Heures de réveil : cortisone + chats et réveil dans la litanie de petits vomis, ouais, je sais, les vraies croquettes sont livrées aujourd’hui, mais les réveils entre 1h et 4h c’était pas la peine, vraiment. Et ma broyeuse à gravier qui fait office de cafetière a eu un souci donc j’ai sans doute broyé suffisamment de gravier pour réveiller tout l’immeuble.

BREF.

Non.

Brut !

Je voulais faire une lettre à Rémy Buisine, mais je sais qu’il ne la lira sans doute pas, alors je la poste ici car je pense que ça va parler à pas mal de monde.

« Cher Rémy,

Quand je t’ai vu, hier, avec ton équipement de manif, quand j’ai entendu des personnes te héler, ça m’a fait du bien, comme tous les lives de manif que je suis avec toi. Au départ plutôt propre sur toi, trop respectueux de la police, je vois que tu te radicalises, je sais que tu chantes les slogans dans ta tête et que t’es à fond. Ça fait plaiz. Tu es un des seuls qui ne dit plus « casseurs » mais « manifestants ». Si on me demande ce que je regarde sur mon smartphone avec autant d’avidité, je réponds « je regarde Rémy se radicaliser » et c’est devenu un running gag.

Mais moi, je suis pas en manif. Je suis ça par procuration, regarder les autres éructer me fait du bien et je ne prends aucun risque. La lurkeuse de première, non ?

Non.

Si j’avais la possibilité de courir, si j’étais pas malade avec une mobilité de merde, si je n’ankylosais pas au bout de 5 mn de station debout, on se serait croisés sans le savoir. Je suis en situation de handicaps et tu me permets de vivre la révolte. Parce que moi, j’éructe du clavier, c’est un peu tout ce que je peux faire. En manif, je suis un boulet plutôt qu’autre chose, tu verrais le merdier pour me faire sortir boire un coup ou me faire grimper un étage à pieds, tu ferais le même constat : cette meuf serait un boulet en manif et tomberait immédiatement. Puis comme je suis aussi un peu siphonnée du bulbe, je pèterais une crise psychotique au commissariat et on serait bien, tiens. Un coup à être internée un mois sans mon traitement anti-douleur, je les connais, ces crevards.

J’éructe, j’éructe, mes chants de guerre font aussi du bien je crois. Je suis Social Justice Bard. Honnêtement, sur certains textes, je me demande si je vais pas me retrouver au tribunal à un moment tellement la liberté d’expression est grande (pour l’extrême-droite).

On est plusieurs, comme ça, à ne pas pouvoir nous déplacer tout en étant extrêmement concerné-es par la réforme des retraites car inaptes au travail. Ma retraite à taux plein, ça serait à 67 ans. Mais, à 40 ans, j’ai déjà dépassé mon espérance de vie en bonne santé depuis un moment. Je ne sais pas me projeter au delà de 60 ans. Je sais que, pour moi, la retraite ce sera la misère et la dépendance.

C’est le cas de dizaines de milliers de personnes en France. Trop abîmées par le monde, pas assez productives pour mériter de vivre dans de bonnes conditions jusqu’à la fin. Les dispositifs de Reconnaissance de la Qualification de Travailleur-se Handicapé-e en entreprise ne sont qu’une vaste plaisanterie. Tu choisis un token ou deux pour atteindre les 6% d’effectifs (pour les aides et les non-pénalités), tu les colles là, voilà, super, et tu les oublies jusqu’à ce que ça casse.

Encore, moi, à la limite, j’ai eu le temps de me résigner. Mais pour l’Enfant qui est en CE1, mon gosse, je ne me résigne pas. Pour les autres en souffrance professionnelle ou en souffrance tout court, je ne me résigne pas.

Alors, quand j’ai découvert tes lives, j’ai accroché.
Ça me permet presque de sentir le vent de la révolte me souffler ACAB à l’oreille, je peux presque participer et si je croyais aux bonnes ondes j’en enverrais.

