Partie 6 sur 6 dans la série Le Capitalisme Patriarcal - Silvia Frederici


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Heure de réveils : 00h15, 2h23, 4h00 (ronflements, pisse de chat, chat)

…et en plus je me suis défoncé un genou en me levant. J’essayais de gratter un peu de sommeil, le chat grattait à la porte du buffet, le buffet a vaincu. Je ne sais pas ce qu’il cherche, de l’autre côté de cette porte, je lui ai déjà ouverte en lui disant, allez, vas-y, mais ça n’a pas semblé l’intéresser. La porte est vitrée, de surcroît, cet animal cherchait donc bien à attirer mon attention.

Donc j’ai fait un rêve entre deux eaux, un rêve où on habitait en bord de mer et où on allait en voiture faire des courses (ce qui n’arrive jamais). Et là, une armée débarque, des véhicules blindés sortent de l’eau et commencent à se déplacer sur la plage puis sur le bitume. Des avions et hélicoptères arrivent, des sirènes se déclenchent, on entend des messages inaudibles via des hauts-parleurs, des militaires à pieds arrivent et évacuent les maisons, nous roulons en marche arrière faute de place pour faire demi-tour.
Et il s’agissait juste d’un stunt commercial pour vendre le budget de la Défense. Pure propagande qui m’a glacée dans mon sommeil et réveillée en sursaut.

Bref, je sens le liquide s’écouler hors de mon articulation dans ma jambe, ça faisait 3 jours que j’avais mal mais le lever en sursaut et en râlant contre le chat (qui voulait peut-être me sortir de ma torpeur, brave bête) m’a bien achevée et m’indique que je m’apprête à passer une pure journée de merde dans la morosité morose.

Donc on va finir « Le capitalisme patriarcal » de Silvia Frederici, j’aurai au moins l’impression d’avoir achevé quelque chose aujourd’hui.

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Origines et développement du travail sexuel aux États-Unis et en Grande-Bretagne

Avant propos : Silvia Frederici est de la seconde vague féministe, le texte a été écrit en 1975, contextualisons ce qui peut l’être. J’avais peur de trouver de l’abolitionnisme dans ses mots mais en fait non. Ceci étant dit, il est utile de rappeler qu’elle évoque ici l’époque charnière 1870/1950 où le capitalisme s’est montré dans toute sa dégueulasserie. Elle n’évoque donc pas les courtisanes ou autres formes de travail ou servitude sexuelle antérieures et adresse ici la mise en place du travail sexuel organisé dans le contexte de l’écrasement capitalisme lié à la mise au foyer des femmes.

Je rappelle également que cette page n’est pas une page abolitionniste, je suis pro-TDS mais anti traite. Si le travail du sexe est un choix libre et éclairé, je n’y vois aucun problème (et je veux donc beaucoup de mal aux souteneurs, proxénètes et autres parasites qui vendent le corps de femmes ou de jeunes filles non consentantes à travers des moyens de coercition indicibles ici et maintenant).

Fin de l’avant propos.

😴😴😴

Sans définir exactement la notion de « travail sexuel », on comprend rapidement que Frederici entend par là le travail que les femmes, toutes les femmes, ont à accomplir pour se reproduire ou « soulager » leur pauvre mari travailleur épuisé.

🐦 Le concept même de « prolétariat » évoquait une classe qui se reproduisait abondamment, non seulement parce qu’un enfant en plus était un ouvrier d’usine  en plus et une paie en plus, mais parce que le sexe était le seul plaisir des pauvres.

On voulait des bébés, peu importe comment. Plein de bébés. Parce que les gens mourraient jeunes en se tuant à la tâche. L’espérance de vie en 1850 était d’une quarantaine d’années (mais on y compte aussi la mortalité infantile, ce chiffre est donc à pondérer, tout le monde claquait pas à 40 piges). Dans tous les cas, fallait de la population pour faire tourner la machine alors on était pas trop regardants sur la qualité de vie, tant qu’on avait plein de monde à exploiter.

