protéger le mien. Par exemple, je refuse qu’il fasse le SNU, c’est hors de question, il faudra aller le chercher à la maison et me passer sur le corps pour qu’il parte. On m’a répondu que c’était pas bien, car le SNU préparait les enfants, tout comme la violence à l’école les endurcirait. On m’a dit qu’en refusant un événement potentiellement très mal vécu par un enfant neuroatypique, je le surprotégeais.

Sauf que non. Je lui donne des armes et des outils. Il sait que je refuse qu’on le transforme en Patriote prêt à se sacrifier pour son Beau Pays. J’ai pas fait cet enfant pour qu’on me l’envoie à la guerre, nope. Refuser de le voir s’engager n’est pas, à mon avis, le surprotéger. Ma décision est liée aux facteurs traumatiques d’un tel engagement. Lui ? A l’armée ? Mais il se fait déjà tellement emmerder à la récré car il est « différent », j’ai pas envie de le sur-traumatiser, non, merci, ça va aller.

Il sait ce qui l’attend. Il a une daronne incapable de bosser, avec une litanie de maladies toutes plus chiantes les unes que les autres. Il sait bien ce que ça donne, le handicap. Il sait aussi que des gens croient au ruissellement, il est conscient du racisme, du sexisme, il sait que l’orientation sexuelle n’est pas un facteur de quoi que ce soit, il connaît aussi des personnes trans, il sait ce que c’est que le genre, même si il n’a que 8 ans et que ça s’affinera avec le temps. Il aime les animaux, il sait que les humains leur font du mal. Il sait qu’on fait n’importe quoi avec nos poubelles, que le monde sera de plus en plus chaud demain.

Il sait aussi que les adultes n’ont pas toujours raison. Que même ses parents peuvent se tromper et s’excuser. Qu’il n’a pas à obéir à n’importe qui, pourvu qu’iel soit adulte.

Puis, il sait que les gens peuvent être des ordures. Il n’a pas tout le panel de ce qui est possible, mais les jeux lui montrent cette méchanceté, parfois gratuite. Les jeux lui montrent que c’est possible, envisageable, que ça arrive, parfois, dans le vrai monde, que les monstres soient humain-es.

Pour moi, c’est la plus grande leçon à retenir : les vrais monstres, c’est nous. Tout le monde peut être un monstre. Parfois avec de « très bonnes raisons », parfois juste comme ça, pour le plaisir de faire mal. Et si tout le monde est un monstre, alors personne n’est un monstre. Nous sommes faillibles et corrompu-es. Chacun-e d’entre nous peut basculer dans l’horreur, la vraie, à un moment.

Je ne sais pas ce qu’il y a de plus vital à savoir, entre ça et ne pas traverser le boulevard au feu vert les yeux bandés à 9h02.