Après, je vois cet enfoiré de Gérald D. répondre à l’Assemblée Nationale comme le dernier des fumiers, dans son petit costard avec sa petite cravate et son air pincé et je me demande combien de temps ce petit manège va durer. Trop fier de lui, trop content de sa police, intouchable, trop cool pour nous. Les lives me permettent d’entendre la réponse de la rue qui s’unit à la mienne. Ça fait du bien.

On est nombreux-ses à être dans ma situation. Né-es avec un ou plusieurs handicaps et/ou pathologies mentales, handicaps pas forcément visibles et donc incompréhensibles. J’ai pas choisi d’être bipolaire et spondylarthropathe, non. Pourtant, je paye. J’ai travaillé et je travaillerai encore. J’ai cotisé, j’ai quelques années à mon actifs, encore 27 ans et je pourrai finir ma vie…où ? En EHPAD ? A l’hôpital ? Je ne suis même pas sûre que ça existera encore dans 27 ans.

Nous sommes nombreux-ses et indésirables. Parasites dépendant des aides de l’État. Bon-nes à rien à part se plaindre et agrandir le mythologique « trou de la sécu ».

Si seulement ces productivistes carriéristes et mots en istes (mais qui n’aiment pas les féministes ni les autres mots en -iste) avaient un bon moyen de nous éliminer en toute discrétion, je ne doute pas un seul instant qu’ils le feraient, tout comme ils élimineraient les « ultragauchistes » de tous leurs cauchemars sans y réfléchir à deux fois. Je n’en étais pas sûre dans ma jeunesse naïve, mais le délabrement de l’hôpital et des structures, dispositifs, aides au handicap, est trop grand pour ne pas le comprendre au moins en filigrane.

Taper sur les personnes en situation de handicap, c’est facile. On a du mal à riposter, on va dire. Donc on ne dit rien, et si on cause, les valides nous reprochent de ne pas contribuer à la grandeur de notre beau pays. Tout est affaire de productivité, qu’on a dit. Si tu ne génères pas de capital, tu es inapte, inepte, inutile. Pourquoi filer une pension à des rapaces comme moi qui « ne font rien » ?

Avant, je pensais naïvement qu’on était un pays solidaire. Mon grand-père, syndicaliste acharné, m’a appris ça. Lui qui me parlait des premiers congés payés et des vacances à la mer après 1936. Qui était idéaliste jusqu’au trognon, à refuser d’envisager l’hypothèse que tout parte en vrille à ce point. Il s’est barré au paradis des athées en 2006 et je suis soulagée qu’il n’ait pas vu ce que j’ai vu sur l’écran de mon smartphone, hier. Quoique l’idée de le voir de nouveau couleur aubergine engueuler la télé me rend nostalgique et me fait du bien.

Je ne sais pas ce qu’on vit. La différence entre tes images et France Info est stupéfiante, je ne comprends pas ce décalage. Sans doute que France Info a un devoir de réserve un peu plus coercitif car appartenant à la Brave Patrie. Tout est aseptisé et on ne montre que des poubelles en feu, ratant totalement et volontairement le cœur du problème pour ne pas en avoir, de problèmes. Mais merde. A un moment, tu te regarde en face et tu t’avoues à toi-même que tu désinformes volontairement tout en étant un des premiers médias français. Un média sensé nous appartenir, merde, on paye la redevance sans avoir de de télé (case à décocher de merde sur la déclaration), j’ai le droit d’être informée correctement.

Mais non.

Donc je te suis à l’arrache. Tu as commencé bien propre sur toi, plutôt inexpérimenté, tu finis aguerri, avec ton casque, ton masque, tes protections et tu gueules quand on te charge. J’avoue jubiler en entendant les « Rémy président ! » fuser quand tu passes. Tu es bienveillant envers tout le monde, tu vois la colère et tu la désignes correctement : de la rage face à l’injustice. Oui, je suis du côté des personnes qui veulent tout cramer pour repartir sur des bases saines façon #Leodagan2027. Peu de choses sont à sauver, en réalité, et c’est pas avec des petits mecs en costards à 8000 boules qu’on va s’en sortir.