🐦 C’est dans la seconde moitié du xix e siècle que les choses ont commencé à changer, avec la restructuration de la production, sous la pression de la lutte de la classe travailleuse, qui exigeait désormais un nouveau type de travailleur et, par conséquent, un changement dans le processus de sa reproduction. C’est le passage de l’industrie légère à l’industrie lourde, du bâti mécanique à la machine à vapeur, de la production du textile à celle du charbon et de l’acier qui a créé le besoin d’un travailleur moins émacié, moins vulnérable aux maladies, plus à même de suivre le rythme de travail intense qu’exigeait le passage à l’industrie lourde. C’est dans ce contexte que la classe capitaliste, généralement indifférente aux taux de mortalité élevés des travailleurs industriels, a élaboré une nouvelle stratégie reproductive, en augmentant la rémunération des hommes et en renvoyant les femmes prolétaires au foyer, tout en intensifiant le travail à l’usine, que le travailleur rémunéré mieux reproduit serait désormais capable d’accomplir.

C’est cynique, hein ? Nan ? Si on vit plus longtemps c’est qu’on s’est rendu compte que ça faisait de nous de meilleur-es travailleur-ses. Les Chief Happiness Officers of Fun and Games 2.0 n’ont rien inventé : fais croire à tes employé-es qu’iels ne sont pas là par contrainte et ça bossera mieux.

Alors, on s’est mis à nous domestiquer pour nous coincer à la maison dans notre rôle d’ange de maison. Il ne fallait pas de femmes débauchées, il fallait des mamans attentionnées qui garantissaient la bonne santé et la survie de leur famille. On a commencé par interdire le travail de nuit aux femmes, puis l’usine aux femmes mariées.

Je vois d’ici le masculiniste de base dire « Ah bah oui hein c’est comme pour la guerre, vous bossez pas à l’usine, bande de planquées, les hommes vous protègent ! » et j’ai bien envie de lui mettre un coup de latte mais j’ai trop mal au genou. Le travail accompli par les ménagères est tout aussi aliénant, éreintant car ininterrompu et surtout, non rémunéré. On rappellera aussi qu’en tant de guerre, la mortalité ne touche pas que les soldats. Les villages laissés à l’abandon sont aussi un terrain de jeu de choix pour l’agresseur. Si le viol est une arme de guerre, ça signifie bien quelque chose, non ? Que pensent nos amis masculinistes des exactions des soldats sur les populations qui n’ont pas réussi à fuir ? Démonstration de virilité ou démonstration de virilité ? Tu choises.

La ménagère a été conçue et « portée aux nues » pour maintenir le peu d’avantage qu’on lui vendait à rester chez elle avec les gosses. Elle est mère, amour, ange, elle soigne tous les bobos, maman, le plus beau mot du monde et patin couffin. Je te colle en dessous une affiche de la Fête des Mères telle qu’imposée par Pétain. « Ta maman a tout fait pour toi…LE MARECHAL te demande de l’en remercier gentiment ».

Affiche « Fête des Mères », mai 1941. Format 55 x 75 mm. « Ta maman a tout fait pour toi. Le Maréchal te demande de l’en remercier gentiment ». Dessin d’Alain Saint-Ogan. Fond « Ecolier de Tournissan » , 3 J 2800/79

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🐦 La réglementation du travail ménager n’était pas possible sans la réglementation du travail sexuel. Comme pour le travail ménager, la politique sexuelle du capital et de l’État pendant cette phase a consisté à étendre à la femme prolétaire les principes qui réglementaient déjà la conduite sexuelle des femmes dans la famille bourgeoise. En premier lieu la négation de la sexualité féminine comme source de plaisir et de gain financier pour les femmes. Une prémisse essentielle de la transformation de l’ouvrière-prostituée – travailleuse payée dans les deux cas – en mère-épouse non payée prête à sacrifier ses propres intérêts et désirs au bien-être de sa famille résidait dans la « purification » du rôle maternel de tout élément érotique.

