Ayé, j’ai passé les 40 ans, c’est encore un peu compliqué à réaliser mais j’en aurai 42 en août, va falloir s’y faire.

Va falloir se faire aux autres parents, en fait. Et ça, c’est chaud, car je pense qu’on devient réac en vieillissant (et c’est légitime : on construit des trucs, on veut les garder), je me sens parfois glisser dans le jugement à l’emporte-pièces et ça me fait chier. Je n’aime pas ça. Je n’ai jamais aimé ça.

Ce matin, j’ai envie de te dire qu’on traite nos enfants comme des imbéciles biberonné-es aux écrans, incapables de prendre des décisions comme, je sais pas, devenir des éléments productifs de la société jusqu’à la mort ou mettre l’argent des bonbons dans leur Livret A.

Mais chaque chose se trouve du sens.

Quoicoubeh n’a pas de sens. Tu sais, quand tu dis “Quoi ?” et qu’au lieu de répondre “Feur” comme les enfants normaux des années 90, tu level up l’absurdité comme un-e sauvage.

Le Quoicoubeh, je l’ai capté immédiatement, car j’aime l’absurde et le non-sens, le mot juste pour le son qu’il émet, la réaction qu’il provoque. Après tout, il y a encore des personnes de mon âge qui répondent “plomatique” à “Dis ?” C’est tout aussi idiot.

“Tu m’écoutes, ou quoi…
– Feur !”

“…alors là, je lui ai dit…
– ctateur !”

Je suis désolée de te l’annoncer, mais le Quoicoubeh est plus intelligent que Quoi-feur. Il est un échelon au dessus dans l’absurde, surtout si on double ça avec l’incompréhension des adultes, je trouve ça formidable. Un beau level up, oui !

 

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C’est en grande partie du à mon éducation en arts plastiques et grâce à mon père. J’ai suivi un cursus artistique et littéraire au lycée, comme tu t’en doutes. Mon père m’a appris à dessiner, il réalisait aussi du dessin technique, j’adorais ça. Il possédait aussi énormément de livres d’art dans lesquels je plongeais souvent. Je possède encore son livre sur Mondrian, petite relique sauvée du déluge.

Piet Mondrian : Composition A, 1920

J’aime Mondrian. Ce type a passé sa vie à dessiner un arbre. De la manière la plus radicale possible, pour finir par poser des aplats de couleurs primaires dans des cases dont la structure noire étaient les branches. 80 piges à trouver ça, c’est éblouissant. Lorsque je vois les derniers travaux de sa vie, je suis heureuse pour lui, de son accomplissement. J’éprouve de la joie et de l’exaltation : il a été jusqu’au bout.

Inutile de dire que le carré blanc sur fond blanc (Malevitch) me fait grave kiffer. La période Fauve et le Dadaïsme font partie des perles auxquelles je repense souvent, pour me rappeler qu’on peut se libérer du réel et créer comme on le voulait. Puis Basquiat ❤️  Dans un mood différent, la période Bauhaus me fait vibrer. C’est comme ça.

Alors, quand je suis confrontée à quelque chose que je ne comprends pas, mon premier réflexe, acquis par habitude, est de me demander pourquoi je ne comprends pas, est-ce que mon avis est fondé, si oui, sur quoi ? Il est extrêmement, extrêmement rare, que je trouve une oeuvre “moche”.

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Skibidi Toilet a mis ce concept à rude épreuve. Le gap était trop grand, mais je sentais qu’il y avait quelque chose qui poussait mon fils à regarder et à suivre cette micro-série. J’ai d’abord jugé comme une vieille conne, puis je me suis posé la question : qu’est-ce qui rend mon avis supérieur au sien ? Et s’il aime bien ? Après tout, on regardait un paquet de merdes au Club Dorothée dans les années 90, d’où on juge ?

J’en étais là, puis cette vidéo de Licarion Rock a pop dans ma timeline YouTube :

 

Je l’ai regardée avec l’Enfant. J’ai appris des choses, j’ai trouvé ça intéressant. Je l’ai aussi fait regarder à Monsieur Papa qui a fait une moue dubitative, mais qui a écouté.

