- Femmes domestiques #1 – 1850 : L’invention de la ménagère
- Femmes Domestiques #2 – Être une femme en France entre 1848 et 1914
- Femmes domestiques #3 : Le Ménage de Madame Sylvain – Marie Robert Halt
- Femmes domestiques #4 : un modèle d’éducation Catholique (1872)
- Femmes domestiques #5 : 1914 – 1918 : Femmes de guerre
- Plumeaux et chiffons
Lorsque j’ai publié l’article fiche de lecture sur Madame Sylvain (1907), sur la série des femmes domestiques, j’ai été raillée par des mecs blancs cis. Parler du ménage, ça n’a aucun intérêt à leurs yeux. Et j’ai envie de dire qu’au vu des chiffres de la participation masculine aux tâches ménagères, ça ne m’étonne pas.
Moi, ça m’a blessée. Ma Mamie enseignait les Arts Ménagers et si elle avait plein de défauts, sa maison était rutilante et fonctionnelle et ça c’était plutôt…bien ?
Alors, en quoi l’enseignement ménager est un sujet à rire ?
Voilà, c’était l’intro.
Table des matières
Faire ménage, une question purement féminine ?
Se « mettre en ménage » signifie épouser une personne pour fonder un foyer, ce qui sous-entend donc des bébés, le sujet préféré des conservateurs. Ici, je rappelle que les Arts Ménagers ont été introduits dans l’enseignement (des filles) dès 1881 et avaient pour objectif d’obtenir des travailleurs en meilleure forme, voire vivants, et plein de bébés en rab pour faire d’autres travailleurs. De la même manière, la lutte contre l’alcoolisme n’avait pas pour but un devoir de santé public, mais des mecs tout bourrés pour oublier leurs conditions de travail sous un capitalisme naissant, ça faisait tache.
Se « ranger », ça concerne les hommes qui se font choper un soir d’inattention par une succube tout droit sortie des enfers pour lui mettre la corde au cou.
Le mariage a pour vocation de sauver femmes et hommes de la tentation en leur offrant du cul gratos. Sur papier. Je ne réfléchis pas les relations comme étant transactionnelles, mais force est de constater qu’elles le sont. De la sécurité contre du cul.
Le ménage est un système potentiellement oppressif, un sujet de tensions inavouables, une punition pour beaucoup. On parle de corvées, de tâches et de taches, on lessive, on gratte et on doit faire la même chose le lendemain.
Je me sens souvent comme Sisyphe. Chaque matin, ma routine est la même. Café, lecture, rangement, vaisselle, lessive. Puis prendre soin de l’Enfant qui va à l’école, nourrir les chats, m’assurer qu’il reste du café pour mon cher et tendre. Faire à manger selon leurs goûts, habiller le petit, savoir quand changer ses chaussures, puis vaisselles, lessives, arrosage de plantes se confondent en un magma senteur javel.
Je t’écris, là, il est 16h06 et je viens de vider le sèche-linge, j’ai vidé le lave vaisselle, j’ai nettoyé table et plan de travail. Je vais ensuite ranger cette pauvre table basse. Je suis entre deux trucs, j’écris entre deux trucs, ma vie est un entre deux trucs.
Si j’en crois les chiffres que le moi du futur ne manquera pas d’aller chercher (merci)(je t’en prie c’était un plaisir), le ménage, encore aujourd’hui, est assigné aux bonnes femmes.
On va voir un peu si on trouve des choses à raconter sur le sujet, tiens.
A-t-on raison de se moquer des femmes de ménage ?
Le souci avec le ménage c’est que ce n’est pas censé être visible. L’absence de poussière n’a rien à montrer. Les placards remplis n’ont rien à dire. Le ménage est discret. C’est à 5h du matin que le ménage est fait au bureau, pas à 10h30. Les FEMMES de ménage se courbent, restent discrète.