Donc tu dois faire des gosses mais sans plaisir parce que c’est sale et que tu es une créature d’abnégation qui porte la vie pour le plaisir des vergetures et des jambes lourdes. Petite gourgandine, va !

🐧 « Ce qui m’intéresse avant tout, c’est de considérer les effets produits sur les femmes mariées lorsqu’elles s’habituent lors de ces réunions à voir leurs compagnes vicieuses et dissolues paradant joyeusement, menant une vie « de première », comme elles disent – acceptant toutes les attentions des hommes, abreuvées d’alcool à volonté, assises aux meilleures places, habillées bien au-dessus de leur condition, avec quantité d’argent à dépenser et ne se refusant aucun plaisir ni distraction, délestées de tout lien domestique et sans enfant à charge. […] Cette supériorité réelle d’une vie de débauche ne pouvait échapper à l’esprit vif de ce sexe  »
(William Acton, « Prostitution » 1813–1875)

Fun fact : le Dr William Acton a milité contre la masturbation, notamment celle des enfants. Je précise ça si jamais ça ne se sentait pas que c’était un gros connard puritain.

J’ai la chance d’avoir plusieurs potes TDS, dont certaines gagnent vraiment bien leur vie. on est loin du XIXème siècle mais je n’ai jamais vraiment ressenti de besoin irrépressible de mener une carrière dans le domaine. Déjà faut se coucher tard. Ensuite faut coucher tout court. Et si en plus on est obligée de picoler et de bien s’habiller, je dis non. J’ai vu aussi les perles des clients, amusantes mais éreintantes (en mode SAV du sexe) ainsi que les fameux commentaires sur les prestations sur certains sites de notations de TDS qui décrivent bien toute l’estime qu’ils ont pour ces personnes. Je doute fortement que les ménagères portées aux nues aient été très sensibles à la « débauche », en fait. C’était sans doute même plus sécurisant de se savoir contrainte par un seul homme. Le Dr Acton a pas dû beaucoup sortir durant sa vie. Sa frustration a-t-elle causé son dégoût ? J’en sais rien et on s’en cogne.

D’autre part, il y a nécessité de réguler les maladies vénériennes, notamment la syphilis. Une bonne occasion de re-contrôler le corps des femmes en les soumettant à un suivi médical resserré.

🐦 Réglementer la prostitution signifiait soumettre les travailleuses du sexe à un contrôle médical, suivant le modèle adopté en France dès la première moitié du xix e siècle.
Avec cette réglementation, qui faisait de l’État, par l’intermédiaire de la police et de la profession médicale, le superviseur direct du travail sexuel, nous assistons à l’institutionnalisation de la prostituée et de la mère comme des figures et des fonctions féminines qui s’excluent mutuellement, c’est-à-dire à l’institutionnalisation d’une maternité sans plaisir et d’un « plaisir » sans maternité. La politique sociale commençait à requérir que la prostituée ne devienne pas mère.

Sur la réglementation, un article trouvé ici : https://ehne.fr/fr/encyclopedie/th%C3%A9matiques/genre-et-europe/la-prostitution-de-1800-%C3%A0-nos-jours/la-prostitution-xixe-xxie-si%C3%A8cles

🐧 L’arrêté du 3 mars 1802 légifère sur la visite sanitaire obligatoire des filles publiques pour endiguer l’épidémie de syphilis de l’époque. Sur ordre de Napoléon, le 12 octobre 1804, le préfet de police de Paris Dubois prescrit l’organisation officielle des maisons dites de plaisirs. L’année 1804 voit ainsi la légalisation de la tolérance et de la maison close. Les filles et les maisons sont contrôlées par la Brigade des mœurs.
Les filles doivent s’inscrire à la préfecture, puis, ensuite, peuvent s’inscrire dans une maison. Chaque fille doit passer une visite médicale par mois, visite perçue comme plus dégradante qu’une passe avec le client et abhorrée par les prostituées.
En avril 1831, 3 131 filles sont inscrites à la préfecture de Paris.
(Wikipedia)

Au passage, as-tu remarqué que la prostitution masculine n’existait juste absolument pas ? Non, rien, c’est un détail qui en dit long.