Quand j’étais petite, j’étais “interdite” de Club Dorothée, surtout “Pas de pitié pour les croissants”. De manière unanime, tous les adultes trouvaient ça trop idiot et pensaient que ça allait m’abrutir. Je suis devenue abrutie sans Dorothée, CHEH ! Mais je n’ai pas connu les chansonniers de droite, ni Goldman, ni Sardou, alors je leur en suis quand même reconnaissante.

Mon cher époux a pu regarder Dorothée, il n’en est pas devenu bête. Je crois.

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Ici, je vais dire un truc un peu provocateur, mais que je pense sincèrement : les générations Z et Alpha sont moins bêtes que nous.

Et c’est logique : chaque génération d’humain-es grandit, évolue, sinon on n’aurait jamais passé les hivers du paléo. L’évolution se fait sur le temps long et nos enfants sont un bon indicateur de ce que notre monde les oblige à devenir, pour lutter ou se conformer.

Notre réaction exaspérée, notre posture supérieure, ce ne sont que l’imitation de ce que nos propres parents nous ont fait subir comme jugements.

Nos parents pensaient d’ailleurs que les dessins animés étaient pour les enfants uniquement (le Japon arrivait tout juste, et hautement censuré), alors on a eu Ken le Survivant avec ces doublages incroyables qui rendaient toute l’histoire insensée. Si proposer Ken le Survivant le matin au petit dej n’est pas un indicateur de connerie profonde, je ne sais pas ce qu’il te faut. Comme avec Nicky Larson, TF1 s’est dit “chouette, de l’argent” sans même mater un seul épisode. J’ai vu Ken non censuré. La vache…même sans les scènes gore, l’histoire est extrêmement déprimante, un monde post-apocalyptique où les faibles se font tuer, pendant que tu manges ton goûter…

Les dessins animés ne sont pas que pour les gosses, j’ai des tatouages de Gumball et d’Adventure Time, j’ai aussi un Kakashi/Obito tatoué au dessus de la Linéa, j’ai rencontré mon amoureux en 2007 sur un forum de fansub de japanimation, allez vous faire foutre avec vos jugement pour ce qui est “pour enfant”.

Gumball a un sous-texte, comme les Simpsons (RIP), comme Adventure Time, comme Steven Universe, comme beaucoup d’autres.

Par beaucoup d’aspects, Gravity Falls est un chef d’oeuvre (et si on parle du jeu de piste proposé par les auteurs, on atteint un pic), le dessin animé aborde des thématiques super intéressantes dans un cadre fun, délirant et sombre.

Les animés japonais sont plus directs dans la narration, même dans Naruto il y a des moments super tendus à chialer, on va attendre encore un peu pour notre hypersensible (on attend aussi qu’il sache lire suffisamment rapidement pour le doublage, car c’est hors de question qu’on mate en VF).

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Quand je nous vois, parents, surpris des productions culturelles de ces générations, je me dis qu’on a oublié un paquet de trucs. On se comporte comme nos parents ! On se comporte TOTALEMENT comme nos parents !

Tu sais quoi ? Je dis ça, mais l’Enfant a été interdit de Pat Patrouille pour cause de copaganda (propagande policière). Le patriarcat de Petit Ours Brun est resté à la porte, seul Trotro a pu passer la douane, mais de justesse.

Mais ma décision n’est pas liée à la qualité du truc, non. Ma décision est politique, tout comme mon ban de Mortelle Adèle : je suis ok avec plein de trucs, mais apprendre des valeurs de domination/oppression aux gosses, leur apprendre que les filles c’est trop nul, que les policiers sont gentils, que les mamans font des bébés pendant que les papas vont au travail, c’est pas ok. Sauf qu’il sait exactement pourquoi je n’ai pas envie qu’il regarde : je lui ai expliqué le coup du 1312 et je pense qu’à ce stade, s’il n’a pas capté que sa daronne était féministe, je ne sais plus quoi faire… Il est même au courant que le JDG est de droite !

Dans Skibidi Toilet, je suis “meh” par rapport à l’histoire qui parle d’une guerre. Sauf qu’il n’y a pas vraiment de binarité bien/mal, ici, tout le monde se fout sur la gueule joyeusement. Surtout, il n’y a pas de personnages humains, tout est surréaliste. Cela me semble plus intéressant que de dire gentil/méchant, pan pan boum boum. Ici, c’est le chaos et l’anarchie. Et j’aime ça.