Ce qui ne se perçoit pas n’existe pas. Si tu n’es pas chez moi H24, tu ne sauras jamais quel bordel on réussit à mettre. Tu ne verras que quelques grains de litière, sans te douter que j’ai passé toute la matinée à gratter. Ceci est une absence, comme une absence de maladie : la normalité.
Sauf que cette normalité n’existe pas. Le monde n’est que chaos et la poussière revient toujours. La normalité d’une maison habitée devrait être celle de la poussière et du linge sale.
J’ai été très blessée par ces rires au sujet de quelque chose d’aussi important pour moi, et d’aussi important pour mes proches. On rigole, on rigole, mais c’est bien l’hygiène qui a fait en partie baisser la mortalité infantile.
C’est comme si on critiquait l’aseptie d’un bloc opératoire au nom de la nature.
Faire le ménage, laver son linge, faire à manger, tenir un budget, est-ce que, finalement, ça n’aurait pas aussi sa place dans un enseignement mixte ? Pourquoi cracher sur les meufs un peu « maniaques » (me connaissant, l’expression est bien trouvée) au lieu de se dire que HAN et si… Et si on apprenait aussi ça aux garçons. À l’école. Ces cours ont aidé des centaines de milliers de jeunes filles et femmes en France depuis 1831 (Jules Ferry), pourquoi pas les garçons ?
Je suis sans doute biaisée, mais je confirme croire bien volontiers à une éducation ménagère pour les garçons et jeunes hommes.
Mais non.
On veut du ménage pour s’en débarrasser. Seules les spécialistes de la charge mentale ont vraiment touché cette réalité du doigt.
Combien de potes féministes ont des femmes de ménage ? Je ne juge pas, si le ménage n’était pas mon moyen de gueuler, je demanderais sans doute de l’aide, moi aussi. Cette aide est rémunérée, les camarades féministes se comporteraient mieux avec leurs aides. Question de cohérence. Et, à mon sens, cela devrait emmener la question du salaire ménager aussi.
Bref, je ne vais pas te dire je ne me vois pas du tout laisser quelqu’une ramasser mes merdes et c’est un privilège de classe, tu connais la chanson.
Cela dit, ces merdes, faut bien les ramasser, non ?
Et puis les Arts Ménagers apprenaient également comment tenir son livre de comptes, comment rationaliser et conserver ses aliments et matières premières, comment bien acheter, les périls à éviter. Alors ouais, ok, j’ai trouvé un truc qui parle d’ingérer du mercure et on va pas trop faire confiance aux vieux bouquins, mais aussi j’ai trouvé beaucoup de vrais bons conseils.
Bonus : ma Mamie m’a appris énormément de ces trucs, pour faire de moi une délicieuse petite ménagère qui bat des cils tout en dominant son petit monde. Je suis en mesure de récurer une maison de fond en combles.
Dans le livre de Maman Sylvain, on parle donc de choisir ses casseroles, avec l’inventaire de ce qui se fait en fonte, en aluminium, etc. accompagné de recommandations sur le type de feu et de mise au feu, m’a aidée lors du choix de mes nouvelles casseroles.
J’ai révisé comment faire les poussières, j’ai même appris à détecter les puces de lit ! Un autre chapitre expliquait quand à lui de quelle manière ne pas acheter d’aliments de contrefaçon ou frelatés.
Quelques décades plus tard, c’est à moi de savoir que le poulet ne se décongèle jamais sur le plan de travail. On avait pas de congélos en 1907, j’ai appris ça en BTS diététique. Oui y’a plein de choses que tu ne sais pas sur moi. Mais ce genre de savoir me semble hyper critique et essentiel à connaître.
Le poulet ne se laisse jamais décongeler à l’extérieur du frigo, comme viandes et poissons.