Illustration extraite de Léo Taxil, La prostitution contemporaine : étude d’une question sociale, Paris, Librairie populaire, 1884, et reprise par Régis Revenin dans Homosexualité et prostitution masculines à Paris : 1870-1918, Paris, L’Harmattan, 2005.

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🐦 La seule sexualité concédée à la mère était la sexualité rendue propre par le mariage et la procréation, rendue propre, autrement dit, par d’interminables heures de travail non payé, consommée sans grande joie, et toujours accompagnée de la crainte d’une fécondation.

🥳 so much fun !!!

On dégrade la condition des unes pour faire en sorte que les autres s’accrochent à leur petit privilège de « femme bien » qui a son honneur pour elle. J’ai envie de dire que l’honneur c’est bien joli mais ça rend pas heureux, donc je viens de le dire.

🐦 Les employeurs profitaient de la pauvreté des femmes pour les contraindre à la prostitution, qu’elles pratiquaient ainsi pour garder leur emploi si elles en avaient un ou pour empêcher que leurs maris ne soient licenciés. Un exemple remarquable est celui des propriétaires d’une mine de Virginie-Occidentale qui, jusque dans les années 1920, contraignaient les femmes de mineurs à se prostituer pour rembourser la dette que la famille avait contractée à la boutique de la compagnie, ou pour que leur mari conservent leur poste. Généralement, dans ce genre de situations, l’épouse était invitée à monter à l’étage de la boutique « pour jeter un œil au nouvel arrivage de chaussures de femmes ». Les aînées avaient beau mettre en garde les nouvelles, il était difficile de résister à la pression et cette pratique s’est poursuivie pendant des années, jamais reconnue, jamais évoquée par les hommes, jamais discutée lors des négociations syndicales.

Naaaan, tu veux dire que des gens en ont profité et que c’étaient ni des femmes, ni des prolétaires ? Sans déconner, tu m’en vois comme deux ronds de flan.

Du coup, ça a complètement flingué le rapport de beaucoup de femmes au sexe, ce qui est encore bien le cas aujourd’hui avec les doubles injonctions qui fusent dès que tu es en âge de comprendre quelle est ta destinée : enfanter ou crever dans le caniveau. C’est ça, que tu veux ? Crever dans le caniveau ? Ah non ! Donc marie-toi, rapidement, arrange-toi pour garder ton mari et faire des enfants, idéalement entre 2 et 6. Par contre, ton homme peut aller « voir ailleurs », vu que tu es une daronne frigide. Il peut aller au bordel s’il en a envie, c’est pas lui qu’on soumet à un contrôle médical, c’est pas lui qu’on enferme dans des maisons de passe semblables à des usines. Gagnant-gagnant, quoi.

🐙🐙🐙

Sauf que…

Sauf que bon, on est peut-être des créatures étranges et mystérieuses, on est pas non plus des serpillières. Donc, parfois, on se casse et on la laisse sur l’oreille de monsieur qui va bien aller se faire foutre lui aussi. Avec les mains.

Le mot « divorce » devient courant, une réelle possibilité de se barrer. Pas forcément vers des horizons meilleurs, mais des horizons libérés de cette contrainte que représente un homme cisgenre qui rentre du boulot. Et aussi, on fait moins d’enfants (drame) parce que, merde, ça va bien maintenant.