Je sais bien que cet enfant ne va pas faire sa thèse de sociologie sur Skibidi Toilet. Je le sais. Et alors ? Le “message” qui passe est si ténu qu’on a du mal à le percevoir : il s’agit d’enchaînements de scènes de 15 secondes avec des retournements de situation attendus. Pas de morale, pas de message, juste de la baston. C’est même moins inepte que Petit Ours Brun ou Peppa Pig, finalement.

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Alors ouais, ça casse pas trois pattes à un connard, mais merde. J’ai un peu honte de nous, qui crachons sur Tik Tok sans jamais s’y intéresser, tout comme la valeur de ce qu’on consommait enfant n’intéressait pas nos parents. “Des conneries”, tout était conneries à leurs yeux.

Sauf que Princesse Sarah m’a appris la révolte. Rémi sans famille m’a appris le deuil et la tristesse, Candy a forgé chez moi une petite phobie des pieds carrés, Lady Oscar était ma favorite entre toutes. Démétan et Rénatan m’ont appris qu’un dictateur avait un pouvoir absolu sur la mare et que c’était pas cool.

Qu’est-ce que le monde leur apprend, maintenant ?

Qu’être youtubeur-se est un choix de carrière. Que l’argent a une place très importante dans nos sociétés, que l’individualisme est roi et que le monde est injuste. Nos gosses ont conscience des inégalités, c’est ce qu’on leur vend.

Et là, c’est à nous d’être vigilant-es, car il y a beaucoup de contenu vraiment douteux, bien plus que Skibidi Toilet. À mes yeux, la Pat Patrouille cause plus de dommages. Car tout a un sous-texte idéologique. Euxlles ne le perçoivent pas forcément, nous, oui.

Je ne prends pas l’exemple de la Papatouille pour rien ou car Licarion le prend : c’est excellent exemple de copaganda. La Pat Patrouille a fait l’objet d’une analyse juste ici (en anglais) :

Donc, ouais, plutôt Skibidi que Pat Patrouille…

C’est à nous de faire l’effort de s’intéresser à ce qu’iels regardent, pour expliquer et démonter ce discours. C’est à nous de leur apprendre, en nous appuyant sur ces supports, que le monde est effectivement injuste. Ce n’est pas en les regardant de haut qu’on les aidera à mieux s’en sortir. Surtout, c’est notre boulot de parents. Débunker, soulever les idées reçues, argumenter ou juste échanger.

Si tu rejettes en bloc, si tu interdis, ton gosse trouvera le moyen de mater ses séries, déjà, et il ne comprendra jamais pourquoi ses parents n’aiment pas tel ou tel contenu.

En revanche, tu peux lui proposer d’autres contenus. Je reviens sur Gravity Falls, on l’a regardé ensemble 3 fois dont 1 en famille (un épisode chaque soir) et on a kiffé. Il existe des productions culturelles intelligentes et vraiment bonnes. Surtout, les valeurs portées sont bien plus progressives que dans les Moomins (j’adore les Moomins mais niveau stéréotypes de genres, ça se pose là) ou au pays de Candy. Les thématiques de genre et d’orientation sexuelle sont présents, subtilement. On plie le genre, chez Adventure Time et dans Steven Universe. On y apprend qu’on aime qui on veut.

Mate cet extrait de Gumball, stp :

C’est à nous de nous montrer intelligent-es, car même s’ils le sont plus que nous, ce sont encore des enfants.

Je sais que parfois, c’est chiant, inepte, que t’as pas envie de te coltiner des épisodes qui heurtent ton bon goût, mais c’est super important de le faire. Le rejet pur et simple, sans explication, cause à mon avis plus de dégâts qu’une tête qui sort des toilettes en chantant. Sérieusement.

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Demain, j’ai envie de parler des jeux vidéos d’horreur pour enfants. Fais moi signe si ça te dit, je commence à bien maîtriser le sujet et les controverses…

Et si tu as des exemples de dessin animés cools pour enfants, propose-les, je les ajouterai ici ❤️