L’hygiène en général, également. J’ai déjà nettoyé des appartements extrêmement crades pour rendre service à des potes qui ne savaient pas que les serviettes de bains ça se fossilis³3ait. J’ai vu des nids à moisissure noire comme mon âme, des aliments momifiés, des vitres si pleines de gras que tu n’avais qu’à utiliser une spatule des enfers pour nettoyer ces recoins des enfers. Les verres sales, les sous-vêtements un peu partout, et puis parfois des prises électriques démontées, des éviers bouchés, des dégâts des eaux ou des risques/débuts d’incendie…
Je sais vivre dans ce type d’environnement, même si j’ai longtemps conservé un bourbier adolescent. C’est pas le problème du désordre, c’est le problème des parasites, moisissures, acariens et le risque d’intoxication alimentaire.
Après, t’es adulte, j’applique ça chez moi et je peux venir dîner en conditions hostiles sans problème. Ce n’est pas une injonction, je parle de mes propres expériences ici.
Tu vois comme je suis dedans ? Tu m’étonnes que ça me blesse qu’on se foute de moi là dessus.
Une question jamais adressée
Je dis ça, ça fait un an que je suis sur le sujet, tu vas voir qu’une autrice va faire un livre mille fois mieux que mes fiches à la con. À quoi ça sert, à quoi bon ? J’en sais rien, mais je suis déjà à 841 mots donc on continue.
Je suis assez peu surprise de voir ce rejet du ménager. On nous a appris à nous défaire de la charge mentale. Mais on nous a aussi fait passer le message que le ménage c’était trop stéréotypé. Trop nul.
C’est donc ni pour les filles, ni pour les garçons.
C’est pour qui, alors…?
C’est pour les personnes précaires et souvent racisées qui viennent ramasser nos merdes. Et ça, c’est à adresser. C’est une forme de domesticité conventionnée.
Je préférerais des personnes réunies en syndicats, qui bénéficieraient de meilleurs salaires et de plus de libertés.
Et pourquoi personne n’a ce jugement sur les personnes qui emploient des assistantes maternelles ? Parce qu’il faut que la personne qui a donné naissance revienne vite au travail. Une nounou est donc tout à fait acceptable socialement. Tandis qu’une femme de ménage est perçu comme un truc de riches.
Oui, il faut que les gens travaillent, je n’ai aucun problème avec ça. Si mon handicap progresse, je serai amenée à demander une aide ménagère. La question n’est juste pas si simple que cela.
Le ménage, c’est sale, alors on en parle pas.
Honnêtement, je pense qu’on parle bien plus librement de sexe que de ménage. Le sexe, c’est productif, le ménage c’est pour laver les draps. Surtout, le ménage est un truc de meufs. Comme toute activité assignée aux femmes, c’est quelque chose de risible.
Mais le patriarcat, il ne rigole pas. Comme on l’a dit, le ménage aide à l’hygiène qui permet la reproduction et des travailleurs en bonne santé (voir article 1 de la série « l’Invention de la ménagère »).
Le mec qui se foutait de moi, là. Je parie que s’il a une épouse, elle fait le ménage. Pour lui, c’est normal de boire dans des verres propres. Imagine le scandale d’une grève du ménage.
Ou pas. Ces grèves ne fonctionnent pas : ils s’en foutent. Jusqu’au jour où ils ont besoin d’une chemise propre et repassée. Mais dans l’ensemble, ça passe. Ils tiennent bon le temps qu’on se calme. Tout sauf passer l’aspirateur.
Il y en a aussi des maniaques, mais pour les autres. Le genre de partenaire contrôlant qui n’exécute pas lui-même les tâches mais qui a un niveau d’exigence très élevé. Rien ne sera jamais suffisamment propre et ça fait partie de la recherche de contrôle.
Le ménage, c’est pas trivial
C’est même le nerf de la guerre, car c’est du travail non rémunéré. Le temps d’inégalité qu’on passe en plus sur nos corvées est du temps qu’on nous a volé.
Mes journées sont fragmentées. J’ai écrit ce billet en 3 jour et 17 révisions. Et j’ai encore du linge à plier…