Y’a un truc qu’ils ne comprendront jamais : on nous ferme la porte, on passe par la fenêtre. L’idée d’un statu quo autour de la mère-sainte et de la prostituée-sale était pétée, il a donc fallu survendre le statut de femme mariée pour renforcer l’illusion et ça donne des influençeuses Tik Tok mères de famille parfaite qui finissent en prison pour maltraitances. Parce que ce modèle-là, celui de la mère parfait ange domestique, existe toujours. L’influence patriarcale s’est juste mise au goût du jour à coups de Marie Kondo (qui, depuis qu’elle a des enfants, regrette, merci Alex pour le partage de cet article) ou de Kardashians aux vies remplies de joie et d’amour et de fric.

🐦 Dans le contexte d’une discipline sexuelle qui niait aux femmes, en particulier dans la classe moyenne, le contrôle de leur sexualité, la frigidité et la prolifération des douleurs physiques étaient des formes efficaces de refus qui pouvaient passer pour une extension du principe de chasteté, autrement dit pour un excès de vertu, permettant aux femmes de retourner la situation à leur avantage et de se présenter comme les véritables défenseuses de la moralité sexuelle. De cette manière, les femmes de la classe moyenne victorienne ont souvent pu refuser leurs devoirs sexuels plus facilement que leurs petites-filles. Car après des décennies de refus du travail sexuel par les femmes, psychologues, sociologues et autres « experts » ont fini par découvrir le truc et ils sont désormais moins disposés à lâcher l’affaire. Aujourd’hui, toute une campagne est même montée pour culpabiliser la « femme frigide », notamment en l’accusant de ne pas être libérée.

La dernière phrase est tellement d’actualité…
Ces enfoirés ont réussi à retourner le truc et toute une partie des féministes s’y est laissée prendre. Tu baises pas, tu es coincée. Malade. Hystérique. Et là, comme par magie, comme si je ne l’avais pas déjà lu, on a un paragraphe sur Freud, quel heureux hasard ❤️

Image de storyset sur Freepik

🔎🔎🔎

🐦 La psychanalyse est née comme la science du contrôle sexuel, chargée de fournir des stratégies pour la réforme des rapports familiaux.

Silvia Frederici, je vous aime et je pense qu’on va bien rigoler. Allez, mords-y l’œil !!!

🐦 De l’extérieur, la théorie de Freud semble porter sur la sexualité en général mais sa vraie cible était la sexualité féminine. L’œuvre de Freud était une réponse au refus du travail domestique, de la procréation et du travail sexuel. Comme ses écrits le montrent bien, il avait parfaitement conscience que la « crise familiale » découlait du fait que les femmes ne voulaient pas ou ne pouvaient pas faire leur travail. Il s’inquiétait aussi de la progression de l’impuissance masculine qui avait atteint de telles proportions qu’il la désignait lui-même comme un des principaux phénomènes sociaux de son temps.
[…]
La stratégie de Freud était de (ré)intégrer la sexualité à la journée de travail et à la discipline domestiques de façon à reconstruire sur des bases plus solides, grâce à une vie sexuelle plus libre et plus satisfaisante, les rôles féminins traditionnels d’épouse et de mère. En d’autres termes, avec Freud, la sexualité est mise au service de la consolidation du travail ménager, elle est transformée en une composante du travail, qui deviendra bientôt un devoir. La proposition de Freud est : une sexualité plus libre pour une vie familiale plus saine, pour une famille où la femme peut s’identifier avec sa fonction d’épouse, au lieu de devenir hystérique, névrosée et de s’envelopper dans un voile de frigidité après les premiers mois de mariage et, peut-être, d’être tentée de transgresser par des expériences « dégénérées » comme le lesbianisme.

Oui, ça fait beaucoup de citations longues mais je profite de chaque mot. On a pas mal parlé de la psychiatrisation des femmes, précédemment, on va pas refaire tout le truc, mais les catégorisations dans les névroses, l’hystérie et tout le merdier sont bien un outil de contrôle des femmes.