Les « casseur-ses » ont des choses à dire. Si on en vient à ces extrémités, c’est pas pour rien, on va pas balancer des bouteilles sur des CRS juste par plaisir. Quoique.
Ce sont souvent des jeunes de la moitié de mon âge et ça me rappelle les manifs de 1995 auxquelles j’essayais de participer, puis les manifs et blocages lycéens les années suivantes. On y croyait, à ce moment, tout comme iels y croient aujourd’hui. Moi, ça me fait du bien de voir la jeunesse dans la rue. Je me dis que tout est pas encore foutu et que la vieille carne que je suis peut compter sur euxlles pour prendre le relais.

Il n’y a pas qu’un seul moyen de manifester sa hargne, heureusement. Hier, tu as interviewé un type que je situe dans les 50 ans et plus, il disait « grève générale, de mon temps on prenait un crédit pour financer ses jours perdus » et j’ai crié intérieurement. Mais merde. Prendre un crédit ? Encore faut il pouvoir engager quelque chose en retour. Avoir un travail un peu stable. Lorsqu’on a pu acheter notre logement, c’est limite si on m’a pas demandé mes analyses biologiques sur ces dix dernières années pour me refuser l’assurance. Ah si, attends, c’est exactement ce qui s’est passé.

Il y a différentes manières de militer, de protester. Tout le monde ne peut pas aller courir entre les lacrymo à Paris ou faire grève. Parfois, on a pas d’autre choix que de mater Rémy filmer la flicaille en action. On m’a déjà pris la tête parce que je ne « participais pas » et que ça faisait de moi une mauvaise gauchiste et une mauvaise personne. « Riot porn ». Faut-il vraiment associer sexualité et manifestation ? Faut-il alors interdire tous les lives ? Et les personnes qui n’ont pas les capacités physiques pour se déplacer ? « Inutiles » ai-je déjà lu dans des groupes plus rouges que rouge. Si l’eugénisme fait partie du truc, alors je ne fais pas partie de ce truc-là.

Chaque personne proteste à sa manière. Tout le monde ne peut pas se permettre de faire grève et on vous remercie de le faire pour nous. J’avoue en avoir plein le cul de ce validisme à deux balles. On existe, nous aussi « On est làààà » derrière nos écrans, tu crois quoi ? On est, personnes en situation de handicap, un tout petit peu concernées par la qualité de vie et nos perspectives d’avenir. On est en première ligne quand il s’agit de nous priver de nos droits ou juste de nous stériliser à moins de de nous tuer discrètement à coups de misère et de privation de soins.

Je suis sans traitement de fond depuis un an, mon prochain rdv est fixé à février 2024. Je suis concernée par l’accès aux soins et j’ai eu la chance d’avoir été diagnostiquée, contrairement à beaucoup d’autres en errance médicale. Ma perspective de vie, elle est en février 2024, pas à 67 ans, et c’est ça que les personnes valides ne comprendront jamais. Tant mieux pour elles, j’ai envie de dire, parce que c’est sacrément la merde. La retraite, on y pense même plus tant le système nous maltraite déjà. Et en plus on peut même pas caillasser des trucs et des machins, imagine la vexation ! T’es triplement concernée par les retraites mais tu peux juste bien fermer ta gueule, partout, tout le temps, y compris chez les tiens.

Alors je te regarde, je manifeste par procuration, je participe comme je peux. J’ai besoin de sentir cette rage pour nourrir la mienne, pour ne pas arrêter le combat, ne pas baisser les bras.

Je ne sais pas si tu ferais un bon président, les prédécesseurs sont quand même pas trop des exemples à suivre, semblerait que le prédidentariat rende con comme un poulet sans tête. Mais tu informes, tu le fais bien, tu es engagé et je sais que tu rages avec nous.

C’est déjà pas mal mieux que président, en vrai.

Merci, on se dit au 6 avril, je serai là, toi aussi.

Jeanne. »