Et là, en plus, c’est vendu par un DOCTEUR et tout, avec tout un jargon jargonnant trop intelligent pour toi (et lui). Les femmes ne luttaient plus pour leur liberté, elles étaient de grandes malades. Toutes. Celles qui niquaient trop, celles qui niquaient pas assez. Toutes. Et celle, surtout, qui ne niquaient pas du tout étaient « rééduquées » au vibromasseur.

Un des problèmes que posent les femmes qui se refusent à leur époux, c’est que ces derniers vont aller chercher leur plaisir ailleurs, et pas que dans le sexe. Des gens qui vont au bistrot le soir peuvent aussi échanger entre eux, sur, par exemple, leurs patrons et leurs conditions de travail…on est à ça du syndicalisme, il faut rapatrier d’urgence tout ce petit monde-là à la maison au chaud entre les bras de leur ménagère. Il faut ramener les hommes à la maison parce que sinon, ils font n’importe quoi et ramènent des maladies tout en claquant leur salaire en conneries au lieu d’épargner. T’as déjà fait les sorties de bar un samedi à 2h du mat ? Voilà. N’importe quoi.

Ramener Monsieur au foyer requiert ainsi beaucoup d’efforts de la part de Madame qui, en sus du ménage, des gosses et des repas, doit rester super fraîche et souriante. Si tu fais trop la gueule, il retournera se bourrer la sienne, de gueule. Si t’es crevée, en pyjama en pilou pilou et que tu tires la tronche, on t’abonne à ELLE ou on te propose des séances de « rééducation ». Faut pas déconner, ta journée de travail ne s’arrête jamais.

Non, être une femme c’est être mère, épouse, star du porno monogame, soignée comme ton nid douillet et même parfois intelligente, mais pas trop sinon tu vexes ton Cher Mari, donc tu dois te contenter de quelques bons mots ou de rires mutins. Enters donc the magazines féminins qui te délivrent tous les conseils pour être absolument parfaite.

Que ton marie pue et soit hargneux en rentrant n’est pas grave, il a travaillé toute la journée, LUI, il a le droit de beugler que ton dîner est dégueulasse ou froid, même s’il a 2h de retard. Tu dois le servir, avec le sourire, et élever des enfants équilibrés dans ce contexte ubuesque. Bonne chance 🤞🤞

🦖🦖🦖

Mais donc oui d’accord ok le divorce, la séparation, mais qui gère les enfants ? Les meufs. Et il faut qu’elles subsistent. Quand je vois l’état des pensions alimentaires en 2023 je ne peux que me demander ce qui se passait dans les années 1950 pour les femmes seules. Elles devaient travailler, en couple ou pas, cela dit, vu les niveaux de vie. Ainsi, ma grand mère a travaillé une bonne partie de son mariage (je ne sais pas si elle a arrêté après la naissance de ma maman en 1953 mais il me semble bien que non, je rappelle ici qu’elle était Professeure d’Arts Ménagers, ce qui est assez ironique quand on voit ce que je suis devenue), parce que l’argent c’est pas mal pour manger.

🐦 Naturellement, les hommes ont longtemps considéré le deuxième emploi des femmes comme l’antichambre de la prostitution. Jusqu’à l’explosion de la lutte pour l’aide sociale, avoir un emploi à l’extérieur était souvent la seule façon pour les femmes de sortir du foyer, de rencontrer des gens, d’échapper à un mariage insupportable.
[…]
Dès le début des années 1950, le Rapport Kinsey (1953) sonnait l’alarme, montrant la réticence des femmes à se consacrer au travail sexuel à un niveau adéquat. On y découvrait que beaucoup d’Américaines étaient frigides, qu’elles ne prenaient pas part à leur travail sexuel mais se contentaient de faire semblant. On découvrait aussi que la moitié des hommes américains avaient ou souhaitaient avoir des rapports homosexuels. Une enquête sur le mariage dans le prolétariat américain menée quelques années plus tard est arrivée aux mêmes conclusions. Là aussi, on y constatait qu’un quart des femmes mariées faisaient l’amour comme un pur devoir conjugal et une proportion considérable d’entre elles n’en tiraient aucun plaisir.
[…]Non seulement les femmes pouvaient faire l’amour et atteindre l’orgasme, mais elles le devaient. Si nous n’y arrivions pas, nous n’étions pas des vraies femmes, pire, nous n’étions pas « libérées ». Ce message nous était délivré dans les années 1960 sur les écrans de cinéma, dans les pages des magazines féminins et des manuels qui nous montraient les positions nous permettant de parvenir à une copulation satisfaisante. Il était aussi prêché par les psychanalystes qui avaient décrété qu’un rapport sexuel « complet » était la condition de l’équilibre social et psychologique. Dans les années 1970, les « sexothérapies » et les « sex-shops » ont commencé à fleurir et la vie familiale a connu une recomposition remarquable avec la légitimation des rapports prénuptiaux et extraconjugaux, le « mariage libre », la sexualité de groupe et la reconnaissance de l’auto-érotisme. Dans le même temps, au cas où, l’innovation technologique a produit le vibromasseur pour ces femmes que même la dernière mise à jour du Kamasutra n’arrivait pas à mettre au travail.

J’ai un peu la nausée, pour tout dire. J’ai avalé un moucheron avec mon thé, déjà, mais c’était vachement plus haut dans le billet. Le cynisme effroyable de cette construction patriarcale vouée à mettre au pas et au lit les femmes (mais pas les travailleuses du sexe, bien sûr) pour renforcer la famille nucléaire dans le but ultime d’augmenter la productivité me fait me sentir crade, comme si le capitalisme s’était enfoui jusque dans mes draps et mon tiroir à lingerie.

Et surtout, je suis très heureuse d’avoir échappé à l’éducation de ma Mamie, même si je l’adorait et même si ses conseils me suivent encore aujourd’hui. « Maintenant que tu es mariée, il va aller voir ailleurs, c’est normal » a marqué cette rupture éducative. Je me suis mariée à 30 ans, avec une personne que j’aimais depuis 5 ans et que j’aime encore plus que tout après 15 ans. Je sais qu’il n’est pas du tout de ce tonneau-là, je lui fais une confiance aveugle au point qu’il pourrait totalement mener une double vie. C’est un mari formidable et un père extraordinaire. Elle le connaissait aussi, connaissait notre relation, mais a considéré qu’il trouverait mieux à un moment où je serais en rade de beauté. Je me suis sentie vexée pour lui, et on en a parlé. C’est perceptible dans mes textes mais je fais partie des « frigides » qui trouvent plus de satisfaction à un million d’activités. A vrai dire, je lui laisse la liberté de faire sa double vie s’il le souhaite et je lui ai dit que la possibilité d’une autre me semblait légitime s’il le souhaitait. Et quand je lui ai dit, il s’est presque fâché. Sa vie lui convient, malgré ma défaillance profonde (que…je vis bien) et 15 ans après, c’est toujours mon meilleur ami en plus d’être celui que j’aime. Notre vie familiale est parfois chaotique mais je ne la quitterai pour rien au monde, en fait.

Mais ce modèle n’existe pas. Les personnes asexuelles n’existent pas. Elles sont forcément malades, dysfonctionnelles, ont vécu des traumas qui expliquent tout, comme si on ne pouvait pas vivre simplement sa vie comme on l’entend. Ce chapitre me fait beaucoup réfléchir et reconsidérer ma vie, mes choix. Je suis sortie du modèle de ma Mamie, et j’en suis heureuse. J’ai vécu en couple, avant, en coercition sexuelle, en rapports imposés, en viols en dernier recours, étais-je heureuse avec mon bellâtre qui gagnait si bien sa vie et qui ne se privait pas de m’en foutre une de temps en temps ? Nope.

Donc vos modèles à la con, vous vous les fourrez où vous voulez.

🥦🥦🥦

On a presque fini, tkt. C’est la dernière citation du livre et je rappelle ici qu’on est en 1975 :

🐦 Jouir, avoir un orgasme, est devenu un tel impératif catégorique qu’il nous est difficile d’admettre qu’« il ne se passe rien », et aux questions insistantes des hommes, nous répondons par un mensonge, ou nous nous forçons à faire encore un effort, au point que nos lits en deviennent de véritables salles de sport.
Mais la principale différence est que nos mères et grand-mères considéraient les services sexuels dans une logique d’échange : vous couchiez avec l’homme que vous aviez épousé, c’est-à-dire l’homme qui vous promettait une certaine sécurité financière. Aujourd’hui, en revanche, nous travaillons gratuitement, au lit comme en cuisine, non seulement parce que le travail sexuel n’est jamais payé, mais parce que de plus en plus souvent, nous fournissons des services sexuels sans rien attendre en retour. Le symbole de la femme libérée est d’ailleurs la femme toujours disponible mais qui ne demande plus rien en retour.

🎵 Femme libérée 🎶

Cookie Dingler, 1984 :

Elle est abonnée à Marie-Claire
Dans l’Nouvel Ob’s elle ne lit que Bretecher
Le Monde y’a longtemps qu’elle fait plus semblant
Elle achète Match en cachette c’est bien plus marrant

Ne la laisse pas tomber
Elle est si fragile
Etre une femme libérée tu sais c’est pas si facile
Ne la laisse pas tomber[…]

Au fond de son lit un macho s’endort
Qui ne l’aimera pas plus loin que l’aurore
Mais elle s’en fout elle s’éclate quand même
Et lui ronronne des tonnes de « Je t’aime »

Ne la laisse pas tomber[…]

Sa première ride lui fait du souci
Le reflet du miroir pèse sur sa vie
Elle rentre son ventre à chaque fois qu’elle sort
Même dans « Elle » ils disent qu’il faut faire un effort

Ne la laisse pas tomber[…]

Elle fume beaucoup elle a des avis sur tout
Elle aime raconter qu’elle sait changer une roue
Elle avoue son âge celui de ses enfants
Et goûte même un p’tit joint de temps en temps

C’est ça, être libérée ? On est en 1984, là, et les mentalités ont tellement changé, wow… 🙄 Une femme tradi à l’intérieur et libre à l’extérieur, qui ne se consacre finalement toujours qu’aux autres, qui se soucie de leur regard ? Elle est futile, surtout, et ne peux pas lire « Le Monde » car c’est sans doute trop sérieux pour elle.

C’est ça, être libérée ? Sérieusement ? Qui veut me faire croire ça ? Je suis la première à revendiquer ma futilité, y’a pas de souci. La futilité, c’est bien, c’est effectivement libérateur. Mais qu’y a-t-il derrière ? Un homme qui ne doit pas la laisser tomber. Encore. C’est sur lui que tout repose. Sa stabilité, sa force et tout l’attirail du mec viril mais correct qui saura bien apprivoiser et prendre soin de sa petite femme folle pour la rendre plus respectable. On lui dit de s’accrocher : les femmes modernes sont devenues comme ça mais tu peux encore rattraper le coup si tu ne la laisses pas tomber.

1984. 2023. On est pas sorties des ronces quand je vois peu à peu les copines d’école ou les amies se marier et devenir de parfaites petites ménagères des années 50. La naissance d’un enfant nous vulnérabilise et ils en profitent pour resserrer l’étreinte.

C’est terrifiant que ce texte date de 1975, tant beaucoup de choses restent totalement actuelles, et c’est sur cette note pessimiste que je vais te laisser pour ma relecture.

Monde de merde.

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